Le Vénézuela dans la campagne présidentielle colombienne

Le 30 mai 2010 nous connaîtrons quels seront les deux candidats qui se disputeront le second tour pour la présidence de la République de Colombie. En effet, si aucune majorité abosolue ne sort de ces élections, le nouveau Président ne sera alors connu qu’après le 20 juin 2010[1]. Toutefois, en ce samedi 8 mai, l’heure est encore au débat. Le candidat du Partit Vert, Antanas Mockus, est passé en tête des intentions de vote le lundi 26 avril avec 38%, contre 29% [2] seulement pour le candidat du Parti de la U, Juan Manuel Santos. La candidate du Partit Conservateur, Noemí Sanín, a ainsi été tirée vers le bas jusqu’à la troisième place. Les candidats qui s’affrontent en vue de remplacer Álvaro Uribe, président sortant après bientôt huit années au pouvoir[3], sont au nombre de neuf. Mais le débat qui agite les médias se concentre autour des deux personnalités qui sont en tête de liste. Mockus et Santos seraient, selon plusieurs sondages[4], les deux candidats qui s’affronteront lors du second tour, et Mockus, ancien maire de Bogotá, candidat centriste et légaliste, en sortirait vainqueur.

Certains attribuent l’ascension rapide et spectaculaire du candidat du Parti Vert dans les sondages à sa présence engagée sur le web[5]. D’autres dénoncent le manque de reconnaissance de l’actuel président envers son hétirier déclaré, Santos, comme une source de tranfert de votes vers Mockus... Mais dans l’avancée des débats, il ne faut pas négliger le contexte international dans lequel se situe la Colombie. La question de la sécurité ainsi que celle du développement des échanges économiques sont sensibles pour l’opinion publique. L’intervention du président Vénézuélien, Hugo Chavez, le dimanche 25 avril dans son programme Aló Presidente, a fait beaucoup de bruit. En effet, tout en affirmant ne prendre aucun parti[6], l’initiateur de la « révolution bolivarienne » a laissé entendre que si le candidat uribiste était élu, « il pourrait entrainer une guerre »[7]. En contrepartie, Mockus aurait affirmé avoir du « respect » pour Hugo Chávez voire même une certaine « admiration ». Toutefois, il se défend d’importer en Colombie le « socialisme du XXIe siècle » de Chávez[8] et prétend accorder une importance toujours primordiale à la question de la sécurité démocratique. En effet, bien que venant de l’opposition, Antanas Mockus ne se déclare pas anti-uribiste, ce qui serait politiquement dangereux étant donné que la popularité de celui-ci atteint les 70%[9].

Somme toute, les intentions du candidat du Parti Vert envers le pays voisin semblent conciliatrices[10]. En vue de l’amélioration des relations diplomatiques entre le Vénézuela et la Colombie, en quoi l’issue des élections colombiennes est un enjeu stratégique, politique mais aussi économique pour les deux pays, et à quel point Chavez est-il prêt à influer sur les résultats ?

 

Les FARC, un enjeu Colombien qui touche de près le Vénézuéla

Le Président Chávez est impliqué dans les négociations de paix entre le gouvernement colombien et les FARC car il tend à jouer un rôle de médiateur. Hugo Chávez était même prêt en 2007 à rencontrer les FARC, dans la jungle colombienne, pour dialoguer mais cela ne s’est pas concrétisé car le gouvernement colombien a soutenu que cette initiative n’était pas réaliste. Le motif de ce refus étant lié au fait que les autorités colombiennes n’étaient pas disposées à démilitariser une partie du pays pour entamer les négociations. C’est aussi en août 2007 que la ville de Caracas au Venezuela a été acceptée comme terrain neutre pour les négociations. Mais cette décision fut révoquée en novembre 2007. Néanmoins, le Président continue de s’impliquer dans la vie politique de son voisin concernant les FARC.

Considérés comme une organisation terroriste par 33 états dans le monde, les FARC ont, d’après Hugo Chávez, le statut de groupe belligérant. De plus, même s’il n’existe pas de preuves tangibles, certaines suppositions affirment l’existence d’un lien étroit entre les FARC et le président vénézuélien qui s’expliquerait par le fait qu’idéologiquement Hugo Chávez partage la même vision que les FARC[11].

Concernant l’état actuel de ces dernières, celles-ci auraient été affaiblies de façon plus concrète après la mort de Manuel Marulanda, dirigent des FARC, et de son bras droit Raul Reyes en 2008. Le manque d’implication au sein de la vie politique du groupe armé lui a également fait perdre une partie de l’appui sociétal[12].

