La présence physique de la dictature dans le paysage argentin : le cas de Buenos Aires (Suite)

Écrit par Maeva Morin

La Iglesia Santa Cruz

 L'église Santa Cruz est une petite église du quartier de San Cristobal où se réunissaient les premières Mères de la place de Mai avec la complicité du curé.

Le 8 décembre 1977, l'armée lance une opération contre les Madres : trois Mères furent arrêtées dont Azucena Villaflor et les deux religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet. Alfredo Astiz, « l'ange de la mort » avait infiltré le groupe depuis plusieurs semaines.

Depuis, l'église Santa Cruz est un lieu de recueillement, mais aussi un lieu d'antagonismes, puisque le 15 mai 2007, des slogans en faveur de Videla avaient été tagué.

L'Eglise Santa Cruz est un bon exemple d'espace qui devient un lieu de mémoire après que la population se le soit approprié.

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Le parc de la Mémoire à Buenos Aires

Le projet du Parque de la Memoria

Le projet du Parc de la mémoire est né d'un groupe d'anciens élèves du Collège National de Buenos Aires qui s'étaient retrouvés lors d'un hommage rendu à leurs compagnons disparus. Les années 1990 furent un tournant dans la manière d'aborder la mémoire de la dictature en Argentine, notamment pour les Association des Droits de l'homme qui s'engagèrent dans des actions en relation avec la mémoire.

La proposition du Parc de la Mémoire fut introduite en mars 1998 lors du Concours des Idées pour le Proyecto de Arquitectura Area Ciudad Universitaria qui avait conjointement convoqué le gouvernement de la ville et l'Université de Buenos Aires. Le projet prévoyait l'édification de trois monuments : un destiné aux victimes du terrorisme d'Etat, un autre pour les victimes de l'attentat de la AMIA (Association Mutuelle des Israélites Argentins), et enfin le dernier pour les justes de la Nation.

L'emplacement fut choisi d'après les révélations du capitaine Adolfo Scilingo qui décrivait minutieusement le fonctionnement des « vols de la mort ». Le Rio de la Plata devenait donc un lieu hautement symbolique puisque des centaines de Desaparecidos y avaient été jetés vivants.

Le projet a mobilisé dix organismes de droits de l'homme. En 1998, est adoptée la loi 46 qui consacre la construction d'un espace sur la Costanera du Rio de la Plata comme « espace publique avec des monuments et des sculptures en hommages aux victimes du Terrorisme d'Etat ». A partir de la promulgation de la loi, les associations des droits de l'homme, ont coordonnées leurs actions avec des membres de l'administration locale et des législateurs. Une commission Pro Monumento a las victimas del Terrorismo de Estado fut crée par la même loi 46, qui décrit les caractéristiques du Monument qui devra contenir « les noms des détenus-disparus ». La  commission était composée de vingt-sept membres (du pouvoir législatif et exécutif de la ville de Buenos Aires, un représentant de l'Université de Buenos Aires et un représentant pour chacun des dix organismes des droits de l'homme) chargés de coordonner le projet.

Concernant les sculptures qui balisent le parc, un concours international d'Art publique contemporain fut organisé par la Commission qui reçut 665 projets de 44 pays différents. Furent sélectionnés huit œuvres puis six autres d'artistes invités par la Commission.

Le 30 août 2001 fut inauguré la Plaza de Acceso, qui constitue l'atrium du monument et l'entrée du parc.

