EQUATEUR

Dans cette industrie cinématographique jeune l’égalité des chances n’a pas su s’imposer dès ses prémices


Interview : Clotilde Richalet Szuch

Introduction et Transcription : Amalia Cueva

L’industrie du cinéma équatorien est encore très petite, beaucoup de femmes s’accordent à dire qu’elles ont eu les mêmes possibilités que les hommes parce que l’industrie commence à peine à exister et les productions sont en général indépendantes et autofinancées. De plus, les réalisateurs les plus reconnues au niveau international à l’heure actuelle sont des femmes, bien que la minorité à l’échelle nationale. En termes de postes techniques, cependant, elles ont encore une place très réduite dans l’industrie, car la société continue à être très sexiste et discriminatoire et les seules femmes qui sont reconnues sont les directrices ou les actrices, mais pas celles qui occupent des postes plus petites derrières les caméras.

Dans le monde académique, il y a de plus en plus d’étudiantes en cinéma, ce qui montre qu’il y aura probablement plus de participation féminine à l’avenir. Cependant, certains cinéastes font remarquer que même si les femmes sont de plus en plus nombreuses dans l’industrie et dans le monde académique, les postes de pouvoir les plus élevés sont toujours occupés par des hommes, par exemple, dans toutes les universités du pays, les directeurs des carrières de cinéma sont tous des hommes. Une problématique relevée par les interviews est la difficulté de conciliation entre une carrière dans le cinéma et la maternité, puis que les lois de pré et post natal ne sont pas claires en relations aux métiers intermittents, et il est difficile pour les femmes de prendre en charge des grands projets cinématographique tout en élevant leurs enfants, d’autant plus qu’il s’agit d’une société dans laquelle les femmes jouent encore les rôles les plus importants dans la maternité et dans la maison.

Des initiatives très intéressantes sont en cours en Équateur en ce qui concerne la position des femmes dans l’industrie du cinéma. En 2018 a été créé le festival « Equis », qui vise à montrer des films uniquement de réalisatrices féminines et plus tard l’association de femmes cinéastes, qui a été très active dans la rédaction de la loi de la culture et du cinéma. Il existe aussi des communautés spécifiques, dans le cinéma expérimental et dans le cinéma communautaire en particulier, où elles sont majoritaires. Dans le cadre des revendications féministes, la plupart des interviewées sont d’accord avec des initiatives d’égalité homme-femme dans les festivals comme celle du festival de Cannes, cependant, il y a des doutes quant à l’objectif de parité, certaines interviewées évoquent la possibilité qu’au lieu d’avoir une parité de films gagnants, il devrait y avoir une parité dans les conseils de sélection des films, afin qu’un certain niveau de qualité soit maintenu et qu’un film ne soit pas choisi en détriment d’un autre seulement parce qu’il a été créé par une femme.

En termes de relations internationales, on considère généralement qu’il n’y a pas beaucoup de relations entre les pays d’Amérique latine en ce qui concerne le cinéma. L’Équateur n’a pas beaucoup de coproductions parce que l’industrie est encore très petite, mais ces dernières années, il y en a de plus en plus, surtout avec le Mexique et la Colombie. Les festivals semblent être l’un des lieux de rencontre les plus importants entre cinéastes de différentes nationalités, mais la projection de films latino-américains, voire même équatoriens est très difficile dans les salles commerciales, et la population n’a donc pas beaucoup accès à ce genre de films.

 

TEMOIGNAGES

 

Alexandra Cuesta

Réalisatrice : Recordando El Ayer (2007), Despedida (2013), Territorio (2016), Notas, encantaciones: parte I y II (2020)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Je pense que c’est génial bien sûr, mais ce n’est pas le fond du problème. Le problème est ailleurs, il a à voir avec qui prend les décisions, qui produit. C’est un milieu vraiment dominé par les hommes.

Donc, c'est un bon début mais je pense qu'il y a tellement de travail à faire. C’est un excellent moyen de le rendre visible et de commencer à en parler, mais je pense que c'est quelque chose qui doit changer systématiquement. Et ce n'est pas non plus la solution au problème plus large de l'inégalité, car le problème de la violence à l'égard des femmes et de l'inégalité des sexes est vraiment profondément enraciné dans d'autres parties de la société.  Il est donc bon que nous commencions à en parler, mais cela pourrait être dangereux de dissimuler le vrai problème. Par exemple, ici en Équateur, le taux de féminicide est extrêmement élevé dans les foyers économiquement les plus faibles, donc je pense que l’égalité doit être plus inclusif de cette manière, mais bien sûr, c'est un bon début.

 

Alicia Herrera

Directrice artistique : A son of Man (2018), El pan nuestro (2007)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Aujourd’hui il y a beaucoup de filles qui se forment dans différents domaines, les domaines confiés aux femmes sont dans la production générale et la direction artistique, mais maintenant il y a beaucoup de filles des nouvelles générations qui se forment dans le domaine de direction et il y a quelques femmes réalisatrices qui se sont démarquées comme Cristina Barragán et Carla Valencia. Elles font un travail qui est petit en quantité mais qui est très important en qualité ; et en ce qu'il a apporté au reste des gens qui travaillent au cinéma, car elles ont inspiré beaucoup de monde.

Je ne pense pas qu'il y ait des différences en termes de salaires avec les hommes, il n'y a pas cette difficulté. Mais l’industrie est en création, il n'y a toujours pas de règle générale. Les acteurs et techniciens se sont organisés, mais le reste des métiers du cinéma ne sont pas organisés, on n'a pas de syndicat de travailleurs du cinéma. Il y a un syndicat de producteurs, de techniciens et d'acteurs, mais beaucoup de métiers n’en ont pas donc ça dépend toujours de négociations privées avec le chef d'équipement en termes de paiements.

