Transmission et exploitation d’un patrimoine : le cas des pompiers de Valparaíso

Écrit par Claire Bénard ; Alice Martin-Prével ; Marie-Aimée Prost

Introduction et problématique

Le concept de mémoire s'impose comme une évidence dans le langage courant. Pourtant, c'est un terme polysémique qui s'utilise pour décrire toutes sortes d'événements. Marie-Claire Lavabre en dresse une liste qui ne saurait être exhaustive : « souvenirs de l'expérience vécue, commémorations, archives et musées, mobilisations politiques de l'histoire ou « invention de la tradition », monuments, (...) mais aussi, traces incorporées du passé, occultations et falsifications de l'histoire ». Dans cet article, on comprendra la mémoire comme toutes les manifestations du passé dans le présent à travers la transmission d'un patrimoine culturel, social ou matériel.

Au regard de la liste précédemment citée et de la définition retenue, si l'on ne connaît pas la spécificité des pompiers de Valparaíso, on imagine mal qu'ils puissent rappeler, de quelque manière que ce soit, l'histoire de l'immigration européenne. Cependant, au fil des entretiens réalisés, il s'est avéré que les compagnies de pompiers constituent, dans l'esprit des porteños, un héritage de l'immigration et une institution productrice de mémoire.

En effet, n'existe pas de corps de pompiers professionnels au Chili : tous sont basés sur le volontariat et fonctionnent sans aide de l'Etat depuis maintenant 160 ans. Il s'agit donc d'un système des plus étonnants qui perdure et qui, malgré les évolutions sociétales extérieures, s'attache à conserver ses traditions d'origine. A cette information s'ajoute l'importance de l'immigration européenne dans la création de ces corps de pompiers durant l'âge d'or de l'histoire du port au XIXe siècle.

Dès lors, l'on peut supposer que les traditions et l'identité européenne de ces institutions a traversé le temps. Néanmoins, dans quelle mesure et sous quelle forme perdure cette identité originale ? Quels liens demeurent avec les pays d'origine des fondateurs des compagnies ? En quoi constituent-ils une source de mémoire ?

Il s'agira d'abord de présenter l'historique du corps de pompiers de Valparaíso pour mieux comprendre cette institution. Ensuite, l'analyse des résultats de l'enquête nous montrera que les pompiers sont une source de mémoire, qui peut prendre différentes formes. Enfin nous verrons qu'ils dépassent même ce rôle en entretenant, à l'heure actuelle des relations politiques plus ou moins importantes avec les pays d'origine de leurs fondateurs.

Historique et évolution

Au XIXe siècle, Valparaíso est le port le plus dynamique du Chili. La ville connaît une affluence trop importante qu'elle peine à absorber et, dans cette urbanisation chaotique le feu est un véritable fléau. Les incendies sont d'abord combattus par le voisinage mais après plusieurs drames, les commerçants - qui arrivent en masse pour profiter des opportunités qu'offre le port - ressentent le besoin de s'organiser pour protéger leurs biens et leur capital productif. C'est donc d'une nécessité pragmatique que vont naître les premières organisations de lutte contre le feu pour conduire à la création du premier corps de pompiers volontaires du Chili, en 1851, à Valparaíso. Quatre compagnies, autonomes dans leur fonctionnement mais coordonnées dans l'action, se forment : chacune se spécialise dans une fonction pour lutter efficacement contre les différents types de dégâts. L'initiative est plébiscitée et plus de 300 personnes y prennent part.

Le nom des fondateurs de ce premier corps de pompiers (Stevenson, Duprat, Loring et Brown) nous laisse déjà percevoir l'importance qu'ont eue les immigrés dans la mise en place de cette institution. En effet, au fil du XIXe, les compagnies qui naissent sont pour la plupart des initiatives de membres des colonies européennes et portent encore le nom du pays de leur fondateur. Ces compagnies de pompiers, étant fortement liées aux colonies, deviennent des pôles attractifs de la vie sociale et véhiculent un certain prestige.