Débat et désaccord autour du projet

Le projet du Parque de la Memoria fut une expérience inédite au sens où il résulte d'un dialogue entre des acteurs du secteur publique et des acteurs non-gouvernementaux en vue de l'édification d'un monument à la mémoire des victimes du terrorisme d'Etat financé par l'Etat. Le principal débat qui occupa les acteurs tourna autour de l'inscription des noms des disparus : qui inscrire ? Comment les inscrire, par ordre alphabétique ou par date de disparition ? Mais c'est surtout avec l'Association des Mères de la Place de Mai i, et quelques membres de l'Association d'Anciens Détenus-Disparus et de HIJOS  que le projet rencontra sa principale opposition qui accusèrent les législateurs d'appartenir aux mêmes partis politiques qui avaient voté les lois de Punto Final et Obedencia Debida. Quant à Hebe Bonafini, elle menaçait d'effacer les noms des disparus du Monument de la mémoire.  Dans sa lettre ouverte celle-ci déclarait que :

"La Asociacion Madres de Plaza de Mayo se dirige a la opinión pública para informarle que agotados todos los medios posibles e imposibles para evitar que los nombres de nuestros hijos estén en el monumento que quieren levantar en la Costanera los mismos que perdonaron a los asesinos y que en muchos casos se alianzaron con ellos. Si fuera necesario usaremos pico, martillo y corta fierros para borrar los nombres grabados en ese monumento que para nosotros ofende a nuestros hijos queridos revolucionarios que se oponían a los planes económicos de hambre y miseria que hoy aplican los que levantan dicho parque de la Memoria. Queremos aclarar que borrar como sea los nombres de nuestros hijos del monumento, no es violencia y la prepotencia la emplean los que sin autorización deciden poner los nombres de todos los desaparecidos en ese monumento".

Il faut replacer  la lettre ouverte d'Hebe Bonafini dans le contexte général de l'époque, puisque les débats autour de la construction du Parque eurent lieu lors de l'année 2001, sur fond de crise économique et politique. Les références à la politique économique sont loin d'être anodines et l'association entre les gouvernements des années 2000 avec ceux des années de la dictature fut fréquemment utilisée. Toutefois, le débat autour de l'inscription ou noms des noms des disparus sur des monuments publics est toujours aussi présents et les divergences entre les organismes des droits de l'homme toujours aussi prégnantes. En effet, les débats qui occupèrent les acteurs du projet de Parque de la Memoria occupent aujourd'hui les acteurs de la réalisation du Musée de la Mémoire de l'ex ESMA : comment faire de l'un des centres de détentions les plus funestes de la dictature un mémorial en hommages aux disparus ? Quelles associations des droits de l'homme à sa place ? Qui détient la légitimité d'imposer ses vues dans ce projets ? Quel organisme aura son local au sein du centre ? Toutes ces rivalités minent et ralentisse l'avancé du projet qui devrait pourtant aboutir l'année qui vient.

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http://www.parquedelamemoria.org.ar/parque/index.htm

VERBITSKY, Horacio, El vuelo, Buenos Aires, Sudamericana, 2006

Abuelas de Plaza de Mayo, Asamblea Permanente por los Derechos Humanos, Buena Memoria, Centro de Estudios Legales y Sociales, Familiares de Desaparecidos y Detenidos por razones políticas, Fundación Memoria Histórica y Social Argentina, Liga Argentina por los Derechos del Hombre, Madres Plaza de Mayo Línea Fundadora, Movimiento Ecuménico por los Derechos Humanos, Servicio Paz y Justicia.

Les œuvres sélectionnées furent : « Huaca » de German Botero ; « Retrato de Pablo Miguez » de Claudia Fontes ; « Carteles de la Memoria » du Groupe de Arte Callejero ; « Pieta de Argentina » de Rini Hurkmans; "Monumento al Escapa" de Denis Oppenheim; "Pensar es un hecho revolucionario" de Marie Orensanz; "La casa de la historia" de Marjetica Potrc; "El Olimpo" de Nuno Ramos.

Les artistes invités furent : Roberto Aizemberg, Juan Carlos Distefano, Noberto Gomez et Leo Vinci, Jenny Holzer, Magdalena Abakanowicz.

Cette réaction est conforme à la ligne de l'Association des Madres Plaza de Mayo qui refuse l'identification des disparus pour ne pas les « individualiser ».

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Voir Clarin du 15 mai 2005, http://www.clarin.com/diario/2007/05/15/um/m-01419164.htm

 

 

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