 

Ami Penagos

Assistante caméra : Feriado (2014), In transit (2015), A son of man (2018)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

C’est une période formidable pour les femmes !  C'est aussi une période formidable pour les femmes de l'industrie cinématographique, car nous avons certainement besoin d'être reconnues de manière plus créative. Alors je pense que c'est génial qu'elles commencent à pour se montrer, pour dire que nous sommes présentes, parce que c'est ce dont nous avions besoin : pour dire que nous sommes là et que nous sommes capables de faire les mêmes choses ou même mieux que les hommes, nous avons les mêmes capacités créatives. Je peux vous en dire plus sur l'aspect technique, je suis assistante caméra, je suis technicienne, ce qui au sein de l'industrie est un poste toujours géré par des hommes. C'est un espace qui compte un très petit nombre de femmes, ou aucune. Il y a beaucoup de pays où il n'y a pas de femme qui travaille comme électro à la lumière ou comme gaffer, car ce sont des postes physiques ils sont toujours occupés pour les hommes. J'ai travaillé comme chef électro lumière il y a de nombreuses années et ce n'était ni plus ni moins difficile pour moi que pour un homme. Les initiatives comme celle de Cannes sont très importantes, pour que plus de places commencent à s'ouvrir pour les femmes. Notre sexe ne nous rend pas capable ou incapable de faire notre travail comme n'importe qui d'autre.

 

Ana Costa

Réalisatrice Indigène

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Il y a très peu de femmes dans le monde du cinéma, il y a plus d'hommes. Et il y a quelque chose d'intéressant, que très peu sont dans le cinéma de fiction, il y a plus de femmes dans les documentaires. Mais le fait qu'il y ait des femmes ne garantit pas qu'il y ait des histoires avec un contenu qui ont une orientation féministe. Il y a des histoires construites à partir de femmes, mais qui continuent à reproduire une ligne discursive du cinéma équatorien qui est très autoréférentielle.  Qui parle d'expériences très personnelles et qui sont destinées à une communauté. Il y a peu de femmes qui créent des histoires qui abordent diverses questions, à partir d'approches de genre et de féminisme. L’autre chose est qu'il n’y a presque aucune femme qui se soit définie comme féministe, parce qu’elles ne veulent pas être coincées dans une case. 

C’est ce qui nous est arrivé dans l'espace communautaire, et nous exigeons que d'autres secteurs et communautés participent au cinéma. Nous avons invité les communautés afro-autochtones aux ateliers de cinéma que nous avons organisés, et des hommes autochtones ou des hommes d'ascendance africaine sont venus, ensuite nous avons commencé à faire des classes uniquement pour les femmes.

Parlons de la question de l'intersectionnalité des classes, de l'ethnie et de nombreux autres facteurs qui permettent ou non de devenir un réalisateur. Je pense que la participation des femmes au cinéma s'est plus limitée au sujet du jeu d'acteur ou à d'autres choses qui ne sont pas liées au sujet de la technique d'utilisation des outils, comme la caméra, le montage, le son… Je crois qu'un imaginaire a été généré dans lequel on a cru que le cinéma n'était que pour les hommes. Où les femmes sont limitées à être une actrice et aussi une actrice stéréotypée, car nous ne voyons pas de femmes non-conventionnelles dans les productions cinématographiques. D'autres histoires de vraies femmes ne sont pas montrées, même dans le documentaire.

 

Ana Cristina Barragán

Réalisatrice : Alba (2016), La piel pulpo (2020)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

J'ai le sentiment que l'Équateur a une histoire du cinéma plus courte que d'autres pays et il est fou que dans cette courte histoire, il y ait beaucoup de réalisatrices. J'ai beaucoup travaillé au Mexique et même avec leur grande histoire cinématographique : j'ai rencontré peu de réalisatrices. Peut-être parce que comme c'est une histoire cinématographique plus longue, elle est aussi historiquement liée au patriarcat. D'un autre côté, comme l'histoire du cinéma équatorien est plus courte, je pense qu'elle coïncide avec la participation des femmes à beaucoup d'autres métiers. Il y a presque le même nombre de réalisatrices femmes que d'hommes. Mais j'ai le sentiment qu'il y a peu de réalisatrices de fiction mais il y a pas mal de réalisatrices de documentaires. Et je sens qu'il y a une force, nous ne sommes pas une minorité exclue dans le cinéma équatorien, en fait beaucoup de femmes ont réalisé des choses importantes.

 

Ana Gabriela Yañez Moncayo

Sound Editor / Professeur à l’Université de Quito

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

En tant que femmes nous essayons toujours de rencontrer d'autres femmes et de créer des réseaux, comme si nous avions ce besoin de nous soutenir les uns les autres. Je pense qu’il y a cette connexion invisible que nous avons en tant que femmes. J’ai rencontré des femmes réalisatrices d'Argentine et de Guayaquil et elles font équipe avec des femmes, ne rejetant pas les hommes, mais essayant simplement de se réunir, de mettre en place des choses ensemble. Mais je ne pense pas que nous soyons aussi organisés que dans d'autres pays, en Europe, ils sont beaucoup plus organisés, mais je pense que cela a un rapport direct avec la façon dont nos pays fonctionnent. Ici nous le faisons parce que nous y croyons, mais nous devons trouver notre propre chemin. Donc, dans ce sens, je pense que nous les cinéastes latino-américains, nous sommes encore un peu en retard, mais ce n'est pas de notre faute, c'est la société dans laquelle nous vivons.

 

Ana Velasquez

Réalisatrice Indigène

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense que cela a été un chemin très difficile pour les femmes, en particulier du point de vue latino-américain, faire des films en tant que femmes a été beaucoup plus difficile. Car il y a des femmes qui croient toujours que nous ne pouvons pas accéder à ces espaces.

