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Refuser le dépistage de la trisomie 21 : un choix raisonné

Laura - Séance de portrait pour la campagne 2018 de l'association "Tombée du Nid", pour la reconnaissance des personnes porteuses de trisomie 21. CC BY-NC-ND 2.0

Laura - Séance de portrait pour la campagne 2018 de l'association "Tombée du Nid", pour la reconnaissance des personnes porteuses de trisomie 21. Crédit photo : Loïc Cas CC BY-NC-ND 2.0

Comment comprendre que des femmes enceintes refusent un dépistage de la trisomie 21(1)Il s’agit d’un trouble génétique pouvant entraîner des incapacités physiques et mentales, sans qu’il soit possible d’en prédire l’étendue et la gravité avant la naissance (certaines formes sont légères). Sa prévalence est de 2,7 sur 1000 en France. Plusieurs méthodes de dépistage existent, elles n’ont pas toutes la même fiabilité. Depuis 2014, des méthodes non invasives sont proposées en première intention (par échographie, analyses sanguines), avec, en cas de suspicion, un prélèvement du liquide amniotique par amniocentèse ou sur les tissus du placenta à l’aide d’une aiguille, ce qui peut entraîner des risques., trouble génétique invalidant, lorsqu’il leur est proposé ? Afin de répondre à cette question, Gaëlle Larrieu, et deux de ses collègues(2)Caroline Lafarge (School of Human and Social Sciences, University of West London), et Isabelle Ville (Centre d’études des mouvements sociaux, EHESS ont entrepris une enquête, interrogeant en ligne 1726 femmes enceintes dans les cinq années précédentes parmi lesquelles 217 avaient refusé le test (soit 12,6 %).  À partir de leurs réponses au questionnaire incluant des commentaires, et d’entretiens approfondis complémentaires, leur étude, publiée dans la revue Midwifery(3)‘’Why do French women refuse to have Down’s syndrome screening by maternal serum testing? A mixed methods study’’,  Caroline Lafarge, Gaëlle Larrieu et Isabelle Ville, Midwifery, Juillet 2022 a permis d’étudier et caractériser cette population à l’aide de variables sociodémographiques, de leurs connaissances de la trisomie et de leur vécu de grossesse.  Interview

Pourquoi s’être intéressé à cette problématique ?

Gaëlle Larrieu : J’ai eu la possibilité de participer à ce projet passionnant, autour des enjeux du dépistage prénatal, dès le début de ma thèse. Ce sujet fait écho à mes recherches doctorales portant sur les expériences parentales autour des variations du développement sexuel, lesquelles sont de plus en plus diagnostiquées pendant la grossesse. Plus largement, ma recherche m’a amené à interroger les relations de pouvoir entre patientes et équipes médicales ainsi que les enjeux de consentement, deux thématiques centrales également dans notre travail sur le dépistage prénatal. En fin de compte, c’est un sujet qui touche à la fois à la santé publique, aux questions de genre et de croyances, au droit à l’intégrité physique et aux rapports entre patients et professionnels de santé.

Que peut-on dire sur cette population qui refuse le parcours de test préconisé par la Haute Autorité de Santé et remboursé par l’Assurance maladie ?

G. L. : Plusieurs caractéristiques distinguent les femmes qui refusent les tests de dépistage(4)Le Dépistage de la trisomie 21, Haute Autorité de la santé publique, 2018 de celles qui les acceptent : elles sont davantage éduquées, elles ont plus de chance d’avoir au moins deux enfants. En raison de ces expériences préalables, elles connaissent mieux, avant même le début de cette grossesse, les différentes étapes du diagnostic prénatal et ce qu’il implique.

Echographie obstétricale. Source Centre d’Imagerie Médicale Pyrénées – Bolivar 2021

Elles ont également plus de chance d’avoir déjà été en contact avec une personne ayant une trisomie 21 et mettent davantage en avant des caractéristiques positives associées à ce syndrome. Enfin, elles se sont avérées moins anxieuses au cours de leur grossesse.

Quels sont les raisons ou arguments avancés pour refuser le test ?

G. L. : La moitié des femmes qui refusent le dépistage indiquent avoir fait ce choix, car elles souhaitent garder l’enfant, quel que soit le résultat. Elles mettent aussi en avant le fait que les images d’échographie et la mesure de la clarté nucale peuvent suffire à les rassurer et que des examens médicaux supplémentaires ne feraient qu’augmenter leur anxiété. Elles considèrent que le dépistage n’est pas utile dans leur cas, d’autant plus qu’elles connaissent les implications de cette étape du dépistage. En effet, le tri-test (c’est-à-dire le dosage des marqueurs sériques) doit être complété par d’autres examens, sans quoi il n’est pas fiable. Or, les autres examens et particulièrement l’amniocentèse sont davantage invasifs et peuvent entrainer une fausse couche. Elles sont également plus nombreuses à souhaiter limiter la médicalisation de leur grossesse, ce qui leur apparait comme une façon de rester davantage en contrôle. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, peu des femmes interrogées expliquent leur choix en faisant référence à la religion ou à la « nature ».

Le regard porté sur la trisomie et la projection d’élever un enfant porteur de cette anomalie génétique joue-t-elle un rôle majeur ?

