Prologue II : L'immigration européenne dans la construction de la ville de São Paulo

Écrit par Claire Bénard ; Alice Martin-Prével ; Marie-Aimée Prost

Si l’on remonte à son origine première, la ville de São Paulo fut créée en 1554 par une communauté jésuite qui se consacrait à l’activité religieuse. L’expulsion des Jésuites en 1628 fait perdre son caractère religieux à la ville qui s’implique alors dans le trafic d’esclaves. Puis lorsque la Cour portugaise se déplace à Rio de Janeiro en 1808, le centre des décisions politiques se déplace vers le Sud-est et São Paulo acquiert une nouvelle importance. Enfin avec le développement du chemin de fer et de l’exploitation du café durant le XIXe siècle, la ville se développe et connaîtra de nombreux changements pour devenir une véritable capitale d'État dont on connaît l’importance aujourd’hui.

Une grande part de ces évolutions fondamentales de la fin du XIXe sont liées à l’arrivée de l’immigration massive. Nous avons vu que la majeure partie de ces migrants s’installe directement dans les fazendas ; seule une minorité s’arrêtent en ville. Toutefois, avec le développement de l’industrie, l’immigration sera de plus en plus urbaine. Industrialisation, immigration et urbanisation sont donc fortement lié. Il s’agit cet article de comprendre les facteurs qui ont conduit les migrants dans la ville pour voir en quoi ils ont contribué à son développement. Enfin nous étudierons l’intégration de ces populations européennes dans la Capitale. 

  1. L’industrialisation comme facteur d’une immigration de plus en plus urbaine  
  •  La naissance de l’industrialisation.

 L’économie brésilienne du XIXe siècle se base sur un modèle de mono-exportation du café. Sa croissance est donc très liée au marché international car ce sont les revenus des ventes de café qui permettent au pays d’importer les biens manufacturés dont sa population a besoin. Dans un premier temps, le Brésil ne développe pas d’industrie propre. L'État de São Paulo étant le premier exportateur de café, il est parfaitement intégré à ce modèle et c’est pourquoi son industrialisation se fait tardivement.

A partir des années 1870, le président João Teodoro Xavier comprend et fait comprendre l’importance de développer les industries dans la Capitale en parallèle à l’activité agricole de l'État. De plus, certains exploitants de café voient venir l’abolition de l’esclavage et la potentielle crise qu’elle pourrait provoquer. Ils décident donc d’investir leurs capitaux dans les activités de la ville.

Mais ces deux facteurs ne suffisent pas à eux seuls. L’abolition (1888) et l’immigration massive qui s’ensuit sont les déclencheurs de la dynamique d’industrialisation car elles génèrent un marché de demande interne qu’il faut satisfaire. Les revenus croissants des ventes de café créent un climat économique favorable à de nouveaux investissements pour le développement industriel. Ce dernier n’est cependant possible qu’avec l’appui des politiques gouvernementales qui protègent l’industrie nationale naissante contre les importations de produits étrangers.

A l’échelle de la ville de São Paulo l’industrialisation provoque une véritable explosion démographique : de 70 000 habitants en 1890, elle passe à 239 000 en 1900 et 587 000 en 1920. Si cette pression démographique est due en partie aux producteurs de café qui construisent leur résidence dans la Capitale, c’est surtout l’immigrant qui en est un élément décisif. En effet, la ville compte 54,6% d’étrangers en 1893 et 35% en 1920. En 1934, parmi la population de plus de 15 ans, 67% sont des étrangers ou de fils d’étrangers – avec 28% d’immigrants cette année-là.

De fait, les Européens fuient les fazendas où les conditions de vie sont insoutenables. Certains le font car ils ont réussi à accumuler un petit capital qu’ils investissent dans l’industrialisation ; d’autres partent avec presque rien pour trouver du travail à l’usine car ils ont obtenu, à force de révolte et avec l’aide de leur gouvernement d’origine, le droit de rompre leur contrat annuel qui les liait aufazendeiro. Par ailleurs, les nouveaux immigrants du mouvement massif de la fin du XIXe début du XXe s’arrêtent dans une Capitale de plus en plus attractive par la diversité et le dynamisme de ses activités. 