Au cours de la fin du XIXe et pendant le XXe siècle, ces institutions connaissent de nombreux progrès technique et une large démocratisation. Pourtant, malgré ces deux changements, les compagnies de pompiers restent très conservatrices de leurs valeurs, de leurs traditions propres et de leur identité. D'autre part, la lutte contre le feu implique des réunions fréquentes, une présence notable dans la ville et des liens entre les compagnies permettant donc la prolongation de la dimension sociale des associations de pompiers.

Au regard de cet historique, on comprend qu'être pompier à Valparaíso va au-delà de la lutte contre le feu. Il s'agit d'appartenir à une institution et de la faire vivre.

Protocole de l'enquête

Le corps de pompiers de Valparaíso se constitue aujourd'hui de 16 compagnies. Parmi celles-ci, 7 furent fondées par des immigrants européens entre la deuxième moitié du XIXe et les premières années du XXe.

Le choix s'est porté sur 4 compagnies dont les caractéristiques propres rendaient la comparaison pertinente :

- La 11th fire Company « George Garland » (Undécima), qui fut créée en 1901 par un groupe d'immigrés britanniques.

- La Sesta Compañía Cristoforo Colombo, fondée en 1858 par des immigrés italiens. Elle attire l'attention car aujourd'hui, c'est la seule compagnie qui n'accepte que les volontaires ayant un ancêtre paternel italien. Les autres compagnies ont du renoncer à cette condition il y a longtemps, faute d'effectif.

- La Quinta Compañía « Pompe France » née le 1er juin 1856 suite à une initiative de la colonie française. Cette compagnie apparaît sur le site de l'ambassade de France à côté d'institutions comme l'Alliance Française, c'est la seule à avoir ce type de lien.

- La Octava Compañía de Zapadores franco-chilenos qui découle de la précédente. En effet, les effectifs de la « Pompe France » étaient tels que la compagnie s'était divisée en deux : une de pompiers (la 5e) et une de sapeurs (la 8e). Cependant, avec le temps, les Français se sont désintéressés de la seconde qui a par conséquent changé de nom en 1919.

Cette dernière compagnie est alors particulièrement intéressante pour notre comparaison car on peut considérer qu'elle n'a plus de liens avec l'immigration européenne mais elle partage le même contexte historique et les mêmes raisons de création. Elle est donc le témoin qui permet de déterminer quelles caractéristiques sont propres aux compagnies de pompiers et lesquelles sont corrélées à l'origine européenne de ces institutions.

Les compagnies espagnoles ont été écartées de la comparaison car l'étude générale dans laquelle s'inscrit cet article ne traite pas des traces de l'immigration espagnole. Enfin, la compagnie allemande qui aurait eu sa place dans la comparaison n'a pas répondu à notre appel.

Résultats : les compagnies de pompiers de Valparaíso et la mémoire.

I-      Les pompiers de Valparaíso : une institution singulière

Le précédent rappel historique du contexte de la formation du corps de pompiers de Valparaíso (et du Chili en général) a montré l'originalité du système pour son caractère volontaire et la faible intervention de l'Etat, bien qu'il s'agisse d'une activité nécessaire à la société. L'émergence d'un tel organisme s'explique par les besoins urgents de l'époque tandis que sa permanence au XIXe siècle se justifie par une forte reconnaissance sociale à laquelle s'ajoute le besoin des jeunes porteños du XIXe de démontrer leur héroïsme. Néanmoins, la continuité de cette institution aujourd'hui, dans un contexte économique, social,  politique et technologique si différent, a de quoi surprendre.

Dans cette partie, il s'agit donc de dégager les points communs qui ressortent des rencontres avec les quatre compagnies de pompiers afin de mieux les comprendre et d'en définir quelques traits caractéristiques.