Je crois qu'aujourd'hui les femmes créent ces espaces, elles ont de l'initiative, elles parlent, disent ce qu'elles veulent faire, elles rejoignent d'autres femmes et pas forcément avec l'idée de rendre l'autre invisible, mais de rechercher cette égalité.

Je pense que le cinéma et l'audiovisuel sont un autre des outils extrêmement importants pour rendre visible cette équité que nous recherchons. Je pense donc qu'en ce moment, en tant que femmes, nous faisons du bon travail, lentement mais sûrement, ce n'est pas quelque chose de facile. Quand on fait de la télévision et quand on est une femme et qu'on est indigène c'est beaucoup plus compliqué ! D'autant plus qu'on vit toujours dans une société super macho, et voir une femme tenir une caméra ou diriger quelque chose est rare.  Alors il y a toujours le défi de leur montrer que nous pouvons, et il existe de nombreux exemples de femmes qui l'ont fait. Je pense qu'aujourd'hui dans ce monde technologique nous sommes plus vues, donc je pense qu'il faut saisir ces outils comme le cinéma, comme l'audiovisuel pour générer des changements. 

 

Anahi Hoeneisen

Actrice : Esas no son penas (2005) La llamada (2013), Agujero Negro (2018)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Ce genre de manifestation se déroule dans le monde entier pour faire entendre la voix féminine dans de nombreux endroits et de différentes manières. Je pense que l'une des choses les plus importantes à ce sujet est que cela vous fait réfléchir. Je me suis rendu compte qu’il y a des efforts supplémentaires à faire et que moi, comme beaucoup de femmes, je ne suis plus très disposée à le faire. Vous devez être bonne dans votre domaine, mais vous devez aussi faire un effort supplémentaire pour montrer que vous pouvez le faire, que vous n'allez pas pleurer, que vous allez finir ce que vous avez commencé. Pourquoi y mettre tant d’énergie… parce que nous devons continuer le combat. Je pense donc que ces manifestations comme celle de Cannes démultiplie la force des femmes partout, et je pense que c'est important.

 

Analia Torres

Assistante Caméra : Papita, mami, toston (2013)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Ça fait 11 ans que je suis dans le milieu et j’ai occupé plusieurs positions dans l'équipe caméra. Mon expérience est un peu biaisée dans le sens où j'ai fait mes études en France et en Belgique et c'est là que j'ai commencé à travailler. Du coup revenir ici a été un choc culturel même si c'est chez moi.

J'avais 17 ans quand je suis partie vivre en Europe. En revenant ici ça a été un peu difficile de trouver ma place dans le département d'image, parce que j'étais la seule femme.

Tous les techniciens sont hommes, nous sommes cinq femmes actuellement dans l'équipe caméra ; c'est vraiment très restreint. Sur le plateau je n’ai quasiment pas d'échange avec des collègues femmes parce que tout simplement elles sont dans d'autres équipes comme maquillage, production... qui sont historiquement plus liés aux femmes.

Il y a une différence importante entre le cinéma et la publicité, parce que dans tous les films auxquels j'ai participé en Équateur, il y a toujours une envie des réalisateurs et des producteurs que ce soit un peu plus équilibré entre la présence des femmes et des hommes. Mes chefs directs, les directeurs photos ou les réalisateurs n'ont jamais été réticents de ma présence, ça a plutôt été un échange généreux et agréable.

En général dans le cinéma en Équateur, beaucoup de femmes qui font ça depuis plusieurs années ont des postes qui sont généralement rattachés à la figure de la femme. Je ne sais pas pourquoi, surtout dans la technique il y a peu de femmes. Par exemple il y a une seule ingénieure du son qui est femme en Équateur. Il n'y a pas une construction d’égalité dans le processus d'apprentissage à plus long terme. 

 

Andrea Velarde Mosquera

Ingénieur du son : Thirst (2015), Solo es una mas (2017), Flores Negras (2020)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

La plupart d'entre nous sont très jeunes et c'est une industrie qui a été construite par des hommes. La plupart des femmes sont dans des domaines tels que l'art, le maquillage, les costumes ou les actrices. Ouvrir la voie et être prise au sérieux est très difficile. 

Je suis ingénieur du son, nous ne sommes que 3 ou 4 en Equateur. Il m'a fallu beaucoup de temps pour amener les hommes à me voir différemment, et me prendre au sérieux. Peut-être parce que Je suis très jeune, mais comme c'est une industrie jeune, les gens qui font cela depuis de nombreuses années sont très peu nombreux.

Avoir de bonnes opportunités est difficile, donc quand ça se présente, vous devez en profiter et vous faire respecter pour y parvenir. Et en même temps nous n'avons pas l'expérience d'autres pays, donc nous apprenons, et apprendre dans cet environnement est parfois frustrant, car vous ne pouvez pas vous tromper. Si on vous donne votre chance et que vous échouer plus personne ne vous prendra plus au sérieux. Un homme peut faire des erreurs, et pour lui il aura d'autres opportunités.

  

Anabel Arias

Productrice : Prometeo Deportado (2011), Moments of Campaign (2015)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Les femmes prennent enfin leur place aujourd’hui même s’il y a encore des choses différentes, par exemple dans les domaines techniques. Mais enfin on réalise que le travail physique n'est pas nécessairement réservé aux hommes. Il y a beaucoup plus de travail intellectuel et créatif de la part des femmes, dans le domaine de la production cinématographique par exemple.

Je pense qu'il y a une pénurie de réalisatrices en Amérique latine. Il y en a de très bonnes, tant dans la fiction que dans le documentaire, mais il n'y en a pas beaucoup. Mais ici si vous êtes réalisateur, il faut aussi être producteur et lever des fonds, c'est très complexe. J'ai travaillé davantage dans le domaine de la production et la vérité est que je n'ai jamais eu de problème de discrimination dans ce sens. Ce que je trouve difficile en termes de travail en tant que femme dans l'industrie cinématographique, c'est la question de la maternité. Quand on devient mère les choses se compliquent et la production ne le comprend pas forcément. Alors si j’ai déjà eu un obstacle à vouloir continuer à faire des films : c’est la possibilité d’avoir une famille.

