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Les petits États insulaires face au changement climatique

Entretien avec Carola Kloeck et Michael Fink *

© 2017 Göttingen State and University Library

Avec le réchauffement climatique, les habitants de certaines petites îles risquent de voir leur vie changer radicalement. Pourquoi sont-elles plus vulnérables au danger majeur que représente le dérèglement climatique ? Comment ces petits États affrontent-ils cet immense défi? Il ne fait pas de doute que nous pouvons apprendre collectivement de leur expérience. Dans cet entretien, Carola Kloeck et Michael Fink répondent à certaines de ces questions, abordées par ailleurs dans l’ouvrage qu’ils ont codirigé, Dealing with climate change on small islands: Towards effective and sustainable adaptation (1)(( Télécharger l’ouvrage en version intégrale, pdf), (Presses de l’Université de Goettingen, 2019).

Vous estimez que les petites îles sont des « zones sensibles » du dérèglement climatique. Pourriez-vous définir la catégorie « petites îles » et ce que vous entendez par « zone sensible » ?

La taille est évidemment un concept relatif et il n’est donc pas possible de définir précisément quelles sont les « petites îles ». L’ouvrage s’intéresse en particulier à la catégorie des Petits États insulaires en développement (les PEID – qu’on appelle en anglais, Small Island Developing States, SIDS) utilisée par les Nations unies. On en compte environ 50 à travers les océans, parmi lesquels on peut citer la Papouasie-Nouvelle Guinée (assez grande) et Nauru dans le Pacifique, la Réunion et les Maldives dans l’Océan indien, les Iles vierges britanniques et américaines et Trinidad et Tobago dans les Caraïbes.
Quand on évoque les petites îles, la plupart des gens pensent à celles qui sont menacées de disparition, mais la réalité est plus complexe. Certaines îles qui sont des atolls, comme les Maldives et Kiribati, se trouvent à peine quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Mais même si l’augmentation du niveau des eaux est problématique, les atolls ne disparaîtront pas nécessairement.

After the rain in Mayaro Beach, Trinidad, West Indies © Edmund Gall CC BY-SA 2.0

Dans notre ouvrage nous y consacrons un chapitre spécifique et nous évoquons notamment leur potentiel d’adaptation. Au-delà des atolls, il existe bien d’autres îles, y compris les îles montagneuses qui souffrent également des conséquences du dérèglement climatique, vecteur d’érosion, de sécheresse ou de tempêtes à l’intensité accrue. Même l’objectif le plus ambitieux du maintien de l’augmentation de la température mondiale à 1,5°C peut se révéler dévastateur pour les populations insulaires, c’est la raison pour laquelle nous les considérons comme étant des « zones sensibles ».

Quelles mesures sont prises dans ces îles pour lutter contre les conséquences du changement climatique, par qui et pourquoi ? Y-a-t-il des conflits autour de ces enjeux ?

Les sociétés insulaires ont de longues histoires de survie dans des conditions difficiles. Elles se sont constamment adaptées à des environnements et à un climat changeants. Elles ont développé une variété de stratégies pour affronter ces défis au cours des siècles. De fait, leur adaptabilité et leur savoir local contribuent à leur capacité de résistance.
Les États insulaires ont également commencé à relever ce nouveau défi du changement climatique en construisant des digues ou en déplaçant des villages entiers par exemple, comme à Fidji. De plus, la plupart des PEID ont des politiques et des plans nationaux dédiés à la façon de faire face au changement climatique et la problématique est dorénavant intégrée à leur développement.

Seawal, Lhaviyani Atoll, Maldives © Romain Pontida CC BY-SA 2.0

Toutefois, comme nous le montrons dans l’ouvrage, toutes les mesures ne sont pas nécessairement efficaces et durables. Les digues peuvent s’effondrer par exemple, la relocalisation pose des problèmes culturels et identitaires, notamment lorsque le lieu d’habitation d’origine est destiné à être inondé de manière permanente. De même, les politiques et les plans ne sont pas systématiquement mis en œuvre ni vérifiés ou évalués. Souvent, l’adaptation ne se fait que lorsque l’Ėtat peut bénéficier d’une aide financière mais une assistance externe pose de nouveaux problèmes. Cette dernière question, ancienne, se rapporte à l’aide attribuée aux pays en voie de développement en général et a fait l’objet de nombreux travaux universitaires. Un des constats auxquels ces études sont parvenues est que les pourvoyeurs de fonds concentrent leurs aides sur des « projets pilotes » dont la durée est souvent insuffisante pour que leurs effets à long terme puissent être appréciés, d’autant que les pouvoirs nationaux sont rarement à même de prendre le relais.