D'abord, les enquêtés se sont montrés fiers d'appartenir au corps de pompiers, d'une part pour sa sélectivité - « en Chile, no cualquier es bombero » (pompier de la 8e Compagnie) - et d'autre part pour le caractère volontaire de  l'institution et l'image que cela renvoie « Sabes que somos los bomberos voluntarios más antiguos del mundo y siempre, siempre, hemos tenido este gusto por ser bombero. Sinceramente si tú me preguntas ahora "¿te conviene o prefieres que te paguen?" yo te diría que no. Y yo creo que te lo responderían todos los bomberos de Chile. Queremos servir a la comunidad. » (pompier de la 5e compagnie).

Par ailleurs, il faut savoir qu'appartenir à une compagnie de pompier à Valparaíso ne se limite pas à être pompier. Chaque compagnie développe une vie sociale importante. A titre d'exemple, toutes se rassemblent chaque mois au jour qui correspond à son numéro de la compagnie (ie. la 5e compagnie le 5 de chaque mois, etc.). Les membres de la 6e compagnie se retrouvent aussi tous les vendredis, ceux de la 5e ont pour tradition les dîners du jeudi et la 8e compagnie a adopté un chien, mascotte de la caserne, dont chacun s'occupe avec beaucoup d'attention. On voit donc que, comme à l'origine, la compagnie est une instance de socialisation et un lieu de vie.

Cette vie sociale est une partie de l'identité de la compagnie à laquelle s'ajoutent son histoire et les valeurs qu'elle défend (rappelées par son slogan). Dans chacune d'elles, on voit la volonté de transmettre cette identité et que chaque nouvelle recrue l'adopte totalement. « Cuando entra (un nuevo bombero) en está compañía, se enamora y va a vivir toda su vida enamorado de ella. Si no, bajo las presiones que hay, sabemos que en un momento corto se va a ir. » (capitaine de la 11e compagnie). « Generalmente tú entras en una compañía y "mueres" dentro de tu compañía » (pompier de la 6e compagnie)

Cet attachement à l'institution se traduit par une forte volonté de mémoire, notamment par la conservation systématique d'un patrimoine matériel historique : il peut s'agir des uniformes des volontaires décédés en action, des premiers casques utilisés par les fondateurs de la compagnie, des livres de bord qui relatent tout ce qui se passe dans la caserne depuis sa création et dans les moindres détails, des cartes postales des pompiers européens partis au combat pendant les guerres mondiales ou encore des anciens véhicules qui ne sont plus en fonctions (« todos tienen sus relquias », pompier de la 8e ). La conservation de ces objets contribue à la préservation de l'identité de la compagnie, thème essentiel aux yeux des volontaires. « La diferencia con una empresa es que, cuando llega un nuevo computador, no vas a guardar el antiguo para recordarte de como era antes, porque no te importa la historia de la empresa mientras que sí, te importa el pasado de la compañía. También es una cuestión de respeto por los que dieron su vida a la compañía » (secrétaire de la 11e compagnie).

On voit donc qu'au Chili, les compagnies de pompiers dépassent largement l'objectif pragmatique de sécurité de la population. En réalité, elles constituent de véritables réseaux sociaux, porteurs d'une identité qu'ils cherchent à conserver dans le temps.

II-    Les compagnies issues de l'immigration européenne : des puits de mémoire

Après avoir mis en valeur l'originalité des pompiers chiliens, il s'agit maintenant de comprendre comment les compagnies issues d'initiatives européennes peuvent être productrices de mémoire de l'histoire de l'immigration. Pour ce faire, nous analyserons les points communs à la 5e, la 6e et la 11e compagnies afin de montrer qu'en plus de posséder un héritage européen les pompiers le valorisent et cherchent à le transmettre.