 

Carmen Davila

Costumière : Sumergible (2020), Cenizas (2018)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense que c'est un pays où nous n'avons toujours pas notre place, c'est toujours un monde d'hommes. Et il y a beaucoup de domaines comme le son ou la photographie, où il y a très peu de femmes. Si elles sont dans ce secteur, elles ne sont pas directeurs de la photographie, mais deuxième ou troisième assistant caméra. Elles ont rarement la possibilité d’évoluer. Mais cela change grâce à nous autres Femmes ; parce que nous nous battons pour que les gens entendent nos opinions. Nous combattrons toujours, nous ne sommes pas encore égaux.

 

Cecilia Larrea

Maquilleuse : Sumergible (2020), Alba (2016), Quito 2023 (2013)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense que les femmes sont dans le cinéma équatorien depuis de nombreuses années, mais je ne sais pas pourquoi seuls le réalisateur ou le directeur de la photographie sont importants. Ces postes sont incroyables et ça serait bien qu’une femme les occupe.

Il y a des femmes ici qui travaillent depuis plus de 20 ans dans le maquillage, dans les costumes et qui n’ont aucune reconnaissance. J'ai récemment vu un article qui parlait des femmes dans le cinéma équatorien. On n'en parlait que parce qu'une était réalisatrice. Les autres gens qui travaillent depuis 20, 30 ans, qui ne les mentionnent pas parce qu'ils ne sont pas à ce poste. Je pense donc que c'est ce que nous devons commencer à changer.

 

Daniela Roepke

Actrice : Agujero Negro (2018), Ochentaisiete (2015), Los tiempos están cambiando (2011)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Cela me semble une initiative super importante, super nécessaire, à l'époque où nous vivons, il y a beaucoup de changements sur le sujet du genre. Je pense qu'en Amérique latine, surtout, nous avons toujours une hégémonie des hommes sur les femmes, bien qu'il y ait beaucoup de femmes réalisatrices, actrices ou dans l'équipe technique. Cependant la majorité sont des hommes.  Les femmes sont toujours vues avec un peu de condescendance, les femmes n’ont pas la possibilité de diriger ou d’occuper des postes plus élevés. Je pense que c'est une très bonne initiative et qu'elle devrait être faite par tous les festivals qui le peuvent pour que cela se fasse partout dans le monde, pas seulement quelque chose de Cannes. Si en Amérique latine on pouvait demander la même chose ce serait super intéressant. Et je pense que cela doit aussi sortir du festival et intégrer les maisons de production, des grandes entreprises liées au cinéma ... ils devraient aussi commencer à intégrer cela (la parité) dans leur stratégie de travail.

 

Emilia Dávila

Production designer : Sumergible (2020), Cenizas (2018), Mejor no hablar (de ciertas cosas) (2012)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense qu'il faut d'abord comprendre qu'en Équateur, nous commençons à créer une industrie avec beaucoup d'efforts et d'affection, mais je ne sais pas si nous pouvons déjà parler d'une industrie.

Je pense que les rôles qui sont donnés aux femmes dans les films sont ce que le public voit dans la vie, et vice versa. Donc, les seuls protagonistes femmes d’un film sont la prostituée, la victime ou la jolie fille, et il n'y a pas de personnages féminins dans le cinéma équatorien jusqu'à présent qui en valent la peine. Il y a quelques films de réalisatrices, où les personnages féminins prennent une autre dimension, mais dans le reste il y a une vision très plate de la femme.

J’ai commencé à travailler très jeune, j'ai toujours été directrice artistique et ensuite j'ai fait de la production et j'ai toujours travaillé avec des gens beaucoup plus âgés que moi, surtout des hommes. J'ai donc dû avoir une posture forte, en colère, tout le temps en colère et cela vous affecte beaucoup en tant qu'être humain. J'ai commencé à avoir une posture masculine très alpha, de pouvoir, de contrôle, c'est ce qui génère l'être dans les environnements masculins où il faut s'imposer. Et il y a toute la question de l'image aussi, qui n'a rien à voir avec ce que l'on est en tant que professionnel. J’ai eu un cas où un réalisateur qui a essayé de me harceler sexuellement, ce sont des choses qui arrivent tous les jours, c'est très courant, et ce sont des choses qui restent dans notre mémoire corporelle, dans l'inconscient. Et ça n'arrive pas qu'au cinéma, je me rends compte quand je suis avec un groupe de femmes et que je dis que quelqu'un s'est senti abusé sexuellement à un moment donné et que tout le monde lève la main. Mais maintenant, le féminisme est également devenu incontrôlable et je comprends pourquoi il va à l'autre extrême, car cela fait des centaines de millions d'années que nous sommes dans cette position.

 

Estefanía Arregui

Co Directrice du Festival EQUIS

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

La place des femmes dans le cinéma équatorien existe, mais seulement dans certains domaines. La production et la réalisation de documentaires sont des domaines très féminins, mais des domaines dans lesquels il existe une structure hiérarchique plus formelle comme les films de fiction, les chefs sont presque toujours des hommes.

D'autre part, dans la partie la plus institutionnelle, il y a aussi un machisme impressionnant car tous les réalisateurs des majors cinématographiques du pays sont des hommes. Je pense donc que cela a un impact sur les étudiantes, quelle histoire elles vont raconter pour obtenir leur diplôme et qui présente leur thèse, et quel type de contenu vous produisez au cours de votre carrière universitaire, si toutes les personnalités sont des hommes. Et dans l'institution étatique aussi, les directeurs de l'institut de création cinématographique et audiovisuelle ont tous été des hommes sauf une, et ils l’ont beaucoup critiqué, d'une manière que je pense que si elle n'avait pas été une femme, cela n'aurait pas été aussi critiqué.