Mais nous montrons également que les populations insulaires sont créatives, qu’elles expérimentent plusieurs mesures et qu’elles disposent d’un répertoire de stratégies d’adaptation. Notre ouvrage aborde des cas d’adaptation locale à Samoa, dans les îles Salomon et à Fidji, qui montrent la résistance des populations insulaires et leur adaptabilité. La réussite des diverses stratégies à long terme reste à évaluer.

Que peuvent-nous apprendre les petites îles sur l’adaptation au changement climatique ?

Ebeye Island in Kwajalein Atoll © NASA

Comme nous l’avons déjà signalé, les petites îles ont une histoire de résistance riche, un savoir local extraordinaire et une longue expérience de l’adaptation à toutes sortes de changements. Si ces petits États risquent d’être parmi les premiers à être touchés par le dérèglement climatique, c’est bien le monde entier qui doit s’y adapter. Il est donc pertinent d’analyser les expériences, les pratiques mais aussi les erreurs de l’adaptation au changement climatique dans les petites îles, d’examiner les mesures qui y ont été prises, ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné et pourquoi.

Les petites îles peuvent également apprendre les unes des autres, même si chaque cas diffère et s’il n’existe pas de solution unique au dérèglement climatique. Des partages d’apprentissage sont possibles et peuvent être utilisés. Ce peut être notamment le cas de la lutte contre l’érosion côtière. Ces petits États insulaires possèdent des ressources très limitées, ce qui n’est pas surprenant au vu de leur taille. Tuvalu, par exemple, ne compte que 12 000 habitants ! Partager les expériences peut donc permettre une économie de moyens, à condition bien sûr que les spécificités de chaque environnement soient bien prises en compte. 

Îles du Détroit de Torrès © PeterTHarris / Wikimedia Commons

À ce jour, il existe encore peu d’études comparatives et peu d’échanges entre les îles, à la fois du point de vue de la recherche et de celui des interventions concrètes. Il est probable que les spécialistes des Caraïbes en savent peu sur ce que font les habitants des îles du Pacifique et vice versa. Avec notre ouvrage nous cherchons à pallier ces lacunes en permettant aux chercheurs de plusieurs disciplines différentes – de l’anthropologie à la géographie et la philosophie – et spécialistes de diverses aires géographiques de collaborer.

Pour conclure, les petits États insulaires sont-ils prêts selon vous à affronter le dérèglement climatique ?

Bannda traditional boat, Maluku (Moluques) © Collin Key CC BY-NC-ND 2.0

Personne n’y est prêt. Il faudrait que nous fassions beaucoup plus pour nous préparer aux conséquences du dérèglement climatique! Cela s’applique également aux petites îles d’autant qu’elles ont à faire face à de nombreux autres défis tels que la pollution, l’urbanisation ou le déséquilibre du commerce international.

À cet égard, il est évident qu’il ne faut pas faire porter un poids trop important sur les petits États insulaires qui ne contribuent pratiquement pas aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (à peine 1% entre 1960 et 2014). En revanche, ils subissent leurs effets de manière disproportionnée. L’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre, constitue la principale réponse au dérèglement climatique. Les principaux émetteurs—les États Unis, les pays producteurs de pétrole, l’Europe—doivent être les premiers à agir et ils doivent le faire rapidement !

Carola Klöck est assistant professor en science politique, rattachée au Centre d’études internationales de Sciences Po (CERI). À l’interface de la science politique, de la géographie humaine et des études du développement, sa recherche porte sur l’adaptation au changement climatique et la politique du changement climatique plus généralement.  
Michael Fink a soutenu une thèse en géographie à l’université de Göttingen où il a ensuite enseigné, ainsi qu’à la University of the South Pacific à Fiji. S’appuyant sur la méthode participative, sa recherche porte sur la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique et aux risques naturels majeurs à partir du cas de la région des îles pacifiques.

Propos recueillis et traduits par Miriam Périer

Pour aller plus loin

IPCC 5th Assessment Report, Chapter 29 on Small Islands

Carola Klöck and Patrick D. Nunn – “Adaptation to Climate Change in Small Island Developing States: A Systematic Literature Review of Academic Research,” Journal of Environment and Development, 2019

Carola Klöck, Hellena Debelts, and Michael Fink – Conference report: Dealing with Climate Change on Small Islands – Towards Effective and Sustainable Adaptation in Pacific Geographies 2019