  •  Les effets de la Première Guerre Mondiale et de l’après guerre

Pendant les premières années du XXe siècle, le gouvernement italien entend les plaintes sur les conditions de vie de ses émigrés et interdit donc l’émigration subventionnée vers le Brésil en 1902. L'Espagne suivra cette décision en 1910. Néanmoins, l’immigration vers la ville de São Paulo reste une des plus fortes du monde avec 70 nationalités représentées.

Avec l’éclatement de la Première Guerre Mondiale,on observe une baisse de l’arrivée des Européens. Cependant, cet événement catalyse le processus d’industrialisation commencé plus tôt. D’une part, la demande extérieure diminue considérablement car les pays européens se concentrent sur l’effort de guerre. Cela force le Brésil à chercher d’autres sources de revenus. D’autre part, les pays en guerre ne produisent plus les biens manufacturés qu’importait le Brésil et celui-ci se voit donc dans l’obligation de développer sa propre industrie pour prendre son indépendance par rapport au marché international en crise.

Dans ce développement industriel, les immigrés jouent un rôle important car ils exercent les activités que les travailleurs nationaux refusent – car trop proches du travail de l’esclave. Par ailleurs, ils arrivent de leur pays d’origine avec un bagage de technologies qu’ils reproduisent outre-Atlantique. Après le boom de la Première Guerre Mondiale, entre 1919 et 1929, le parc industriel de São Paulo connaît une croissance moins forte mais une diversification intense. Le tableau suivant présente une classification des industries de l’Etat de São Paulo en fonction de l’origine de leur propriétaire :

On voit donc que les étrangers participent activement à l’industrialisation. Il faut notamment remarquer la place des Italiens qui possèdent près de 2200 industries contre 4800 pour les Brésiliens.

Ces évolutions impliquent d’importantes transformations de la société. Les migrants forment une classe ouvrière qui n’existait que peu auparavant et la bourgeoisie industrielle naissante prend le dessus sur les fazendeiros. Tout cela se reflète dans l’urbanisation de la Capitale, un phénomène que l’on approfondira dans la partie suivante.

2. Place du migrant européen dans le développement de São Paulo 

  • Sa place géographique 

Le développement de l’industrie dans la Capitale s’accompagne immanquablement d’un processus d’urbanisation. Entre 1898 et 1908, l’administration d’Antonio Prado accélère et organise cette dynamique. Au début du XIXe siècle, la ville est limitée par la colline et les deux rivières qui l’entourent. A partir de 1870, l’urbanisation dépasse ces frontières naturelles, pour transformer complètement la ville : c’est sa seconde fondation. Le centre devient commercial et les quartiers résidentiels se développent autour – Campos Elíseos puis Higienopolis et à partir de 1910, les quartiers Jardins. Au début du XXe ces quartiers s’étendent horizontalement jusqu’à toucher les zones industrielles, São Paulo devient une mégapole.

Dans ce processus, les immigrés, qui représentent une part importante de la population, doivent trouver leur place. Contrairement à d’autres exemples d’expansion urbaine, on ne voit pas se former de ghettos bien définis où se concentreraient les étrangers par nationalité. Cependant, dans les quartiers ouvriers et industriels de Brás, Mooca, Bomretiro et Belenzinho ont retrouve une très forte concentration d’Européens et particulièrement d’Italiens. En se baladant dans ces rues, le voyageur décrit d’ailleurs souvent São Paulo comme « une ville italienne » ou plus généralement « une ville européenne ». Les familles espagnoles, à défaut de développer leur propre quartier, se concentrent dans certaines rues de ces quartiers européens.

Avec l’urbanisation les inégalités deviennent plus visibles : les quartiers de la classe moyenne ouvrière se caractérisent par des maisons d’aspect modeste à un seul étage et généralement une cave. Elles sont toutes plus ou moins construites sur le même standard. Les immigrés les plus misérables s’installent dans des logements précaires et inconfortables. Cela contraste avec les grands manoirs seigneuriaux et les hôtels particuliers des barons du café ou des entrepreneurs industriels qui surgissent dans les zones résidentielles des classes supérieures et aristocrates.

Une autre conséquence de l’urbanisation est le perfectionnement des services d’eau, de transport, d’électricité ou d’éclairage public qui découlent de l’apport technologique de toutes les populations qui interagissent et échangent dans cette mégapole cosmopolite naissante. 