La libération d’Ingrid Betancourt leur a aussi fait perdre beaucoup de crédibilité. Le mouvement s’essouffle : le nombre de combattants diminue ainsi que la quantité d’otages. De plus, le nouveau dirigeant, Alfonso Cano a du mal à rassembler les combattants qui sont dispersés dans la jungle colombienne[13].

 

Le thème de la sécurité est fortement présent dans les programmes des candidats à la présidence colombienne. Antanas Mockus, lorsqu’il était maire de Bogotá, a réussi à diminuer la criminalité urbaine et à en améliorer la sécurité. S’il est élu, Antanas Mockus suivra la politique de sécurité d’Álvaro Uribe. De plus, pour arriver à établir la paix dans le pays, le candidat est convaincu que la démobilisation des FARC est indispensable, mais ce, au travers d’une stratégie qui combine fermeté, pression militaire et opportunité pour les guérilleros de se réinsérer dans la société[14].

 

En ce qui concerne le Venezuela, Mockus a déjà déclaré qu’il admirait l’idéologie de Chávez sans toutefois vouloir établir une république socialiste en Colombie[15]. Il pourrait être en mesure de renouer des rapports commerciaux avec le président vénézuélien - permettant ainsi plus d’échanges commerciaux, ce qui bénéficierait les deux pays.

C’est pourquoi, semble-t-il, Chávez accorde une attention toute particulière aux élections nationales colombiennes, mais jusqu’à quel point peut-il influencer les résultats du premier tour des présidentielles, le 30 mai prochain ?

 

Une pression Chaviste à la fois économique et politique pèse sur les élections Colombiennes.

Les États-Unis, ainsi que le ministre colombien de l’intérieur et de la justice Fabio Valencia, ont dénoncé ce 1er mai l’ ”ingérence” du président vénézuélien dans la campagne électorale colombienne. Hugo Chávez, sans apporter explicitement soutien à Mockus, a en effet clairement exprimé son hostilité à l’égard de Juan Manuel Santos. Le candidat du Partido Social y de Unidad Nacional est selon ses dires un « danger pour le continent », et Chávez va jusqu’à évoquer une possible guerre entre les deux pays s’il est élu. Les élections sont donc un enjeu qui dépasse la sphère nationale, puisque leur issue déterminera la tendance des relations diplomatiques des deux pays depuis longtemps sous tension.

En août 2009, la Colombie a signé avec les États-Unis un accord militaire qui octroie à Washington le contrôle de 7 bases militaires colombiennes, et à cette occasion, Chávez avait gelé presque toute relation économique ou politique avec la Colombie, dénonçant l’intrusion nord-américaine.

Chávez se souvient que Santos, à l’époque ministre de la défense d’Uribe, avait participé à cet accord dans le cadre de la lutte contre les FARC, et il redoute donc la signature d’une nouvelle alliance militaire américano-colombienne, qui serait un obstacle majeur pour la promotion de sa « révolution bolivarienne » dans la région.

C’est donc de dissension idéologiqueque que semble provenir l’animosité de Chávez à l’égard de l’éventuel successeur d’Uribe. Pourtant, cet accord a eu de grandes répercussions économiques : au premier trimestre de 2010, les exportations Colombiennes vers le Venezuela ont dégringolé de 72.8% par rapport au même semestre de l’année précédente1 Le vendredi 7 mai, Chávez n’a pas hésité à menacer la Colombie de rompre « totalement » le commerce avec elle si Santos était élu, ajoutant que le Venezuela entretenait de bonnes relations avec tous les pays voisins, et qu’il pourrait par conséquent se passer de la Colombie.

Même si selon le vice-président colombien, Francisco Santos, 40% des exportations colombiennes vers le Venezuela ont pu s’écouler en Chine depuis août 2009, la Colombie risque de perdre pour de bon son deuxième associé commercial. Pour les élections du 30 mai 2010, certains partisans de Mockus espèrent donc renouer avec le Venezuela pour permettre aux entreprises de récupérer un marché d’exportation de l’ordre de 6.000 millions de dollars. Les élections colombiennes seront donc un quitte ou double pour les relations avec la République Bolivarienne. Chávez espère, avec son ultimatum commercial, inciter les colombiens à élire Mockus, qui contrairement à Santos a explicitement affirmé son « respect » pour le président vénézuélien.

