Les élections péruviennes de 2011. Bilan du premier tour

Ollanta Humala (31%) et Keiko Fujimori (23%) se disputeront le deuxième tour de l’élection présidentielle. Le passage des deux extrêmes du champ politique peut surprendre, mais si on regarde bien les résultats du premier tour, on doit accepter que la volonté du peuple péruvien s’est exprimée de façon assez nette. Les résultats officiels de l’ONPE donnent à Ollanta Humala 31.69% de votes valides (4,643,064),à Keiko Fujimori 23,55% (3,449,595), à Pedro Pablo Kuczynski 18.51% (2,711,450), à Alejandro Toledo 15.63% (2,289,561), à Luis Castañeda 9.82% (1,440,143) et aux autres six candidats « pequeños »,moins de 37,012 de votes (le 0.25%).

La « débâcle » électorale des partis du centre peut s’expliquer - entre autres facteurs - par la stratégie politique suicidaire des trois principaux candidats du centre droit. En effet, ces trois candidatures presque identiques dans leurs programmes ont divisé les 40% des péruviens qui soutiennent le modèle économique actuel. Le résultat était pourtant prévisible: les trois candidats par leurs critiques se sont neutralisés eux-mêmes. Toledo y Castañeda (favoris deux mois auparavant) ont vu progressivement s’éloigner leurs chances de passer au ballotage électoral. La grande surprise du premier tour a été sans doute la candidature de Pedro Pablo Kuczynski. L’ancien premier ministre a démontré la force de son leadership politique en séduisant un bon nombre de péruviens. Grâce à une campagne imaginative, il a gagné des électeurs urbains des secteurs A, B et C et est parvenu (en seulement 45 jours) à monter dans les préférences électorales de 4% à 18%. Cela dit, il n’a pas obtenu beaucoup de soutien dans les secteurs D et E, réduisant ainsi ses chances d’arriver au ballotage du deuxième tour. L’ex-président, Alejandro Toledo, a souffert d’une impressionnante chute de popularité. En six semaines, Toledo est passé de 30% à 15% de votes. Idem pour Luis Castañeda qui est descendu progressivement de 23% à 9%. La grande gagnante de cette situation a été sans doute Keiko Fujimori qui est passée au deuxième tour avec son fidèle 20% des votes « fujimoristas », plus 3% qui peut être expliqué par un vote occulte ou des nouvelles adhésions à sa candidature (pour avoir plus d’informations sur l’élection, vous pouvez consulter les autres articles sur Opalc).

L’absence d’un système solide des partis politiques est la cause incontestablement de ce résultat. Les trois candidatures du centre auraient du être canalisées par des élections primaires dans un seul parti politique (centre droit) qui aurait présenté un seul candidat pour réunir les votes à hauteur de 40%. Néanmoins, la division du centre n’est pas la seule cause du passage des extrêmes. La faible redistribution de la richesse a été un autre facteur important. Le Pérou, même s’il a réussi à réduire considérablement la pauvreté dans la dernière décennie (de 48% à 32%), reste un pays très divisé entre une minorité « moderne » et urbaine et une majorité pauvre et « périphérique ». Le progrès économique n’a pas été ressenti dans les secteurs les plus nombreux de la société péruvienne. Les secteurs C, D et E n’ont vu presque aucune amélioration concrète dans leur vie quotidienne. Cette situation explique pourquoi environ 60% de la population considère qu’il faudrait faire des changements économiques et politiques. Les péruviens ont d’ailleurs, comme les autres électeurs de la région, deux autres préoccupations prioritaires dans leurs agendas politiques: la lutte contre l’insécurité et la corruption.

O. Humala et K. Fujimori ont été perçus par 50% de la population par leurs discours de changement et « rupture » comme la meilleure option pour solutionner trois importants problèmes du pays (chômage, insécurité et corruption). O. Humala a été sans doute le candidat qui a mieux répondu à cette demande au premier tour, capitalisant ainsi une importante quantité de votes et passant en six semaines de 10% à 31% de votes valides.