Mais d'un autre côté, nous avons aussi des femmes très fortes qui ont fait leur chemin dans ce monde entouré d'hommes, qui ont généré un réel impact sur la cinématographie équatorienne. Nous avons aussi des productrices qui ont réalisé des choses que les hommes n'ont pas accomplies, comme Isabela Parra ou Ana Cristina Barragán. Je pense donc que nous sommes sur la bonne voie, mais nous devons commencer à réaliser que si nous voulons que les femmes aient une carrière cinématographique et une vraie place dans ce secteur, nous devons commencer à réduire cet écart entre les sexes. 

 

Gabriela Calvache

Réalisatrice : La mala noche (2019), Labranza oculta (2010)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Quand j'ai vu toutes ces femmes faire cette déclaration, j'ai presque pleuré, j'ai été très touchée par cette initiative, car personnellement j'ai fait l'expérience de la différence entre être une femme dans l'industrie et être un homme. Et peut-être que beaucoup de gens pensent que nous exagérons, mais avec cette image de ces femmes très importantes, vous pouvez le voir et commencer à en parler. Même si aujourd'hui Cannes est encore un festival masculin, ils font quelque chose de très important pour le reste des réalisatrices.

Cela va prendre du temps parce que ça ne fait que commencer, donc peut-être pas moi, mais la prochaine génération aura les mêmes opportunités que les hommes.

Pour les femmes se pose également la question de la maternité. Quand j'ai eu mes enfants, j'ai découvert que ce que l’on attend d’une femme c’est d'être responsable de tout le monde, et faire du cinéma pour les femmes est très difficile. J'ai vu de grandes réalisatrices qui ont eut des enfants et qui ont décidé d’arrêter de faire du cinéma.

 

Isabel Rodas

Productrice exécutive chez FILMARTE Ecuador

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Nous n'avons pas de structure bureaucratique du Conseil national du film qui nous permette de faciliter les coproductions. Nous n'avons toujours pas de politique publique reliant différents pays. Avec la Colombie il y a des interactions, surtout en post-production, avec le Chili il y a un exemple, mais c'est aussi un cas isolé. Personnellement, nous avons réussi à coproduire avec l'Uruguay. La partie qui nous intéresse est le lien avec la société, en essayant de faire en sorte que les gens de la communauté puissent raconter leur histoire, donc c'est plus un travail d'équipe, ils sont les protagonistes des histoires ; nous nous avons un outil pour qu’ils puissent raconter leurs histoires, et ce que nous faisons c'est du partage. En ce sens nous réalisons quelque chose que beaucoup de films équatoriens trouvent difficile et c'est d'avoir accès à un public massif qui voit le film. Puisque localement, nos productions ont toujours un très grand impact, et nous avons appris avec l'outil cinéma de parler de choses locales, qui nous intéressent en tant que communauté, et pas tant au niveau international. Je pense que le plus important pour nous, c'est que les personnes que nous représentons puissent s'approprier l'histoire et la partager.

 

Isabela Parra

Productrice : La piel pulpo (2020), The river (2018), Alba (2016), Durazno (2014)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense qu'en Equateur, et partout, il y a beaucoup de femmes qui travaillent dans l'industrie cinématographique mais pas à des postes clés, à des postes de décision. Comme dans tous les autres secteurs professionnels en Amérique latine, il y a une présence de plus en plus importante des femmes en particulier dans le domaine de la production et dans la distribution ces derniers temps. En Équateur en particulier, je pense qu'au cours des cinq dernières années, il y a eu quelques jeunes réalisatrices qui ont lancé des projets très intéressants et qui ont eu de la promotion à l'étranger.

Il y a eu quelques documentaires très importants pour l'industrie cinématographique qui ont eu beaucoup d'impact sur le public et sur la situation politique du pays, et dans les films de fiction, il y a plus de femmes au cours des cinq dernières années qui ont été très importantes pour la promotion du pays. Comme partout, il y a plus d'actrices et d'assistantes ... et il n'y a pas beaucoup de réalisatrices ou de chef op. Il y a beaucoup de femmes productrices, mais le problème dans cette industrie, même si une femme est nommée comme productrice d'un film, comme le réalisateur est toujours masculin : c’est lui qui prend toutes les décisions.

 

Julia Erazo

Etudiante en cinéma

Que pensez-vous de l'initiative du festival Equis? Premier Festival de Cinéma Féministe d’Equateur

Je pense qu’on a déjà largement entendu tout ce que les hommes avaient à dire. Maintenant il est nécessaire d'avoir un regard féminin sur le monde. Beaucoup de choses nous sont arrivées en tant que femmes qui ont été gardées sous silence pendant longtemps (je pense que c'est aussi générationnel).  Nous sommes une génération qui a le droit de parler pour la première fois, et nous avons des cicatrices de nos mères, de nos grands-mères que nous sommes en train de guérir ou d'ouvrir pour pouvoir en parler. Pouvoir créer un tel espace est incroyable, où il est possible de parler librement de féminisme, des problèmes des femmes… Ce sont des espaces importants pour pouvoir parler, pour pouvoir se défouler et se rendre compte que l'on n'est pas seules. Je pense que c’est incroyable ce qui est en train d’arriver.

 

Juliette Trujillo

Jeune réalisatrice

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

La vérité est que je crois que les femmes du cinéma équatorien ont beaucoup de bonnes choses à dire. Je connais déjà de grandes réalisatrices qui ont des choses importantes à dire. Je pense que le cinéma en Equateur est encore très arriéré, car au final le cinéma ici est quelque chose de très élitiste. Vous ne pouvez faire des films que si vous avez de l'argent. C'est donc un milieu très difficile à atteindre en tant que femme.

