La crise, les économies réelles domestiques et les perspectives

Écrit par Bénédicte Baduel

Alors qu'à l'échelle mondiale de nombreuses économies se sont effondrées dès le troisième trimestre de 2008 subissant le contrecoup de la panique financière qui a suivi la faillite de la banque Lehman Brothers aux Etats-Unis, l'Amérique latine à continué à croitre jusque dans les derniers mois de l'année passée. La région qui a connu un cycle de croissance soutenue depuis 2003 a bénéficié d'une demande interne dynamique qui lui a permis de résister aux chocs externes financiers et commerciaux et d'être ainsi touchée plus tardivement par la crise au niveau domestique. Mais, la conjoncture mondiale défavorable a fini par gagner les économies réelles dont les données des variables économiques de ces derniers mois laissent augurer d'une année 2009 difficile sur le plan économique alors que s'ouvre un cycle électoral important dans la région.

Quand la crise s'approfondit à partir de septembre 2008, la région jouit d'une dynamique de croissance forte, en particulier de la demande interne (consommation et investissement). Ceci permet d'expliquer le maintien de taux de croissance relativement élevés dans la plupart des pays jusqu'au troisième trimestre de l'année alors que le commerce mondial avait déjà sérieusement ralenti suite à l'arrêt brutal des pays industrialisés et de certains émergents. La crise s'est transmise aux économies réelles de la région via plusieurs canaux. D'abord, la crise financière a eu des répercussions sur l'offre de crédit dans les pays latino-américains. On distingue deux effets. D'une part, lié à la panique post-Lehman Brothers qui a entrainé une diminution des prêts inter-bancaires et donc de la liquidité pour les banques, celles-ci ont eu tendance à restreindre leur offre de crédit -hypothécaire et à la consommation- et a en augmenter le coût (c'est-à-dire à relever le taux d'intérêt)[1]. Ceci a donc eu un impact sur les crédits aux particuliers. D'autre part, l'assèchement des marchés de capitaux internationaux a conduit de grandes entreprises régionales à se diriger vers les marchés locaux provoquant un effet d'éviction pour les entreprises plus petites. Or les PME représentent l'essentiel du tissu industriel latino-américain et la restriction de leurs sources de financements a un impact important sur la production et l'emploi. Ainsi, la baisse du crédit à la consommation et l'assombrissement des anticipations sur les perspectives économiques (graphique) ont induit un fort ralentissement des ventes de détail dans pratiquement tous les pays au cours des derniers mois de l'année, en particulier de biens durables (automobile, électroménager). La croissance des ventes a fortement freiné, particulièrement au Mexique (qui a commencé à ralentir dès le début de 2008) et au Chili plus récemment. A l'inverse, le Pérou a bénéficié d'une demande interne dynamique qui lui a permis de maintenir un taux de croissance élevé en 2008.

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Subissant à la fois le repli de la demande externe et l'affaiblissement de la demande interne, la production a elle-aussi chuté (graphique), plus ou moins fortement selon les secteurs et, les anticipations des producteurs se sont dégradées. Ainsi, la chute de la production industrielle a été particulièrement forte dans les secteurs très dépendants du crédit comme l'industrie automobile. Au Mexique, l'industrie manufacturière, principalement destinée au marché nord-américain a été particulièrement affectée et la production industrielle affiche une contraction depuis plus de six mois. Les industries minières ont également fortement accusé le coup du recul de la demande asiatique et de l'effondrement des prix. Par exemple, la production de cuivre a chuté de près de 10% au Chili en février 2009.

 

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Tous ces éléments ont donc conduit à infléchir les rythmes de croissance des pays de la région qui se sont fortement abaissés au quatrième trimestre de l'année dernière. Les pays les plus touchés[2] ont été le Mexique et la Colombie dont le produit intérieur brut s'est contracté sur les trois derniers mois de 2008 de 1,6% et 0,7% respectivement en glissement annuel (c'est-à-dire par rapport au même trimestre de l'année précédente). Le Chili a stagné (+0,2% en ga) et aucun pays de la région n'a échappé à une forte décélération. Ainsi, la croissance du Brésil est passée de 6,4% au troisième trimestre à 1,3% au dernier trimestre de 2008 en ga. Le Pérou, champion de la croissance dans la région en 2008 (+9,8%) n'est pas imperméable à la crise et l'activité a progressé moins que prévu au début de cette année, d'à peine 3% en janvier. Dans le contexte d'un environnement mondial toujours déprimé et de l'essoufflement des sources internes de la croissance, le premier trimestre 2009 ne devrait pas s'avérer très favorable pour l'Amérique latine. Les perspectives régionales pour 2009 et 2010 s'assombrissent. Plusieurs organismes (Banque mondiale, CEPAL) prévoient dorénavant une contraction dans la région pour l'année en cours.

 

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Dans ce cadre, les acquis sociaux de la dernière décennie pourraient être menacés. On assiste déjà  à une hausse du chômage dans la région et les tensions sociales sont perceptibles dans plusieurs pays. La mise au chômage technique lié à l'arrêt d'usines inquiète sur les perspectives futures de l'emploi (au Brésil notamment).  La raréfaction et le renchérissement du crédit sont un frein important à la consommation. Si l'on ajoute la diminution anticipée des remesas, la crise si elle se prolonge pourrait impliquer une précarisation des classes moyennes et une fragilisation des progrès réalisés en termes de réduction de la pauvreté. Déjà, au Brésil, selon la fondation Getulio Vargas, un peu plus d'un demi-million de brésilien de la classe moyenne seraient retombés parmi les couches les plus pauvres du pays. En fait, l'ampleur de la récession sera très liée à l'évolution de la conjoncture internationale et conditionnelle à la reprise des grands partenaires commerciaux. L'enjeu actuel pour les pays latino-américains est donc celui de la gestion de la crise au niveau interne. Face à la dépression de l'activité les gouvernements doivent faire face à des demandes sociales de plus en plus pressantes dans un cadre politique de cycle électoral. L'opinion publique en Amérique latine s'est montrée plutôt favorable à l'action des gouvernements, certains chefs d'Etat voyant même leur popularité augmenter (Lula au Brésil, Michelle Bachelet au Chili). Cette tendance peut s'expliquer par le fait que la décélération brutale des économies est arrivée plus tardivement que dans le reste du monde et par la perception d'une gestion plutôt bonne de la crise grâce à des marges de manœuvre plus importantes que par le passé. Dans ce contexte, l'action des gouvernements latino-américains pour modérer les conséquences de la crise est une variable clé pour éviter les sanctions de l'opinion qu'ont subies d'autres pays (chute des gouvernements en Islande, Lettonie, Hongrie...).

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[1] Rappelons que les taux d'intérêts étaient déjà particulièrement élevés dans la plupart des pays latino-américains du fait des politiques monétaires restrictives (hausse du taux d'intérêt directeur par les banques centrales) menées pour endiguer les forts taux d'inflation, principal problème des économies de la région en 2007-2008.

[2] En nous basant sur les chiffres publiés à ce jour.

 

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