 

Les perspectives pour le deuxième tour

Mario Vargas Llosa affirmait avant le premier tour que «si O. Humala et K. Fujimori passaient au deuxième tour, alors les péruviens devraient choisir entre le sida et le cancer en phase terminale ». Mis à part l’exagération polémique du Nobel péruvien, il est certain qu’environ 40% des péruviens devront élire une fois de plus le candidat qui représente à ses yeux le « moindre mal ». Le principal handicap d’Ollanta Humala est qu’il est encore perçu comme un candidat de gauche radical, une sorte « d’Hugo Chavez péruvien ». En effet, beaucoup de péruviens pensent encore aujourd’hui qu’O. Humala aurait l’intention de changer la Constitution pour rester au pouvoir et installer un régime socialiste. Keiko Fujimori, pour sa part, hérite les actifs et les passifs du gouvernement de son père: l’ex dictateur Alberto Fujimori. Les actifs se traduisent concrètement par les bons souvenirs que gardent 20% des électeurs – des succès dans la guerre contre le Sentier Lumineux et des aides reçues de l’Etat par les programmes d’assistanat sociaux – qui expliquent la remarquable fidélité « fujimorista ». Fidélité qui a permis à Keiko Fujimori d’accéder au deuxième tour et à son frère Kenji Fujimori de devenir le « congresista » le meilleur voté du prochain congrès 2011-16 (381,049 votes). Les passifs, par contre, se traduisent par les nombreuses preuves de crimes contre l’humanité (qui ont valu à Aberto Fujimori une condamnation à 25 ans de prison), de malversations de fonds et de corruption généralisée dans toutes les institutions de « l’Etat fujimorista », parmi lesquelles se trouvent les emblématiques « vladivideos ».

L’enjeu pour les candidats au deuxième tour va être de se glisser au centre pour rassurer les 15% des électeurs indécis. Les deux candidats ont ailleurs déjà initié une série de « conversaciones » avec les autres candidats du premier tour pour essayer de gagner leurs soutiens. Pour l’instant L. Castañeda et P.P. Kuczynski ont montré leurs préférences pour soutenir à Keiko Fujimori. Alejandro Toledo et Mario Vargas Llosa ont montré leurs souhaits de soutenir éventuellement Ollanta Humala, MVLL a même dit « qu’il ne votera jamais pour la fille du dictateur ». Il est certain que les deux candidats vont faire des concessions pour améliorer leurs images. Keiko a déjà convoqué les concours d’Hernando de Soto et de Rudolph Giuliani. Elle a également signé une proposition de six points présentée par P.P. Kuczynski pour démontrer son attachement à la démocratie. En outre, Keiko Fujimori a annoncé que, dans un éventuel gouvernement, elle ne donnera pas d’amnistie à son père ni à aucun autre associé qui purge actuellement sa peine de prison. Ollanta Humala a appelé, pour sa part, toutes les forces politiques à trouver un terrain d’entente pour barrer la route au retour de « la dictature » et « la corruption ». Humala a convoqué ainsi un centenaire de techniques indépendantes (beaucoup d’entre eux proches de Toledo) pour rédiger un nouveau plan de gouvernement appelé « hoja de ruta ». De cette façon, le candidat de gauche maintient ses efforts pour continuer de se détacher de la figure radicale de « Chavez » et se rapprocher de celle de l’ex président brésilien « Lula Da Silva». Humala a par ailleurs signé « un compromis avec le Pérou» dans lequel il s’est engagé à respecter le modèle économique, les contrats, la liberté d’expression, les institutions démocratiques, etc.

Nous avons donc bien compris, les deux candidats vont essayer de convaincre les électeurs qu’ils ils garantissent après tout la continuité du modèle économique, le maintient du régime démocratique, le respect des droits de l’homme, la meilleur redistribution des richesses, etc.

Le deuxième tour risque d’être extrêmement polarisé, d’ailleurs les électeurs, les analystes et les médias ont commencé à se partager entre les deux champs en bataille. La tâche risque d’être plus compliquée que prévu pour les candidats puisqu’il semblerait que la victoire dépend des secteurs A, B, C de Lima et des autres villes urbaines du centre du pays. En effet, la majorité des votes acquis de Humala et Fujimori provient des secteurs ruraux et populaires du sud (Humala) et du nord (Keiko). Lima et les autres villes urbaines comptent d’un meilleur accès aux informations et médias. Les électeurs urbains vont être particulièrement exigeants avec les deux candidats sur la continuité de la stabilité politique et économique. La tâche en théorie semble être plus défavorable pour Keiko Fujimori qui représente une famille politique qu’a déjà gouvernée le pays et qui a fait exploser les records de corruption gouvernementale. La phrase du politologue américain Steven Levitsky dans ce sens est parlante: “Se puede tener dudas de Humala, pero de Keiko tenemos pruebas”. Keiko doit démontrer qu’elle est capable de se faire élire présidente - et de gouverner convenablement le pays – par ses propres mérites et non seulement par le fait d’être la fille de l’ancien homme fort du Pérou ; cela implique dans tous les cas une démarcation claire de l’ombre de son père et de ses anciens complices. Cela dit, Keiko Fujimori garde toutes ses chances de gagner l’élection présidentielle péruvienne. Les principaux groupes économiques et les medias de la capitale ont commencé à soutenir vigoureusement sa candidature qui se trouve d’ores et déjà en tête des sondages. Le candidat de gauche Ollanta Humala doit, pour sa part, rassurer les indécis sur l’honnêteté de son projet politique et la sincérité de son engagement à respecter les lois et à mener une politique économique responsable. Dans ce sens, Humala a signé un important accord politique de concertation entre la société civile et l’Etat connu sous le nom de «Acuerdo Nacional ». Il faudra donc qu’il mette une campagne bien structurée pour remonter dans les préférences électorales, tout en arrivant à communiquer sur le passif criminel qui pèse sur l’entourage de Keiko Fujimori.