Pendant longtemps nous sommes restées silencieuses, et pour raconter des histoires nous devions élever la voix. Je pense qu'en Équateur, nous sommes maintenant à une étape décisive pour le féminisme, qui est en train d’exploser. De nombreuses œuvres féministes ont commencé à sortir dont on parle à l’international, et qui sont fièrement équatoriennes.

 

Karla Morales

Réalisatrice indigène

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

A partir du cinéma communautaire nous avons essayé de générer d'autres espaces afin que des communautés non représentées puissent être au cinéma. Et l'une des critiques que nous formulons est qu'en Équateur, il n'y a pas d'université publique du cinéma, donc ceux qui peuvent d'étudier le cinéma sont des gens qui appartiennent à des groupes économiques élevés et qui sont généralement blancs. Cela a donc conduit le cinéma à être construit principalement d’un point de vue unique. Il est très difficile de trouver des films équatoriens dans lesquels des histoires de femmes afro-descendantes ou autochtones sont racontées. Il y a une politique, par exemple à San Francisco (en équateur), pour accorder des bourses aux peuples autochtones, ce qui a permis à de nombreux jeunes cinéastes autochtones de produire leurs propres films, et cela a un peu diversifié la production.

En Équateur, il n'y a pas d'industrie cinématographique, c'est un très petit cinéma, et encore beaucoup de communautés ne se sentent pas identifiées à ce qu'elles regardent, il y a un éloignement dans les films d'auteur dans lequel les communautés ne retrouvent tout simplement pas. Elles sentent qu'elles ne font pas partie du monde dont est fait ce film qu'elles regardent.

 

María Fernanda Restrepo

Réalisatrice : Con mi corazón en Yambo (2011)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

L'histoire du cinéma équatorien est très récente, elle a commencé dans les années 60, évidemment produite et dirigée par des hommes. Puis il y a eu un arrêt des années 60 aux années 80 ; et dans les années 80 le cinéma refait surface, à nouveau réalisé par des hommes.

Les femmes occupaient des postes considérés comme de rang inférieur comme les costumes, le maquillage ... Depuis dix ans, la production cinématographique au niveau national et la production féminine au niveau national dans différents domaines ont rebondi. Je crois que l'Équateur est un symbole pour beaucoup de femmes en Amérique latine. Il y a évidemment encore plus de réalisateurs masculins, mais cette condition évolue petit à petit.

Dans les écoles de cinéma il y a plus de femmes que d'hommes, alors ce n'est qu'une question de temps avant que ces femmes ne commencent à diriger et à produire. Les productions des femmes atteignent (plus que celles des hommes) les festivals internationaux, elles remportent des prix et attirent un public important en Équateur. Elles font vraiment un travail reconnu à l'échelle nationale et internationale. Et sur le plan technique, il y a déjà plusieurs femmes au son et derrière la caméra, ce qui avant, c'était inimaginable.

 

Mariana Andrade

Directrice du Cinéma : OchoYmedio

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Il me semble que c'est un phénomène mondial de visibilité que les femmes atteignent, à partir de perspectives différentes qui ont rendu visible le rôle des femmes dans l'industrie cinématographique mondiale. SI ce projet peut enfin mettre les femmes à la place qu’elle méritent c’est un bon début !. Je ne pense pas que l'un soit meilleur que l'autre (entre l’homme et le femme), j'aime travailler ensemble. J'aime penser que nous sommes les mêmes, que nous avons les mêmes ambitions, les mêmes façons de travailler, les mêmes besoins. Je ne veux pas être plus haut ou plus bas, je veux simplement être. Il est très important de nous laisser être et de laisser les femmes montrer leurs vraies capacités dans l'industrie cinématographique mondiale.

Alors si Cannes prend les devants et laisse entre-apercevoir qu’au-delà des 82 femmes qui étaient cette année sur le tapis rouge, nous sommes des milliers de femmes dans l'industrie, alors j'aime beaucoup ça !

 

Micaela Rueda

Réalisatrice : Soñarse Muerto, De la Ciudad al Tren, El Cielo, La Espera 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Petit à petit il y a plus de visibilité et d'ouverture. Mais je pense que cela nous a coûté cher. Je suis réalisatrice dans la publicité, pour la télévision et de courts métrages. Ça a été difficile de devenir forte, et de dire « écoutez-moi » sur le plateau, car il y a beaucoup de monde et vous avez beaucoup de pression en tant que femme. Parfois il est difficile de vivre dans un univers patriarcal dans lequel la voix de l'homme a toujours été la plus importante. Il est donc très difficile de devenir forte et d'être écoutée sans avoir besoin de devenir agressif. Il y a environ 6 ans, j'ai donné un atelier de cinéma dans des communautés vulnérables et à faible revenu sur la côte équatorienne. J'étais à Machala pendant un mois, nous sommes allés dans de très petits quartiers où il n'y avait même pas d'électricité, il n'y avait pas d'eau potable, les gens vivaient dans des conditions extrêmement précaires. Et là on a donné des ateliers de cinéma et ces ateliers s'adressaient aux enfants, adolescents, femmes, femmes au foyer ... C'était beau car l'idée était de leur donner des conseils en cinq jours et ensuite de les laisser faire un court métrage, lequel a ensuite été monté et projeté sur place dans leurs quartiers. Le tournage n’a pas été facile, les hommes nous adressaient à peine la parole et ne voulaient presque pas savoir pourquoi nous étions là. Mais quand ils ont vu le résultat final et la passion que nous y avons mis avec la communauté : ils nous ont enfin regardé dans les yeux et remercié.

 

Orisel Castro

Réalisatrice : The Man Who Always Did His Part (2018) et programmatrice à OchoYmedio

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Ayant étudié à l'école de cinéma de Cuba, qui est une école internationale, des alliances se nouent naturellement, pas nécessairement à partir de coproductions formelles mais au sein des membres de l'équipe. Et avec les femmes, je sens aussi qu'il y a une attirance pour travailler avec plus de femmes, en particulier en tant que programmatrice, je pense que je me suis préoccupé de la recherche de visions féminines.