La première manifestation du devoir de mémoire des pompiers appartenant à des casernes fondées par des immigrants européens se trouve sur les murs du bâtiment. On découvre une carte de l'Italie à l'entrée de la Sesta et son équivalent anglais à la Undécima. Les drapeaux tricolores et les inscriptions en français décorent les murs de la « Pompe France ». Dans la salle de réception des 3 casernes on retrouve les drapeaux des pays des fondateurs. Les portraits de la famille royale trônent à côté de ceux des martyrs dans la caserne britannique et les photos des rencontres de la « Pompe France » avec les pompiers marseillais, ainsi que le blason des pompiers de Marseille ne peuvent échapper à celui qui pénètre dans le bâtiment de la Quinta. Cette décoration qui met largement en évidence la part européenne de l'identité de la caserne montre une volonté de revendiquer l'origine de l'institution. Un effort reconnu d'après le capitaine de la 11th fire Company « siempre nos destacan por la gran presencia inglesa que hay ahí (...) se siente cuando alguien entra que está una compañía inglesa ».

La langue, autre vecteur de mémoire d'une culture, est assez peu utilisée car elle n'est plus parlée par les pompiers. D'ailleurs, les livres de bord rédigés par les pompiers sont, depuis de nombreuses années déjà, en espagnol. Cependant on retrouve la langue européenne dans les chants (hymnes ou chants des célébrations), les ordres simples de formation et le nom de la compagnie - 11th Fire Company, Sesta compagnia di pompieri, Pompe France - ce qui illustre la détermination des pompiers à faire survivre les quelques traces linguistiques.

D'ailleurs, cette volonté de mémoire trouve un renouveau ces dernières années dans les compagnies italienne et britannique. La jeune génération de descendants italiens, enthousiasmée par les voyages pour des exercices en Italie, souhaite renforcer les liens avec « la mère patrie » (expression utilisée par l'enquêté) en « ressuscitant des traditions qui se sont bien perdues » (idem). Par exemple, depuis l'année dernière, les ordres en formation se donnent en italien et à l'avenir, la compagnie voudrait célébrer la fête nationale italienne avec le consulat. De son côté la 11e compagnie reprend les chants en anglais depuis qu'elle a fêté son centenaire - ce qui souligne une fois de plus l'importance de la mémoire dans la vie des casernes.

Néanmoins, c'est la volonté d'éducation des nouveaux arrivants qui illustre le mieux la détermination à transmettre la culture. En effet, n'entrent à la Pompe France que les jeunes formés par la brigade juvénile de cette compagnie où l'on apprend l'hymne de la Pompe France en français, la Marseillaise, les ordres en français et les principes de la compagnie. Si un jeune au nom italien frappe à la porte de la Sesta Compagnia,

il doit d'abord apprendre les ordres en italiens et l'histoire de sa famille avant de pouvoir devenir pompier. Chaque nouvel arrivant de la 11th Fire Company se voit expliquer l'histoire de l'institution par un ancien, afin qu'il adopte l'identité de la compagnie dans sa totalité.

Enfin, il est important de noter que l'identité européenne des compagnies de pompiers n'a pas un impact limité à la vie de la caserne. En effet, ces institutions sont reconnues comme une présence culturelle du pays européen au Chili, au même titre - quasiment - qu'un institut franco/italo/britannico-chilien. En  effet, elles sont le passage obligé des personnages politiques en visite protocolaire et l'ambassade participe systématiquement à la célébration des anniversaires de la compagnie.

La partie européenne de l'identité des 5e, 6e et 11e compagnies occupe une part importante du patrimoine matériel et culturel. Cet héritage survit dans le temps car les pompiers montrent une véritable volonté de conservation et transmission.  Cependant, chaque compagnie connaît une évolution différente et il sera intéressant de noter dans la partie suivante ce qui fait la spécificité de chacune d'entre elles.

III-      Les spécificités dans l'évolution de chaque compagnie

Si la Sesta compagnia ne se compose que de descendants italiens, la 11th Fire company quant à elle n'a plus un seul nom britannique dans ses rangs (et ce depuis les années 1970). La production de mémoire de ces deux institutions ne peut donc pas être similaire. Les paragraphes suivants développeront la spécificité de chacune des compagnies.

