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Rendre accessible l’évaluation des politiques publiques

À quoi sert l’évaluation des politiques publiques ? Comment les évaluations sont-elles produites ? Comment en faire connaitre les enjeux à un large public dans l’optique de renforcer la démocratie ? C’est à ces objectifs qu’est consacré l’ouvrage Évaluation : fondements, controverses, perspectives (Éditions « Science et bien commun », 2021), coordonné par Anne Revillard, directrice du laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), chercheuse au Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS) de Sciences Po, en collaboration avec Agathe Devaux-Spatarakis, Thomas Delahais et Valéry Ridde. Présentation.

Une « transdiscipline » encore trop peu connue

L’évaluation des politiques publiques consiste à mobiliser des méthodes de sciences sociales pour apprécier le fonctionnement et les effets d’interventions publiques ou visant un objectif d’intérêt général, en veillant à l’utilité des connaissances ainsi produites. Elle recouvre une pluralité de pratiques qui sont le fait d’une grande diversité d’acteurs : chercheurs qui apportent à l’évaluation ses bases méthodologiques —, mais aussi administrations, consultants, organisations internationales et organisations non gouvernementales. Depuis une cinquantaine d’années, ces pratiques ont donné lieu, sur le plan international, au développement d’un nouveau corpus de méthodes et de théories interdisciplinaires discuté dans des revues spécialisées. Parfois qualifié de « transdiscipline », ce corpus peine à s’institutionnaliser à l’université : les programmes doctoraux, par exemple, sont rares, de même que les postes ciblant spécifiquement les compétences nécessaires. Majoritairement anglophone, ce corpus reste peu connu des publics francophones qu’elle est susceptible d’intéresser : acteurs publics, associatifs, citoyens. Chez les académiques, il est mobilisé de façon très inégale selon les disciplines, et plus nettement dans ses dimensions méthodologiques que sous ses autres aspects, notamment en termes de réflexion sur les valeurs et sur l’utilisation des savoirs produits. La littérature internationale en évaluation, particulièrement foisonnante(1)par exemple:  Evaluation,  American Journal of evaluation, Canadian Journal of Program Evaluation,  Journal of MultiDisciplinary Evaluation, Evaluation review, New directions for evaluation, African Evaluation Journal, Evaluation Journal of Australasia., est par ailleurs marquée par une inflation de concepts qui tend à la rendre difficile d’accès, y compris pour les chercheurs chez qui ces nouvelles références viennent s’ajouter aux outils et cadres d’analyse de leurs disciplines.

Démocratiser l’évaluation

Dans ce contexte, notre objectif avec cet ouvrage est double. Il s’agit, d’une part, de démocratiser l’évaluation, au sens d’en favoriser l’accès à un public le plus large possible : chercheurs, étudiants, acteurs publics, organisations non gouvernementales, évaluateurs au sein des administrations, consultants en évaluation… mais aussi citoyens, tant l’évaluation revêt un enjeu démocratique essentiel, permettant de juger de la pertinence, de l’efficacité ou encore de la cohérence des interventions publiques.
Le souhait de faciliter l’accès à un public francophone en France et à travers le monde a guidé le choix d’une publication en français, avec la traduction de textes fondamentaux ou récents initialement publiés en anglais. Ce souhait de rendre l’évaluation accessible s’est aussi traduit dans le format de la publication, privilégiant de courts extraits de textes accompagnés de chapitres qui, rédigés par les coordinateurs de l’ouvrage, fournissent des points de repère théoriques et mettent en contexte les textes publiés pour en faciliter l’appropriation. Enfin, l’objectif de rendre l’évaluation accessible transparait, plus littéralement, dans le choix d’une publication en accès ouvert (open access) en partenariat avec les éditions québécoises « Science et bien commun ».

Universitaires et praticiens, des regards complémentaires

Un deuxième objectif de l’ouvrage est de faire dialoguer différents regards et pratiques en évaluation, et notamment entre pratiques professionnelles et académiques. L’équipe du projet est ainsi composée de deux chercheurs (Valéry Ridde, chercheur en santé publique au CEPED — UPC, et Anne Revillard, sociologue à Sciences Po [CRIS-LIEPP]) et de deux évaluateurs professionnels (Agathe Devaux-Spatarakis et Thomas Delahais, évaluateurs au sein de la SCOP Quadrant Conseil). Les différents chapitres ont été discutés par une diversité de collègues théoriciens et acteurs de l’évaluation.
Les échanges qui ont eu lieu en cours de rédaction ont fait émerger la complémentarité des regards, qui se reflète dans les thématiques traitées au fil des chapitres : alors que les chercheurs abordent plus volontiers l’évaluation sous l’angle de ses liens avec la recherche et des enjeux méthodologiques et épistémologiques (« L’évaluation est-elle une science ? », « La diversité des approches paradigmatiques »), les praticiens introduisent les enjeux de valeurs, d’organisation pratique de l’évaluation et d’utilité des connaissances (« Comment juger de la valeur des interventions ? », « Qui évalue et comment ? », « À quoi sert l’évaluation ? »).
Par exemple, la notion d’utilisation peut renvoyer à l’impact des résultats d’une évaluation donnée sur l’action publique (Quels changements ont été adoptés suite aux conclusions d’une évaluation ?). Mais on peut aussi envisager de façon plus large comment le processus même d’évaluation favorise la réflexivité des parties prenantes de la politique et leur apprentissage de la démarche d’évaluation (au-delà du cas particulier de la politique examinée à cette occasion). La question des critères d’évaluation, quant à elle, soulève celle des valeurs qui orientent les questions évaluatives et la formulation d’un jugement sur les interventions. Ainsi dans son article L’évaluation contribue-t-elle au bien commun ? Sandra Mathison montre qu’au-delà des termes fixés par un commanditaire, il est nécessaire de réfléchir aux critères d’évaluation avec un souci du bien commun, en se plaçant du point de vue des groupes les plus défavorisés.
Le champ de l’évaluation a ainsi donné lieu à des réflexions originales et particulièrement stimulantes sur la place des valeurs dans le processus de production des savoirs (notamment à travers la réflexion sur les critères d’évaluation), et sur l’utilisation du processus et des résultats des évaluations. Autant de réflexions que les pratiques plus académiques de recherche gagnent aussi à investir !

Ouvrage coordonné par :

  • Thomas Delahais : évaluateur et cofondateur de la société coopérative Quadrant Conseil. Ses travaux portent sur l’évaluation des interventions complexes et en particulier sur l’analyse de contribution ; sur l’évaluation des initiatives de transition ; et sur la sociologie de l’évaluation. Il est membre du bureau éditorial de l’Évaluation Journal.
  • Agathe Devaux-Spatarakis : consultante et chercheuse pour la Scop Quadrant Conseil. Agathe conduit des missions d’évaluation de politiques publiques et d’accompagnement méthodologique pour le compte d’organisations publiques en France et à l’international. Docteure en science politique, elle est spécialisée dans les méthodes d’évaluation adaptées aux innovations et expérimentations ainsi que l’étude de l’utilisation des résultats par les décideurs publics.
  • Anne Revillard : professeure associée en sociologie à Sciences Po, membre du Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS) et directrice du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP).
  • Valéry Ridde : directeur de recherche au CEPED, une unité de recherche commune à Université Paris Cité et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Il est actuellement basé à l’Institut de la santé et du développement (ISED) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal).