Les musiciens de rue et l'émergence de nouvelles idées

Écrit par Stefan Pinheiro

De nos jours, l’accès à la musique se fait souvent par l’intermédiaire de supports. La radio, la télévision, l’internet mettent à disposition une quantité exorbitante de musique, et pourtant nous n’avons pas accès à tout. À la marge de ce « filtrage » qui répond à une logique de masse et généralement commerciale, coexiste la musique de rue. Si parfois elle semble également répondre à une demande du marché, quand l’objectif est de « faire passer le chapeau », elle reste généralement libre soit dans sa forme, soit dans son contenu.

La musique de rue qui s’observe à Bogota en est la preuve. La surprise est constante et le répertoire ne correspond en rien à celui de la radio. Quelles explications trouver à cette différence ? Quels avantages trouve l’expression de la musique dans la rue ?

La musique de rue à Bogota

 A Bogota la musique est particulièrement présente dans l’espace public ; la radio est constamment allumée dans les moyens de transport, les bars, les magasins, les restaurants. Sont aussi très présents les musiciens de rue : beaucoup d’entre eux sont des jeunes qui, sans trop de discipline ni de raison, jouent dans les parcs, places ou autres espaces entre amis.

Juan Pablo

 D'autres en font leur occupation.Juan Pablo est musicien de rue depuis 20 ans. Dans son répertoire, on retrouve surtout des musiques colombiennes des années 60 et 70 qu’il décrit comme « les années dorées », « l’inoubliable ». Ce n’est pas une situation stable, elle est conditionnée par des facteurs peu intelligibles qu’il résumera par « il y a des fois où ça marche bien, et des fois où ça ne marche pas ». Cependant, les musiciens de rue comme Juan Pablo sont nombreux.

Le septimazo, lieu public lieu artistique.

 Le septimazo, morceau de la septième avenue qui se termine à la célèbre plaza Simon Bolivar, est fermé le vendredi soir et devient alors la scène de divers musiciens de rue. Au cours de plusieurs observations les musiciens n’étaient quasiment jamais les mêmes et les styles de musique étaient toujours différents. On y constate de la musique de la plupart des régions colombiennes et de l’étranger (un chanteur de ballades mexicaines, de la musique andine péruvienne, un joueur d’harmonica sur un fond de blues, de la musique populaire brésilienne). La diversité s’exprime également dans le contenu : du rap engagé dans un langage de rue s’entendait à quelques mètres d’un rappeur qui prêchait la bonne parole. Pour trois musiciens interviewés, le choix du répertoire n’est pas très recherché, « c’est simplement la musique que j’écoute », « c’est tout ce que je sais jouer », « pourquoi ça ne plairait pas...?». D’autres y attribueront une grande valeur. Pour un groupe de jeunes rockeurs reprenant des rythmes de la côte, c’est une façon de « diffuser cette musique tout en y rajoutant notre personnalité, la faire évoluer ». Pour un rappeur c’est « la seule vraie façon de revendiquer», pour un autre « c’est la seule façon de parler ». Pour Juan Pablo la rue est propice à rencontrer les personnes et se faire des contacts, qui pourraient notamment le permettre de trouver des contrats. Ainsi les ambitions paraissent parfois dépasser l’acte qui consiste à simplement jouer dans la rue.

Les ambitions des musiciens, la perception des auditeurs

Une grande partie des artistes semble viser une émotion. Juan Pablo parle de la nostalgie que provoque sa musique ainsi que le succès qu'il remporte auprès des auditeurs plus âgés, qui ont vécu cette époque (mais auprès des jeunes aussi car, après tout, ressentir la nostalgie d’une époque que l’on n’a pas vécu est justement une caractéristique identitaire que la musique met en évidence). Oscar, jeune guitariste d’un groupe de rock indigène/andin parle de la surprise, « avant tout les surprendre assez pour qu’ils s’arrêtent et nous écoutent ». « La joie ! » me crie en marchant un percussionniste d’une école de musique qui organisait une « batucada » le long de la rue.

batuque

Les motivations et les espoirs des artistes sont très variés et la demande semble l’être tout autant. Un vendeur de CD me confie qu’il serait « incapable de dire ce qui vend le plus ». Dans son chariot des compilations d’Edith Piaf, Los Juanes, Ricardo Arjona, Rolling Stones, mélangées comme si tous les goûts n’étaient qu’un.

 « Il y a beaucoup de musique que je n’écouterais pas chez moi, mais ici au septimazo, c’est agréable, c’est justement l’endroit pour écouter ce que l’on n’écoute jamais » m’explique un père de famille. En effet, ce sont surtout des familles qui viennent se balader au septimazo en fin d’après-midi, début de soirée, quand le long de cette demi-douzaine de pâtés de rue, s’étendent de chaque côté des musiciens de rue, vendeurs de CD, et parfois d’autre représentations artistiques (comme une improvisation de théâtre, du graffiti en direct). Les attentes des passants/auditeurs, semblent être nulles « je viens pour la surprise », « je viens tous les vendredis, je ne sais jamais à quoi m’attendre, mais je ne suis jamais déçue ».

Ainsi, ce manque d’attentes ouvre grand les portes à l’innovation de ces musiciens de rue. On y reconnait une musique qui n’a pas été bornée à 3 minutes, qui dira des vulgarités pour ne pas perdre une rime et qui pourtant, dans ce contexte, à ce moment donné, ne choque pas, mais surprend agréablement.

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rap


L’interview de Juan Pablo a été réalisée l’après-midi du mardi 19 octobre à la place Lourdes, dans le Chapinero. Sa retranscription est disponible sur le blog.

Respectivement Andrés, Gabriel et Daniel, musiciens interviewés le 22 et le 29 octobre au soir au Septimazo.

Martín, percussioniste jouant le tambour llamador dans cette formation, a été interviewé le 29 octobre au soir

Citation de "K 38" à la Caracas le soir du 5 novembre.

Citation de "MC Cafetero", le soir du 9 décembre à Las Aguas.

Oscar a été interviewé le 5 novembre au soir au Septimazo.

Luis, vendeur de CD, a été interviewé le 5 novembre au Septimazo.

Témoignage d’un père de famille qui n’a pas voulu s’identifier ou répondre à plus de questions, le soir du 22 octobre au Septimazo.

Natalia est une passante interviewée au Septimazo le soir du 29 octobre.

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