Norodom Sihanouk

Date: 
10 Septembre, 2012
Auteur: 
OEMV

Roi, Prince, Roi à nouveau et aujourd’hui Roi-Père, la longue carrière de Norodom Sihanouk est étroitement liée à celle des Khmers Rouges, dont il fut, selon l’époque, l’ennemi et l’allié. Après la mort de son grand-père le Roi Sisowath Monivong en 1941, Sihanouk est désigné Roi à 19 ans par le Gouverneur Général d’Indochine, l’Amiral Decoux (pétainiste). Il incarne alors le choix idéal aux yeux des Français : héritier inexpérimenté des deux principales lignées royales du Cambodge, jeune homme exubérant et passionné de musique, il serait probablement facile à contrôler. Mais ils déchantent vite : Sihanouk se révèle avoir les même traits de caractère que son grand-père, lunatique, séducteur, vain et aussi impitoyable qu’imprévisible. Il se marie six fois et a quatorze enfants.

Dans les trente ans qui suivent, sa politique extérieure peut se résumer à deux principes : neutralité et intégrité territoriale. Il conduit le Cambodge à l’indépendance en 1953, se pose dans le camp des non-alignés puis s’efforce de mener la barque à travers les écueils de la Guerre froide : il doit maintenir l’équilibre entre conservateurs et radicaux, et composer avec les ambitions rivales de la Chine, de l’URSS et des Etats-Unis tout en faisant face, à ses frontières, aux appétits territoriaux de la Thaïlande et du Vietnam. Ce numéro d’équilibriste a un prix : en 1955, il abdique en faveur de son père Norodom Suramarit pour briguer le pouvoir par les urnes. Il crée un mouvement politique, le Sangkum Reastr Niyum (Communauté Populaire Socialiste-Bouddhiste) qui remporta les scrutins successifs jusqu’en 1970. Après la mort de son père en 1960, il devint Chef d’Etat (avec le titre de Prince).

Une décennie plus tard, toute voie d’opposition légale avait été fermée (Thion, 1989). Le Cambodge apparaissait aux Occidentaux comme une Shangri-La, où régnait un prince-playboy joueur de saxophone, chanteur de charme et acteur de comédies romantiques autoproduites. Mais pour les Cambodgiens, Sihanouk était le Père sacré de la Nation qui modernisait le pays par de grands travaux dans l’éducation, la santé publique et l’économie. Cependant, derrière ce tableau idyllique se cachait une violente répression policière contre les dissidents politiques, de droite comme de gauche. Cette période est décrite et analysée « de l’intérieur » par Charles Meyer, conseiller du Prince dans les années 50 et 60 avant de tomber en disgrâce (Charles Meyer, 1971). Ceux qui désapprouvaient la politique de Sihanouk avaient le choix entre la passivité et la lutte armée. En 1967, Pol Pot lance des opérations de guérilla contre le pouvoir royal. La révolte est violemment réprimée (Kiernan, 1985, Chapitre 7), mais l’assise du pouvoir de Sihanouk parmi les classes moyennes commence à s’effondrer après trente ans d’usure du pouvoir.

La Guerre du Vietnam débordant sur les provinces orientales du Cambodge, Sihanouk délaissa sa politique de neutralité en faveur d’Hanoï et de Pékin plutôt que des USA. Il tolère alors le transit d’armes par la Piste Ho Chi Minh et la présence de bases des communistes vietnamiens sur le sol cambodgien. Malgré ses efforts pour restaurer les relations avec les Etats-Unis en 1969, l’aile droite de son gouvernement s’agite : en mars 1970, Sihanouk est renversé par son cousin, le Prince Sirik Matak allié au Premier ministre et Chef de l’Armée, Lon Nol. Sihanouk ne s’avoue pas vaincu et, à l’instar de son modèle, le Général De Gaulle, organise la résistance. Avec le soutien de la Chine, il accepte une alliance avec ses anciens ennemis, les Khmers Rouges. En exil à Pékin, il appelle les Cambodgiens à prendre les armes et forme un gouvernement en exil, le GRUNK, avec une armée, le FUNK (surtout composée de communistes). Après cinq ans d’une terrifiante guerre civile, il retourne dans une Phnom Penh vidée de ses habitants en tant que Chef de l’Etat. L’année suivante, Sihanouk rompt avec les Khmers Rouges. Ce geste a plusieurs interprétations : il aurait senti le malheur de son pays et/ou réalisé qu’il devenait une marionnette des Khmers Rouges sans réel pouvoir. Sihanouk aurait pu perdre la vie par ce mouvement, mais l’opéra en douceur, probablement avec la protection des Chinois. Il resta deux ans en exil intérieur, assigné à résidence dans le Palais royal avec sa dernière épouse Monique. Malgré cela, de nombreux membres de sa famille, dont cinq de ses enfants, furent assassinés par les Khmers Rouges.

Après l’occupation par le Vietnam à l’hiver 1978, Sihanouk, nationaliste avant tout, plaide la cause de Pol Pot aux Nations Unies. Et malgré ses prises de distance ultérieures avec les Khmers Rouges, il continue de conférer sa respectabilité à leur mouvement jusqu’à la fin de la Guerre froide. Les accords de Paris de 1991 rendirent possible son retour et la tenue d’élections sous l’égide des Nations Unies. En 1993, il remonte sur le trône qu’il avait quitté presque quarante ans plus tôt. Ses louvoiements, ses compromissions, sa pratique du pouvoir avaient eus un but permanent : préserver, à n’importe quel prix, la monarchie cambodgienne, ce qu’il réussit. En 2004, il abdique une deuxième fois, en faveur de son fils Sihamoni. Aujourd’hui, il partage son temps entre le Cambodge, son palais à Pékin et Pyongyang.

Sihanouk fut et est toujours très prolixe et rédigea plusieurs livres, donnant un aperçu intéressant de sa vie et de sa personnalité (La CIA contre le Cambodge, Chroniques de guerre et d’espoir, Souvenirs doux et amers, Prisonnier des Khmers Rouges, 1974-1986). Il possède même un site web où il commente quotidiennement l’actualité de son pays. On pourra consulter, sur son règne, les chapitres 10 et 11 de l’Histoire du Cambodge de Chandler, et l’excellente biographie d’Osborne, Sihanouk, Prince de Lumière, Prince de Ténèbres (1994).

Citer cet article

OEMV , Norodom Sihanouk , Mass Violence & Résistance, [en ligne], publié le : 10 Septembre, 2012, accéder le 17/05/2021, http://bo-k2s.sciences-po.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/norodom-sihanouk-0, ISSN 1961-9898
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