 La Sesta compagnia, bien qu'ayant été une des premières compagnies fondées (fondation du corps en 1851 et de la Sesta compagnia en 1858), réussit à conserver sa condition de descendance et à rassembler 56 membres (donc autant que les autres compagnies). La caserne s'intègre totalement au réseau des associations italiennes, c'en est même l'institution clef sachant la perte d'influence du Stade italien. Par exemple, la Sportiva et la Canottieri deux clubs de sport fondés en leur temps par des immigrés italiens, se réunissent à la caserne, faute d'avoir leur propre local. Cette importance de la caserne dans la survivance de la culture, des traditions et d'une communauté italienne à Valparaíso a été reconnu par la municipalité qui l'a nommée en 2008, lors de son 150e anniversaire, « patrimoine culturel intangible de Valparaíso ». Ce titre, dans une ville dont le centre historique est un « paysage culturel » reconnu par l'UNESCO, est une distinction importante, d'autant qu'aucune autre compagnie de pompier ne l'a reçu.

La spécificité de la Sesta Compagnia réside donc dans son objectif de rassemblement communautaire. Cela donne un caractère vivant et actuel à la mémoire produite par l'institution qui se transmet alors de mémoire d'homme en mémoire d'homme, d'autant qu'une partie du patrimoine matériel de l'institution s'est perdue dans un tremblement de terre qui a détruit l'ancienne caserne.

La 11th Fire company quant à elle ne rassemble plus du tout les descendants, ne participe qu'à peu d'activités de la communauté britannique et ses membres ne s'impliquent aucunement dans la vie de la compagnie.

Il n'y a donc pas de transmission de personne à personne de la mémoire de l'immigration : l'héritage passe par l'institution. En effet, quand la collectivité britannique convie les pompiers, c'est une délégation de représentants qui se présente à l'événement. Par exemple, le capitaine de la compagnie va célébrer l'anniversaire de la Reine chaque année. Cela contraste avec la collectivité française qui invite les pompiers de la Pompe France à ses dîners mensuels. La 11th Fire company est reconnue comme une institution culturelle britannique et se voit donc invitée à ce titre aux événements qui rassemblent la communauté. Les pompiers de la 11e compagnie ne se sentent pas britanniques mais ils adoptent l'identité de l'institution et s'appliquent à la conserver. A la « mémoire communautaire » italienne répond donc cette production de « mémoire institutionnelle » britannique. Il est important de noter que la Sesta compagnia est plus ancienne que la 11e compagnie. Ainsi, il ne s'agit pas d'une évolution de la mémoire vivante à la mémoire matérielle et institutionnelle, ce sont bien deux manières différentes de transmettre l'héritage culturel de l'institution.

La Pompe France, elle, laisse le rôle de rassemblement communautaire à la collectivité française même si elle compte quelques descendants dans ses rangs et participe à certaines activités sociales de la collectivité. Sa spécificité réside plutôt dans l'usage actuel qu'elle fait de son origine historique. Ce sera l'objet de la dernière partie.

Un héritage européen encore dynamique aujourd'hui

Dans les 3 cas étudiés, la mémoire de l'immigration ne se limite pas à un archivage des données historiques sur le thème. Les casernes, en plus de garder de nombreuses informations historiques, s'engagent à un devoir de mémoire. Cependant, cette mémoire n'est pas seulement tournée vers le passé puisque les liens entre les compagnies et leur pays d'origine restent dynamiques.

La Sesta a signé en 2005 un accord avec les « vigili del fuoco» italiens et des liens se tissent entre les deux corps de pompiers. Des instructeurs italiens viennent former les volontaires de Valparaíso et les Chiliens vont plus ou moins régulièrement en stage théorique et pratique en Europe. Le même type d'échange de technologie s'est développé avec la compagnie britannique qui a reçu pendant un mois un pompier anglais et qui avait envoyé une délégation à un exercice en Europe. Ces liens ont eu tendance à se développer avec le tremblement de terre de 2010 qui a suscité l'intérêt des corps de pompiers européens.