Les résultats du deuxième tour restent encore très incertains. Il est clair que dans les semaines restantes - comme toujours en politique – le talent, l’expérience, le charisme, les alliés et les moyens financiers seront décisifs pour gagner cette élection.


 

Le prochain congrès et parlement andin

Les élections du dix avril dernier ont également servi à la désignation des futurs représentants du parlement andin et les 136 législateurs qui vont siéger au prochain congrès péruvien 2011-2016. Les cinq représentants élus au Parlement Andin sont: Rafael Rey (Fuerza 2011), Alberto Adrianzén (Gana Perú), Javier Reátegui (Perú Posible), Hilaria Supa (Gana Perú) et Hildebrando Tapia (APG). Les 136 places de « congresistas » élus se repartissent en 47 places pour « Gana Perú », 37 pour « Fuerza 2011 », 21 pour « Perú Posible », 14 pour « Alianza por el Gran Cambio », 12 pour « Solidaridad Nacional » et 4 pour « l’APRA » (parti actuellement au gouvernement). Les résultats de l’APRA constituent d’ailleurs une défaite historique et permettent au plus ancien parti politique péruvien de « pasar raspando » la vaille électorale et sauver ainsi son inscription valide en tant que parti politique. Sur les treize partis en compétition, sept n’ont pas passe la « valla » électorale et par conséquent perdent automatiquement leur inscription en tant que partis politiques. Parmi eux se trouvent: Fuerza Social, Cambio Radical, Despertar Nacional, JUSTE, Adelante, Fuerza Nacional y Fonavistas del Perú.

Il est certain qu’aucun parti politique n’obtiendra de majorité législative, ce qui obligera le prochain gouvernement à conclure des alliances pour faire passer ses projets de lois. Par ailleurs, ces résultats ont relancé les débats autour de la nécessité de la dissociation de l’élection présidentielle et de l’élection parlementaire, ainsi que l’élimination du vote préférentiel. Le vote préférentiel est accusé d’être un élément destructeur des partis politiques parce qu’il privilégierait le charisme des candidats sur leurs capacités comme « congressistes ». Les candidats les plus sérieux auraient de sérieuses difficultés pour concurrencer les charmes d’une belle femme ou l’éloquence d’un présentateur de télévision, créant ainsi une « incohérence » entre les partis et leurs représentants élus aux congrès. Nous ne prétendons pas entrer dans ce débat, mais il est vrai que les résultats du futur « congrès » amènent 99 individus - sur 136 – qui étaient auparavant totalement étrangers à la vie politique (par exemple, dans les trente six représentants de Lima on trouve quatre joueuses de volley, trois présentateurs télé (émissions sportives), mais aussi Kenji Fujimori élu à 30 ans , qui dès son premier essai obtient le plus grand nombre de votes, entre autres).

Il est certain qu’il faudra discuter des réformes politiques à mettre en place pour l’amélioration du modèle démocratique péruvien. Le Pérou - dans les sondages du latino baromètre – est le pays qui montre la plus faible satisfaction démocratique de la région, et cela en dépit du fait que le «vote » donne aux électeurs la possibilité de faire peser leurs attentes et besoins sur leurs élites politiques. Les citoyens péruviens semblent souffrir actuellement d’une sorte de bipolarité politique par laquelle ils se montrent d’un côté extrêmement exigeants vis-à-vis de leurs autorités et de l’autre côté ils se retrouvent souvent à choisir le « moindre mal ». Effectivement, les réformes économiques néolibérales ont été mises en place depuis une vingtaine d’années, mais il y a un certain nombre de réformes politiques dits de seconde génération qui tardent à s’appliquer. Parmi elles se trouvent la réforme de la justice, la réforme du système de partis, la modernisation de l’Etat, la capacitation des fonctionnaires publiques, la reforme de l’éducation, etc. Ces réformes ont besoin d’être mises en place dans les prochaines années pour que la démocratie péruvienne puisse fonctionner mieux et puisse s’éloigner progressivement des démocraties mal constituées ou « corrompues » qui sont - comme nous le savons tous - toujours exposées à la menace des démagogues.

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