  • Sa place dans l’activité économique 

Lorsque les immigrés des fazendas réussissent à rassembler un peu de capital propre, malgré les termes des contrats qui leur sont extrêmement défavorables, ils viennent l’investir dans les industries de São Paulo ou bien montent un commerce dans la Capitale en espérant faire fortune. Les immigrés qui arrivent directement à São Paulo aspirent eux aussi à gravir l’échelle sociale si bien que même les anarchistes les plus convaincus se transforment en bons bourgeois lorsqu’ils occupent des postes de dirigeants ou que leur petite entreprise leur apporte un revenu correct. Néanmoins, la plupart des immigrés issus de classes ouvrières n’atteignent jamais des postes à responsabilités. Certaines activités comme le commerce ambulant et les marchés vont se développer avec les migrants.

Il est difficile de catégoriser les activités en fonction des nationalités, pourtant certaines spécificités se détachent. Les Portugais s’impliquent particulièrement dans les activités de ventes de rue. On les retrouve aussi beaucoup dans l’artisanat ou employés comme serruriers, peintres, charpentiers ou marbrier. Ils sont également présents dans le travail à l’usine puisqu’ils représentent 8% des ouvriers dans le textile en 1912 ; 59% sont des Italiens et les Espagnols,cette même année en représentent 3,3%.

Ces derniers occupent en général les tâches qui demandent peu de qualification : voituriers, employés de bars, d’hôtels ou de restaurants… Ils sont en effet sont connus pour être les plus pauvres et les moins éduqués avec 65% d’analphabètes dans leur communauté, un taux supérieur à toutes les autres communautés (53% pour les Portugais et 32% pour les Italiens). Leur activité la plus connue à São Paulo consiste au travail de récupération des matériaux : ils parcourent les rues de la ville en quête de fer, verre ou papier à revendre aux dépôts qui traitent les matériaux pour fournir les usines.  

  • Sa place dans la société 

Quand l’immigré s’installe dans une nouvelle ville, dans un pays inconnu, immergé dans une culture étrangère, son réflexe est de constituer des institutions semblables à celles qu’il connaissait dans son pays afin de répondre à ses nécessités matérielles et intellectuelles. Ces clubs et sociétés sont des lieux de rencontre, de solidarité et d’expression collective pour la première génération de la communauté.

Parmi les premières institutions à être créés, on trouve les sociétés de bienfaisance. Dès 1873, les Allemands en avaient fondé 3 et les Portugais une, la « Portuguêsa Beneficiência ». Avec l’arrivée massive d’Italiens, on verra apparaître la « Vittorio Emmanuele II » et la « Società Italiana de Beneficienza » entre autres exemples. Ces associations solidaires, de plus en plus nombreuses pendant le début du XXe siècle, ont pour but d’aider les indigents de la communauté et de s’occuper des personnes âgées ou malades.

L’éducation tient aussi une place prioritaire dans les préoccupations des premières générations d’immigrants car elle est le vecteur de la transmission de la culture nationale. Au début ce sont majoritairement des groupes religieux qui s’en occupent mais en 1885 la Deutsche Schuleentretenue par une Association Allemande d’Instruction annonce le début d’une éducation primaire et secondaire mixte et sans composante religieuse. La même année se développe une école américaine puis les Italiens en fondent plusieurs en 1891. La contribution italienne à l’éducation est la plus influente. Au début du XXe siècle, l’une des unions d’écoles italiennes, la Federazione della Scuola Italiana, compte 61 établissements scolaires dont 21 dans le quartier Brás. Le tableau suivant montre l’évolution des écoles primaires italiennes dans l’Etat et dans la ville de São Paulo :

Ecoles primaires italiennes à SP 

Source : Ministerio degli Affari Esteri, Annuario delle scuole italiane all’estero e sussidiate, Roma.

 Mais si influente soit-elle, l’éducation italienne n’est pas sans faille. D’abord,les collèges sont peu nombreux. L’initiative principale, de la part du consul, est la création en 1912 de l’« Instituto Medio Dante Alighieri », plus connu sous le nom de « Collegio Dante Alighieri », qui existe encore à l’heure actuelle. Mais cet établissement est très élitiste et la transmission de la culture passe donc surtout par les écoles primaires associatives ou religieuses. Ces dernières restent payantes car il faut amortir les frais pédagogique et l’Italie n’aide que très peu le développement de son système éducatif à l’étranger. Beaucoup d’enfants italiens ne peuvent donc pas être scolarisés dans les écoles italiennes et vont à l’école publique.