G. L. : Oui, tout à fait ! Les femmes qui refusent le dépistage sont en proportion plus nombreuses à avoir déjà été en contact avec une personne ayant une trisomie 21, qu’il s’agisse de membres de leur famille, voisin. e. s  ou simples connaissances. Lorsqu’elles en parlent, elles évoquent à la fois les difficultés associées au syndrome, mais mettent surtout en avant des éléments positifs : la « joie de vivre », la bonne humeur. Leur rapport au handicap et leur volonté d’inclusion constituent des éléments importants pour comprendre leur parcours.

Comment s’opère le consentement ? Y a-t-il des cas où il est fait sans accord ?

G. L. : Un des résultats importants de notre étude, menée entre 2015 et 2018, est de montrer qu’accepter le tri-test est considéré par le corps médical comme le choix par défaut. Parmi les femmes qui acceptent de faire le test, la majorité d’entre elles (58 %) pense qu’il s’agit d’un examen de routine, voire d’une obligation du parcours de grossesse. En effet, certaines indiquent n’avoir pas compris que le test n’était pas obligatoire ou s’être senties contraintes de l’accepter. Seules 29 % des femmes qui ont accepté le test indiquent avoir pris cette décision en amont de l’échographie du premier trimestre durant laquelle ce test est évoqué. Ainsi, dans un contexte où ce test est fortement recommandé par les équipes médicales et où les asymétries d’information sont importantes concernant les étapes du dépistage, y consentir apparait rarement comme un choix. Cette absence de choix est encore plus prégnante concernant la mesure de la clarté nucale (une autre technique de dépistage) lors de la première échographie, qui fait rarement l’objet d’une discussion. Refuser le dépistage est, au contraire, présenté comme un choix par les femmes concernées, et comme un choix difficile puisque cela suppose de s’opposer à une norme bien établie.

Le refus du dépistage donne-t-il lieu à des discussions avec le personnel de santé ?

G. L. : Les femmes sont souvent tenues de justifier leur choix, face à des professionnel.le. s de santé qui sont, majoritairement, plutôt hostiles à ce refus. Elles ressentent une pression exercée par les professionnel.le. s , surtout au sein des hôpitaux. L’argument mis en avant est celui de la santé de l’enfant, ce qui contribue à la culpabilisation des mères. Ces dernières mettent en place des stratégies afin de rester actrices de leur grossesse, une volonté forte chez la plupart d’entre elles.

Laura - Séance de portrait pour la campagne 2018 de l'association "Tombée du Nid", pour la reconnaissance des personnes porteuses de trisomie 21. CC BY-NC-ND 2.0

Laura – Séance de portrait pour la campagne 2018 de l’association « Tombée du Nid », pour la reconnaissance des personnes porteuses de trisomie 21. Crédit photo : Loïc Cas CC BY-NC-ND 2.0

Pour autant, certaines femmes témoignent de davantage d’écoute, et notamment lorsqu’elles sont suivies par des sages femmes en dehors de l’hôpital. Dans ce contexte, elles expriment davantage avoir été comprises et accompagnées dans leur démarche.

Avez-vous pu mesurer dans quelles conditions se faisaient l’information aux patientes et le dialogue — s’il y en a — entre praticiens et femmes enceintes ?

G. L. : Pas directement dans cette étude, mais je vous renvoie à un autre article de mes deux co-autrices, ainsi qu’un travail plus ancien qui montrent que les informations sont transmises dans un cadre émotionnellement chargé et dans un temps contraint, ce qui participe à produire des formes d’ignorance.

Quelles préconisations pourriez-vous formuler aux professionnels et aux pouvoirs publics, après votre constat ?

G. L. : Notre étude met en évidence le défi émotionnel et cognitif que constitue le fait de refuser le dépistage. Loin d’une attitude dogmatique, ces femmes font un choix guidé par leurs expériences préalables, leur désir de contrôler leur grossesse et leur rapport au handicap. Plutôt que de les juger, il serait nécessaire de les accompagner dans ce choix.

Propos recueillis par Bernard Corminboeuf, CRIS

Gaëlle Larrieu est jeune docteure en sociologie. Elle enseigne au département de sociologie de l’université Grenoble Alpes depuis la rentrée. Elle a conduit ses travaux de thèse au Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS) sous la direction de Marta Dominguez Folgueras, Associate professor en sociologie au CRIS et de Anne Revillard, Associate professor au CRIS et directrice du LIEPP. Elle a soutenu sa thèse « Entre leurs enfants et les médecins : les expériences parentales des variations du développement sexuel » le 13 octobre 2022 à Sciences Po.

Notes

Notes
1 Il s’agit d’un trouble génétique pouvant entraîner des incapacités physiques et mentales, sans qu’il soit possible d’en prédire l’étendue et la gravité avant la naissance (certaines formes sont légères). Sa prévalence est de 2,7 sur 1000 en France. Plusieurs méthodes de dépistage existent, elles n’ont pas toutes la même fiabilité. Depuis 2014, des méthodes non invasives sont proposées en première intention (par échographie, analyses sanguines), avec, en cas de suspicion, un prélèvement du liquide amniotique par amniocentèse ou sur les tissus du placenta à l’aide d’une aiguille, ce qui peut entraîner des risques.
2 Caroline Lafarge (School of Human and Social Sciences, University of West London), et Isabelle Ville (Centre d’études des mouvements sociaux, EHESS
3 ‘’Why do French women refuse to have Down’s syndrome screening by maternal serum testing? A mixed methods study’’,  Caroline Lafarge, Gaëlle Larrieu et Isabelle Ville, Midwifery, Juillet 2022
4 Le Dépistage de la trisomie 21, Haute Autorité de la santé publique, 2018