La Pompe France est la compagnie qui a le plus exploité ses liens avec le pays d'origine. Depuis une vingtaine d'années maintenant, les pompiers de Valparaíso ont un accord avec ceux de Marseille. A chaque opportunité, les pompiers de Marseille rapportent du matériel (uniformes, casques, véhicules) et s'arrêtent partager un moment de camaraderie dans la caserne de la Pompe France. Les liens tissés entre les deux institutions sont visibles partout dans la caserne avec les photos des rencontres et les hommages rendus aux marins-pompiers de Marseille. Ces rassemblements permettent de soulager la Pompe France d'une grande part de ses dépenses matérielles et ils représentent aussi le rapprochement de deux institutions. Néanmois, ils ont surtout une importance non-négligeable pour les volontaires de la Pompe France qui se sentent liés, à l'heure actuelle, à la France.

Avec ses partenariats officialisés avec les pays européens, il ne s'agit plus de faire survivre un héritage passé mais plutôt d'adapter au présent des liens fondés historiquement. Cette dynamique nous montre que l'influence européenne sur les compagnies n'est pas encore un souvenir inanimé de l'histoire et que les traces de l'immigration restent, au contraire, bien vivantes.

Conclusion

En somme, les pompiers de Valparaíso sont, contre toute attente, des entrepreneurs de mémoire reconnus - par les porteños comme par les organismes politiques. En ce qui concerne l'héritage européen, la production de mémoire peut prendre la forme d'un rassemblement communautaire pour former un patrimoine social intangible ou l'institution elle-même peut être le vecteur de transmission du patrimoine. D'autre part il est intéressant de voir que l'héritage européen ne se confine pas au passé mais est exploité pour des dynamiques présentes et futures.

Cette réflexion peut cependant nous amener à constater que le patrimoine détenu par les pompiers représente une mine inexploitée d'informations historiques : les livres de bord racontent les détails de la vie des compagnies, certaines casernes conservent des correspondances de pompiers pendant la guerre qui offrent une vision analytique de l'époque, les équipements montrent les avancées technologiques au cours des 160 dernières années... Les casernes renferment de véritables musées qui pourraient être exploités par la puissance publique mais qui restent finalement peu accessibles au grand public.

 BIBLIOGRAPHIE

 Site des pompiers de Valpraíso: http://www.bomberosvalparaiso.cl/index_original.html

 Sites des compagnies

Articles

  • FIGARI GALVEZ, Teresa. "El cuerpo de bomberos de Valparaíso, de lo pragmático a lo valórico", archivum año III, nº 4.

 


 

LAVABRE, Marie-Claire, « Usages et mésusages de la notion de mémoire », http://www.ceri-sciencespo.com/publica/critique/article/ci07p48-57.pdf.

"au Chili, n'importe qui n'est pas pompier"

"nous sommes les pompiers volontaires les plus vieux du monde et toujours, toujours nous avons eu ce gout d'être pompier. Sincèrement, si tu me demandes maintenant 'Ca te conviens ou tu préfères qu'on te paye?' je te dirais que non. Et je pense que tous les pompiers du Chili te répondraient ça"

"Quand il (un nouveau pompier) entre dans cette compagnie, il en tombe amoureux et vivra toute sa vie amoureux d'elle. Sinon, sous les pressions qu'il y a, on sait qu'il s'en ira après peu de temps"

"Généralement, tu entres dans une compagnie et tu 'meures' dans ta compagnie"

"Tous ont leur reliques"

"La différence avec une entreprise c'est que, quand arrive un nouvel ordinateur, tu ne vas pas garder l'ancien pour te souvenir de comment c'était avant parce que l'histoire de l'entreprise ne t'importe pas alors que si, le passé de la compagnie t'importe. C'est aussi une question de respect pour ceux qui ont donné leur vie à la compagnie"

"On nous remarque toujours pour la grande présence anglaise qu'il y a ici (...) On sent quand on entre qu'on est dans une compagnie anglaise"

Retour en haut de page