Les communautés ont par ailleurs une activité culturelle et sportive intense : création de librairies, rencontres de musiciens et d’artistes dans les clubs sociaux, concerts… Le sport constitue aussi un apport intéressant des Européens : on pense notamment au foot avec le premier club dans la colonie anglaise en 1886 puis « São Paulo Athlectic Club » dans Bom Retiro. Un mouvement suivi par la « Palestra Italia »et ensuite par plusieurs autres nationalités qui importent leur jeux et sports. 

  • Sa place dans la vie politique

Au début, la loi laisse les migrants, même naturalisés, en marge de la vie politique, surtout s’ils ne sont pas catholiques. Avec l’industrialisation et l’urbanisation, les intérêts personnels des immigrés sont en jeu. De plus, la classe moyenne rurale qui arrive en ville peut prendre part à la vie politique. Enfin, la loi électorale de 1881 autorise les immigrants naturalisés et fils d’immigrants nés au Brésil à participer aux élections sans distinction de religion et d’origine ethnique. On commence à voir des immigrés et descendants dans les chambres Municipales. Cependant un seul immigré – portugais – occupera des charges de la Haute Administration de l’Etat de São Paulo et les riches Italiens préfèrent acheter les politiques plutôt que de s’impliquer eux-mêmes.

Au niveau de la mobilisation ouvrière en revanche, les immigrés sont actifs, inspirés par la doctrine du syndicalisme révolutionnaire. Les Italiens sont réellement influents dans ces activités, et d’ailleurs, le journal de l’Union des Syndicats de São Paulo, la Lotta Proletaria,était publié en italien jusque dans les années 1920. Parmi la presse italienne – très présente à São Paulo puisqu’on dénombre 295 journaux en italien jusqu’en 1940 – on retrouve ces tendances anarchistes, socialistes et anarcho-syndicalistes. Cependant la plupart des journaux se disent apolitiques pour éviter les tensions. La presse espagnole reflète aussi le dynamisme syndical de cette communauté pourtant peu nombreuse dans le monde ouvrier. En effet, sur 106 leaders identifiés de mouvements sociaux au Brésil, 22 sont espagnol et quelques figures du communisme et de l’anarchisme se détachent pour leur activisme. Les Portugais sont au contraire les moins engagés, connus pour ne jamais faire grève. Cela leur vaudra d’ailleurs plusieurs conflits avec les militants italiens. On peut l’expliquer par le fait que les portugais occupent en général des postes moins haut placés que les Italiens. Ne pas faire grève signifie donc profiter d’une promotion temporaire pour le Portugais qui prendra le poste vacant de l’Italien. Un gain non négligeable pour cette communauté qui lutte pour sa survie et n’a de toute façon pas les moyens de s’engager dans la lutte sociale.

Néanmoins, il faut nuancer : seule une part réduite des immigrants avait une expérience politique. L’idée que les immigrés ont apporté avec eux une conscience politique et une expérience de lutte est exagérée car la plupart sont issus du milieu agricole et sont analphabètes (donc même incapables de lire les journaux). De plus, leur objectif premier reste l’ascension sociale alors que l’engagement politique requiert un fort sens du sacrifice.

Enfin, on ne peut pas parler de la vie politique de l’immigré sans parler de sa réaction aux idées fascistes et nazies. A São Paulo : les leaders antifascistes sont divisés, ils ont peu de soutien de la gauche et l’engagement des élites italiennes mussolinistes est fort (visites de leaders, les création et réorganisation d’institutions). Il y a donc une certaine sympathie de la collectivité pour les idées fascistes. Cependant, en terme de pourcentage, peu d’Italiens adhérent et militent dans les associations fascistes comme la Fascia ll’estero, le Dopolavoro ou le fascio (1923). Il s’agit plutôt d’une sympathie à l’égard de l’Italie de l’entre-deux-guerres dont ils peuvent être fiers. Cette sympathie se ternie fortement lorsque les lois antisémites sont votées (1938) puis lorsque Mussolini signe le Pacte d’Acier avec Hitler (1939) et enfin quand l’Italie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne (1940).

La participation aux institutions fascistes est faible : 400 adhérents pour 300 000 membres de la communauté. En revanche, il est intéressant de noter que les lignes directrices vont être reprises et toutefois adaptées au pays. On voit naître par exemple la Légion d’Octobre, la Légion Libérale avec ses chemises grises ou encore l’Integralismo qui est un parti nationaliste brésilien ouvertement en faveur de l’Italie fasciste. Les intellectuels brésiliens s’y intéresseront d’ailleurs beaucoup jusqu’à ce que le parti ne se rapproche trop des idées de Mussolini et Hitler.

