Discours de commémoration des 500 ans de la Réforme luthérienne

Auteur(s): 

Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS & directeur du CERI

Date de publication: 
Novembre 2017

En 2017, l’Allemagne célèbre les 500 ans de la Réforme protestante. Cette année a donc été ponctuée de festivités et d’événements relatifs à cet anniversaire. L’un des points d’orgue a été le discours prononcé à cette occasion par Angela Merkel le 31 octobre dernier. Alain Dieckhoff revient sur les enjeux toujours très actuels de cette révolution protestante.

Extraits du discours prononcé le 31 octobre 2017 par la chancelière Angela Merkel à Wittenberg

« La réforme a été avant tout un mouvement de renouvellement religieux qui visait une redéfinition fondamentale de la relation de l’homme à Dieu, à soi-même et à ses semblables. Au centre se trouve le message libérateur selon lequel la justification de l’homme ne peut venir que de la grâce et de la foi. Il ne peut acheter la grâce divine ni l’obtenir par des œuvres, elle lui est offerte comme croyant […] Même s’il n’est naturellement pas possible de tracer une ligne directe entre la Réforme, la démocratie et l’Etat de droit, la Réforme fut, sur la base de sa compréhension de la liberté, une force motrice dans le processus continu de renouvellement social et politique. Il s’agit dès lors d’entretenir son héritage intellectuel, culturel et religieux – d’autant plus qu’au 21e siècle également on peut tirer de la croyance réformée d’importants enseignements pour l’organisation de la coexistence sociale […] De même que la liberté de croire doit toujours être protégée contre le fanatisme religieux, la liberté religieuse requiert, d'un autre côté, que les religions soient protégées du mépris. Je tiens l'engagement en faveur de la liberté religieuse - dans notre pays comme dans le monde entier - pour une tâche commune de la politique et des églises. Cela ne contredit nullement la nécessaire séparation entre politique et églises, conformément à notre conception de l'Etat ; au contraire. Car même si notre Etat est, sans aucun doute, astreint à la neutralité religieuse ou idéologique, la politique ne peut pas et ne doit pas s’exonérer de sa responsabilité de protéger et de préserver un socle commun de valeurs indispensable à une coexistence fructueuse et pacifique, à l’intérieur d’un pays comme entre les nations […] L'éducation religieuse - qu'elle prenne place au sein de la famille ou dans le cadre d'un cours de religion ou d'études théologiques - est une tâche collective. Elle concerne les églises et les communautés religieuses, les gouvernements et les institutions éducatives ainsi que les médias et la société civile. L’éducation religieuse a aussi été une préoccupation fondamentale de la Réforme…….. Je suis également reconnaissante de la grande opportunité que le jubilé de la Réforme nous offre de renforcer dans la conscience de la société nos racines chrétiennes. Cette tâche demeurera après l’année de commémoration de la Réforme et le jubilé aujourd'hui, peut-être encore plus que par le passé. Nous devrions nous en souvenir au plus tard quand nous chanterons, lors du temps de Noël « Du haut du ciel, je viens à vous », le chant de quinze strophes composé par Luther.

Traduction par Alain.Dieckhoff. Source : https://www.bundesregierung.de/Content/DE/Bulletin/2017/10/106-1-bkin-reformation.html

Le 31 octobre, la chancelière Angela Merkel marquait par un discours solennel prononcé à Wittenberg, ville de Saxe, située au bord de l’Elbe, les 500 ans de la Réforme lancée par Martin Luther. C’est en effet dans cette cité que, cinq siècles auparavant, celui qui était alors un moine augustin afficha à la porte de l’église du château ses 95 thèses qui devaient marquer le début de la rupture avec Rome et partant, un bouleversement religieux et politique durable de l’Europe. Ce discours qui marquait également la fin d’une année de commémorations particulièrement dense fut tenu devant les plus hautes autorités politiques et religieuses d’Allemagne. Il est riche d’enseignements quant au rapport au religieux qui prévaut outre-Rhin.

D’abord, la chancelière évoque la dimension libératrice du protestantisme qui, en mettant l’accent sur le sacerdoce universel (égalité spirituelle entre croyants), a fait émerger une nouvelle conception de la liberté individuelle qui devait paver la voie à l’émergence de la démocratie moderne. Il ne s’agit pas de tracer un lien de causalité directe entre Réforme et démocratie, mais de souligner le rôle de germination que la première à jouer pour la seconde.

Ensuite, elle insiste sur la protection constitutionnelle de la liberté de croyance et de pratique religieuse. Tout en défendant la nécessaire séparation institutionnelle du politique et du religieux, la chancelière souligne que l’engagement en faveur de la liberté religieuse est un devoir commun des hommes politiques et des églises. Là où le modèle français voit dans la liberté de ne pas avoir de religion la preuve du caractère séculier de l’Etat, l’approche allemande voit dans l’exercice de la liberté religieuse la preuve de l’utilité d’un ordre étatique séculier. Cette différence reflète des trajectoires historiques dissemblables : en France, l’Etat républicain a été vecteur d’émancipation en s’opposant à l’Eglise catholique ; en Allemagne, l’ordre politique s’est édifié, dès la paix d’Augsbourg (1555), sur le principe de la coexistence religieuse (entre catholiques et protestants).

En troisième lieu, l’éducation (Bildung) par la religion que ce soit en famille, dans les cours de religion ou dans les facultés de théologie, est présentée comme un devoir collectif. Les églises sont vues comme des partenaires de l’Etat qui participent pleinement à l’élaboration du bien commun. En dispensant leur message religieux, elles contribuent, à leur manière, à développer la liberté dans la responsabilité.

Enfin, la chancelière termine en soulignant que le jubilé de la Réforme permet de renforcer la conscience collective des racines chrétiennes de la société allemande. Cette référence rappelle le débat houleux sur le projet de Constitution européenne de 2004 qui vit la France s’opposer à toute référence à ces mêmes racines alors que, de concert avec la Pologne et l'Italie, l'Allemagne y était favorable.

Ce discours commémoratif en dit finalement beaucoup sur la profonde différence d’approche du religieux par les autorités politiques de part et d’autre du Rhin.

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