 

Patricia Yallico

Réalisatrice Indigène : Nukanchikpa – De nosotras, Jaylli, Munay

A propos de ses débuts au cinéma

Eh bien, j'ai commencé il y a longtemps, quand j'étudiais la communication sociale, nous avons commencé à enregistrer les choses qui se passaient dans le mouvement indigène : les réunions, les assemblées, les partis, les luttes internes, les combats avec l'État. A cette époque on enregistrait parce qu'on avait besoin de raconter les choses qui se passaient. C’était plus politique qu’artistique. C'était une nécessité, on ne savait rien de la caméra, mais on devait le faire. Je me souviens qu'une fois nous sommes allés sur la côte, nous enregistrions, mais sans son. Je veux dire, je ne savais pas.

Nous n'avions aucun apprentissage académique clair sur la façon de faire. Finalement, nous avons décidé comme une action politique : d'étudier le cinéma.  Nous faisions des reportages, comme de petits documentaires, mais ce n'étaient pas tout à fait des documentaires. Un groupe d'entre nous a donc commencé à étudier à l'académie, en particulier la communication et l'audiovisuel, puis le cinéma, mais il y en a encore peu. C'est comme ça que j'ai commencé, et c'est aussi très compétitif, l'espace cinéma est un espace d'élite. Il est difficile pour les peuples autochtones d'étudier le cinéma, ou l'art, parce que l'art ne se nourrit pas, c'est plutôt un besoin de raconter les choses. Pour moi, par exemple, le cinéma est un espace de débat, de transgression, de construction et aussi de déconstruction de ce que la société, la structure étatique, les médias nous impose.

A partir de là, nous avons commencé à nous représenter nous-mêmes, parce que pendant longtemps, des gens de l'étranger sont venus (en particulier des hommes blancs) et ils racontaient comment sont les autochtones, comment ils vivent, comment ils mangent, comment ils se battent, comme ils font l'amour… !

Mais petit à petit, il y a une trentaine d'années, les peuples autochtones ont commencé à raconter eux même leurs histoires. Et nous avons commencé à débattre et aussi à remettre en question les choses qui nous étaient imposées. Nous disons donc ce que nous pensons, croyons et ressentons, mais pas pour nous-mêmes, mais pour les autres, pour la société, pour le monde.

Parce qu'au final nous sommes un peuple, comme tous les peuples, qui a beaucoup d'illusions, beaucoup d'émotions à donner, mais nous avons aussi beaucoup de conflits internes, comme toute société, comme toute personne. Nous marchons donc sur ce chemin. Et je travaille beaucoup sur la maternité et la sexualité des femmes. Il y a beaucoup de gens qui nous a-sexualisés ; et d'autres qui nous ont sexualisés beaucoup trop parce qu'ils nous voient comme des femmes exotiques, alors c'est bien de clarifier les choses, de se démystifier.

 

Priscilla Aguirre

Réalisatrice: El diario de Monica (2014)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Il y a de plus en plus de femmes qui réalisent ou produisent, mais j'ai le sentiment que si vous regardez les statistiques, c'est la même chose que dans le monde entier, sur dix films par an, un est réalisé par une femme. Je ne pense pas que beaucoup de femmes ici se soient rendu compte de cette inégalité parce que lorsque vous travaillez dans des films ou dans l’industrie audiovisuelle en général, vous vous habituez beaucoup à travailler avec des hommes. Ainsi, vous ne voyez pas que vous aidez toujours, que vous produisez toujours, que vous organisez toujours l'histoire de quelqu'un d'autre. Je pense que vous ne remarquez cette différence si forte que lorsque vous voyez le contenu des films, des vidéos, des publicités, des programmes télévisés qui sont ici, vous vous rendez compte qu'il n'y a qu'un seul regard, une seule façon de voir le monde : masculin .

J’ai été assistante réalisatrice et dans ce monde je ressentais beaucoup de machisme, parce que quand tu es assistant tu dois coordonner, être le patron, dire aux gens quoi faire, et dans ma vie j'ai dû être très autoritaire, très sérieuse, pour qu'ils me prennent sérieusement, parce que les hommes ne font pas attention aux femmes qui sont plus douces. Cela me semble triste parce que j'ai dû changer de personnalité pour entrer dans ce monde et être entendu, donc je pense que nous avons beaucoup à faire dans ce domaine, mais les gens ne réalisent pas.

 

Randi Krarup

Productrice : Con mi corazón en Yambo (2011), Un hombre muerto a Puntapies (2008)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

C'est un mouvement auquel je réfléchis beaucoup. Il y a un problème avec le fait d'être une femme dans notre société, au-delà du manque d’opportunités, c’est à cause de la société dans laquelle nous sommes et à cause du machisme. 

Mais aussi à cause de nos propres décisions de femme, qui sont celles que je vis actuellement : la décision d’être mère. J’ai eu trois enfants en six ans. Quand je suis tombée enceinte j'étais dans trois projets, j'étais très active dans le National Film Circle, produisant des films, des festivals de films, j'ai fait un court métrage enceinte, bref : j’ai arrêté. C’est une décision personnelle ; c’est une décision qui vient de l’intérieur. Mais donc je n'ai fait que quelques projets, rien de vraiment grand, parce que je ne m'aime pas m'éloigner de mes enfants parce qu'ils sont très jeunes.