En ce qui concerne l’idéologie nazie, elle est surtout portée par les nouveaux arrivants, les plus anciennes générations sont déjà intégrées au pays et ne s’impliquent pas dans ce genre de débat. Dans les zones urbaines, les Allemands auraient même tendance à se montrer germanophobes pendant cette période.

Qu’ils s’agissent d’adapter les idées européennes au pays d’accueil ou de choisir de se désintéresser du pays d’origine, ces attitudes démontrentqu’un processus d’assimilation au Brésil est mis en marche. Il fera l’objet de notre dernière partie.

3.  L’assimilation et le partage culturel

  •  Assimilation et évolutions des institutions communautaires.

La société brésilienne offre un relativement bon accueil aux immigrés qui, remplaçant le travail esclave, ne provoquent donc pas trop de conflit d’intérêt. Le processus d’intégration se somme par un échange culturel : les immigrés s’empreignent de la culture brésilienne et le Brésil adopte certaines coutumes (culinaire par exemple), habitudes de langage (usage du « ciao » italien)ou des sports (le football). L’évolution des institutions communautaires est intéressante à cet égard. La première génération d’immigré les a crééspar besoin, la 2e génération garde des liens volontaires mais plus nécessaires et la 3e génération, quant à elle, ne participe qu’aux célébrations symboliques.

Plusieurs facteurs influent sur la rapidité d’assimilation : l’immigrant urbain à São Paulo, en contact permanent avec les Brésiliens s’intègre plus vite que celui qui reste dans une campagne isolée. D’autre part, le pays de provenance de l’immigré et les relations du pays d’origine avec le Brésil sont autant d’éléments qui déterminent la vitesse d’adaptation de chaque population au pays d’accueil.

Par exemple, les Espagnols s’assimilent très vite. Sans que l’état de la recherche actuelle permette de tirer des conclusions catégoriques, on voit que la communauté est divisée par des régionalismes et des divergences politiques. De plus elle s’insère dans les couches les plus pauvres, les moins instruites et les moins reconnues de la société. Enfin, le gouvernement espagnol se soucie à peine du devenir de ses émigrés et ne les aide que très peu. Ces facteurs contribuent certainement à la dilution du groupe qui crée beaucoup d’associations mais les développe assez peu.

Dans le cas italien, l’assimilation s’effectue en 2 générations alors que les autres groupes d’intègrent après 3. On peut rapporter cette adaptation rapide au manque de cohésion du groupe: d’abord de écarts sociaux caractérisent les immigrés italiens et prennent le pas sur le sentiment national si bien qu’ils se reflètent dans les activités associatives. Les ouvriers acceptent la domination du patronat et les élites dirigeantes se montrent peu enclines à entreprendre des projets auprès du grand public. D’autre part, l’Italie est un pays récemment unifié et les régionalismes encore forts entraînent des différences de langue.

Les Italiens n’arrivent pas à se rassembler en tant que communauté. On voit naître plusieurs associations mono régionales comme la « Calabresi Riuniti » ou la « Veneta-San Marco » et, de fait, les très nombreuses institutions de la communauté ne regroupent que 3% de celle-ci (contre 20% en Argentine). Par ailleurs, leur prolifération est suivie d’une disparition précoce démontre qu’elles souffrent des rivalités personnelles des dirigeants et ne sont pas le fruit d’un élan patriote ou communautaire. Le tableau suivant illustre cette idée :

Pulvérisation du nombre d’associations italiennes.

Sans fort sentiment communautaire, les Italiens se trouvent donc plus vite mêlés aux populations locales, l’endogamie se perd et le portugais devient la première langue. La perte de la langue est en effet un indicateur intéressant de l’assimilation que nous allons étudier maintenant. 

  • La perte de la langue

 De manière générale, à partir de la deuxième génération le portugais passe comme première langue ce qui montre le processus d’intégration des immigrés à la société. Il est cependant difficile d’avoir des chiffres fiables sur l’utilisation de la langue car pendant la période de l’Estado Novo au Brésil, le gouvernement lutte pour l’assimilation. Il n’est donc pas bon de répondre au sondage que l’on parle une langue étrangère à la maison.Ainsi on trouve dans les chiffres du recensement de 1940 que, dans la ville de São Paulo, seulement 13% des italiens parlent Italien à la maison. Une autre étude a été faite dans le quartier Brás parmi les Italiens et descendants de 18 à 40 ans. Seulement 12% de cet échantillon est né en Italie mais 50,49% répond parler italien à la maison. On voit donc que les premières statistiques sont probablement fortement sous évalués.