Malgré tout, Mockus, au même titre que Santos, n’est ni déterminé ni en mesure rompre avec le modèle néolibéral de son pays et à l’alliance avec les États-Unis, qui a fortement joué dans la lutte contre les FARC. Chávez ne peut finalement espérer d’aucun candidat une adhésion à son projet socialiste, ce qui laisse annoncer des relations toujours complexes pour les années à venir.[16]


 

 

 


[1] « El sondeo vaticina además que en una segunda vuelta presidencial —que se realizará el 20 de junio si ningún candidato obtiene más de la mitad de los votos » http://elcomercio.pe/noticia/470382/elecciones-colombia-si-mockus-tiene-parkinson-que-santos-que-tiembla. Page web consultée le 07/05/10.

[2] Selon un sondage de IPSOS- Napoléon Franco : http://www.semana.com/noticias-elecciones-2010/mockus-38-santos-29-primera-mockus-50-santos-37-segunda/138145.aspx. Page web consultée le 07/05/10.

[3] Álvaro Uribe a été élu pour la première fois le 7 août 2002, puis réellu le 28 mai 2006.

[4] - Sondage de IPSOS- Napoléon Franco : http://www.semana.com/noticias-elecciones-2010/mockus-38-santos-29-primera-mockus-50-santos-37-segunda/138145.aspx. Page web consultée le 07/05/10.

- Sondage de la firme Gallup : http://elcomercio.pe/noticia/470382/elecciones-colombia-si-mockus-tiene-parkinson-que-santos-que-tiembla. Page web consultée le 07/05/10.

- Songade du Centre national de Consultation : http://www.eltiempo.com/elecciones2010/ARTICULO-WEB-PLANTILLA_NOTA_INTERIOR-7649568.html. Page web consultée le 07/05/10.

[5] « Le phénomène virtuel ( plus de 400 000 fans sur Facebook, un record mondial de progression) semble gagner le réel, preuve de l’efficacité de cette nouvelle de forme de mobilisation via le web 2.0 » selon le journaliste indépendant Michaël Rabier sur la page : http://rabier.wordpress.com/2010/04/27/mockus-en-tete-des-le-premier-tour/, consultée le 07/05/10.

[6] Presidente Chávez negó tener injerencia en elecciones colombianas, le 26 avril 2010. http://www.vtv.gov.ve/noticias-internacionales/34569. Page web consultée le 07/05/10.

[7] - El Universal, quotidien vénézuelien, cronique de Sadio Garavini Di Turno, Elecciones colombianas y Chávez : « Chávez llegó hasta el extremo de mencionar la posibilidad de una guerra ». http://www.eluniversal.com/2010/05/04/opi_art_elecciones-colombian_04A3847771.shtml. Page web consultée le 07/05/10.

- « Sin embargo, acotó [Chávez] que estudiando los antecedentes, en el caso de José Manuel Santos, sería muy difícil que se reestableciera la confianza y las relaciones políticas ». http://www.vtv.gov.ve/noticias-internacionales/34569. Page web consultée le 07/05/10.

- "Si Santos devenait président, il pourrait entraîner une guerre dans cette partie du monde", a déclaré le président vénézuélien Hugo Chavez au cours de son émission télévisée hebdomadaire "Alo Presidente", dimanche. http://www.lexpress.fr/actualites/1/colombie-santos-candidat-a-la-presidence-et-bete-noire-de-son-voisin-chavez_887659.html. Page web consultée le 08/05/10

 

[8] No rotundo de Mockus a la 'revolución bolivariana' : http://www.caracol.com.co/especiales/elecciones/nota.aspx?id=1025166. Page web consultée le 08/05/10

[9] Marie Delcas, journaliste française installée en Colombie, correspondante du journal Le Monde : « la popularité du président Alvaro Uribe et de sa politique sécuritaire sont telles, qu’aucun candidat ne se proclame ouvertement anti-uribiste » http://rabier.wordpress.com/2010/04/23/entretien-avec-marie-delcas-%C2%AB-santos-est-deteste-par-une-partie-des-uribistes%C2%A0%C2%BB/. Page web consultée le 07/05/10.

 

[10] "Improving relations with our neighboring country is the solution for Colombia. No investment will be as effective as improving that relationship," Mockus said.

http://colombiareports.com/colombia-news/2010-elections/9547-mockus-i-will-not-allow-chavezs-revolution-into-colombia.html

 

[11] http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2008-05-16/l-univers-des-farc-venezuela-hugo-chavez/924/0/246072

[12] http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=644

[13] http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=870

[14] http://www.semana.com/noticias-elecciones-2010/candidato-propone-para-conseguir-paz/137837.aspx

[15] http://rabier.wordpress.com/2010/04/29/tribune-mockus-l%E2%80%99option-suicide/

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