Néanmoins, elles restent pertinentes pour des comparaisons ou des évolutions. Ainsi l’on peut conclure que les Allemands qui affichent 55,1% de germanophones dans la Capitale sont plus conservateur de la langue que les Italiens (13%). De même, les chiffres des campagnes sont beaucoup plus élevés que ceux de la Capitale ce qui conforte l’idée que l’assimilation dans la ville est plus rapide que celle en milieu rural. Entre 1940 et 1950, les chiffres montre une baisse du nombre de Brésiliens parlant une langue étrangère à la maison.

La baisse d’utilisation de la langue sera d’autant plus forte que l’immigré est en contact avec les populations nationales, que la langue est similaire, que l’immigration est faible et que le sentiment communautaire est fragile. D’autre part, l’Estado Novo de Getulio Vargas impose des règles d’assimilation de l’immigré qui jouent un rôle important et feront l’objet de notre partie suivante.

  •  L’effet des politiques de Vargas

 Depuis le milieu des années 1920, les stocks s’accumulent au Brésil. La crise de 1929 provoque une diminution des importations étrangères de café sur le marché mondial – en prix et en quantité – qui se double d’une baisse de leurs investissements. Cette crise frappe donc de plein fouet l’économie brésilienne dans laquelle le café possède encore une place importante. Les problèmes sont accentués par l’instabilité politique qui se traduit par des conflits entre l’oligarchie, les classes moyennes et l’armée. Cela permet l’accès au pouvoir de Getulio Vargas en 1930.

Sans rentrer dans les détails idéologiques, l’Estado Novo que met en place Vargas en 1937 se base sur l’interventionnisme de l’Etat répondant à la crise des idées libérales sur l’industrialisme – pour substituer les importations – et sur le nationalisme. Concrètement cette lutte contre les « kystes ethniques » se traduit par diverses mesures qui réduisent l’activité des organisations étrangères, surtout celles considérées comme les moins assimilables c’est-à-dire allemandes et japonaises. Dès 1937, on nationalise écoles étrangères. En 1941 les journaux de langue étrangère sont interdits et quand le Brésil rentre en guerre contre les forces de l’Axe, l’usage de l’italien est prohibé en public et l’on dissout les associations étrangères. Certaines institutions sauront échapper à la règle en masquant leur origine. Par exemple, la Palestra Italia devient la Sociedade esportiva Palmeiras.

Les décisions de politiques migratoires passent aux mains du gouvernement central qui ferme les portes du pays. Il avance trois arguments pour ces décisions : il faut défendre la main d’œuvre nationale en cette période de crise économique ; interdire l’entrée d’éléments nuisibles à l’intérêt national et surtout, pour forger une identité nationale forte, on doit supprimer les groupes non assimilables. Une partie patrimoine tangible et intangible laissé par les premières générations d’immigrants se perdra donc pendant ces années.

En somme, l’immigration dans la ville de São Paulo a eu un impact majeur à plusieurs niveaux. Elle a été le moteur de l’industrialisation, tant comme marché de consommation que comme force de travail. Les migrants ont été aussi les éléments constituant de la ville et de sa croissance, de son organisation et de son urbanisation. Ils ont donc laissé derrière eux un patrimoine tangible : l’architecture des petites maisons italiennes avec une balustrade ou une corniche, des décorations de stuc et statues colorées, pour ne citer qu’un exemple. D’autre part, ils ont contribué à la formation identitaire du Brésil en léguant un héritage intangible. Ce sont ces traces qui feront l’objet de l’étude de terrain à São Paulo.

BIBLIOGRAPHIE :

Livres

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Articles

  • Serra Truzzi, Oswaldo Mário. “Reformulaçõesna política Imigratorio de Brasil e Argentina nos anos 30: um enfoque comparativo”, políticas migratórias. Fronteiras dos direitos humAnos no século XXI, Renovar, Rio de Janeiro, 2003.

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KLEIN, Herbert S., A imigração espanhloa no Brasil, Sumaré, São Paulo, 1994.

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