C’est un problème qui se reflète dans le nombre de productions que vous pouvez faire, dans le temps que vous pouvez passer à vous consacrer à un projet. Parce que pour se consacrer à un projet, il faut y être 24 heures sur 24, cela implique des voyages, cela implique de quitter votre maison…

Ma plus jeune fille a deux ans, donc j'ai déjà le besoin et l'envie d'être à nouveau active, mais j'ai aussi des conflits internes, car je pourrais attendre plus mais aussi d'un autre côté, si je continue d'attendre, mes années de productivité passeront. C'est donc une question très complexe. Qu’un homme n’a pas à se poser. Il y a beaucoup de femmes qui, à cause de la société, ne peuvent pas avoir un niveau de production très élevé, et il y en a d'autres parce que nous avons simplement décidé qu'il devrait en être ainsi. C'est donc un sujet qui en ce moment m'émeut beaucoup.

 

Renata Duque Lasio

Assistante réalisateur : En el nombre de la hija (2011), Mejor no hablar (de ciertas cosas) (2012), Gafas amarillas: Yellow sunglases (2020)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

J'ai eu le privilège d'arriver au milieu du processus de création du cinéma équatorien ; alors que certaines choses étaient déjà avancées. Il y a des femmes qui travaillent dans le cinéma en Équateur depuis les années 80. Je pense qu'il y a encore des disparités dans certains rôles techniques liés à la force physique. Nous avons des femmes dans des rôles de production, peut-être en plus petit nombre, mais je pense que nous avons toujours été là.

Il n'y a pas une telle disparité ici, mais cela a à voir avec le fait que nous ne sommes pas si industrialisés et que le cinéma lui-même n'a pas de financement lié au box-office, il est beaucoup financé avec des fonds. On fait beaucoup plus de cinéma indépendant, et il y a plus d'espace pour les femmes parce que les femmes et les hommes ouvrent le même genre de voies. En général nous sommes plus ou moins égaux, et bien que nous soyons moins des femmes dans certains rôles, je pense que nous avons toujours gagné l'espace plus ou moins en parallèle car c'est une cinématographie relativement nouvelle, nous entrons tous plus ou moins en même temps.

 

Tania Hermida

Réalisatrice : Que tan lejos (2006), En el nombre de la hija (2011)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je n'ai pas de statistiques, mais j'ose dire que dans le cinéma équatorien il y a un nombre proportionnellement important de femmes. Nous sommes encore peu de cinéastes en Equateur, mais parmi ces quelques-uns, je pense qu'il y a un nombre important de femmes dans la direction, dans le scénario, dans la production, dans la distribution avec une diversité de points de vue.

J’ai fait mon premier long métrage, en 2006, très peu de temps après Anahí a fait son long métrage et je pense qu'il était important qu'il y ait à un moment donné ces films réalisés par des femmes avec des femmes protagonistes, avec une autre façon de raconter, avec d'autres histoires. Je pense qu'il existe une autre sensibilité.

Pour mettre également la question en contexte, cela se produit parce que les femmes qui tournent des films en Équateur appartiennent à un groupe privilégié de la société.

En d'autres termes, nous avons eu l'opportunité d'étudier, nous avons eu l'opportunité d'aller étudier à l'étranger. Nous appartenons à des familles qui ont pu nous donner cette opportunité importante de nous former et de faire des films, ce qui est aussi un luxe.

Ce n'est pas une activité à laquelle vous pouvez vous consacrer si vous voulez avoir une famille et que vous devez subvenir aux besoins d'un foyer.

Aussi la plupart d'entre nous viennent de foyers où le féminisme est discuté, où depuis le début nous avons déjà été éduqués avec un autre concept. Mais ce n’est pas du tout la situation de la majorité des femmes de mon pays.

En Amérique latine, il existe encore de nombreuses inégalités au sein desquelles l'inégalité entre les sexes est une partie de plus d'une chaîne d'inégalités. Il existe de très fortes inégalités sociales, des inégalités raciales, il y a des inégalités entre les sexes.

Il y a donc des femmes, et il y a des femmes de tous âges, il y a des femmes cinéastes plus âgées que moi, de ma génération ; et il y a beaucoup de jeunes filles qui commencent aussi à écrire, à réaliser. Ce que je pense, c'est qu'il n'y a toujours pas de politique qui encourage davantage la présence des femmes, que la présence des femmes s'est produite presque spontanément. Le fait qu'il y ait des scénaristes, réalisateurs, producteurs n'a pas été le produit d'une politique publique ou d'une politique de promotion de la présence des femmes, il s'est produit spontanément en raison de ces forces d'opportunités qui se sont présentées.

Et je pense qu'il est maintenant nécessaire de créer des politiques qui favorisent l'inclusion de plus de femmes.

 

Valeria Suarez

Co-réalisatrice et productrice de Siguiente round (2018)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense que le cinéma équatorien est une industrie naissante, encore assez petite et ce ne sont pas des méga productions de millions de dollars. Je n'ai pas encore ressenti ce grand écart. D'après ce que j'ai pu lire, la différence entre la présence des femmes et des hommes croît en fonction du budget du film. Dans les universités, la moitié sont des femmes et l'autre moitié sont des hommes. Ensuite, le budget augmente : il est plus ou moins similaire à celui du pourcentage d'hommes et de femmes, mais à mesure que la taille de la production augmente, les femmes sont à la traîne. Je pense qu'en Équateur les productions ne dépassent toujours pas vraiment le million de dollars, elles sont relativement petites, indépendantes, donc j'ai l'impression qu'il y a eu plus d'ouverture aux femmes et il y a beaucoup de films équatoriens réalisés par des femmes qui ont eu un grand accueil dans les cinémas au niveau national et aussi dans les festivals. Donc, au niveau des réalisatrices, il y en a beaucoup, et elles ont des emplois qui ont vraiment pu générer un impact au niveau de la presse, au niveau des festivals. Le rôle des femmes dans le cinéma équatorien crée une voie très importante. Mais d'un autre côté il y a aussi cette image de productrice, il y a généralement pas mal de cas où l'homme dirige et la femme produit.

 

Virginia Sotomayor

Co-Directrice du Festival EQUIS

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

D'après mon expérience dans les festivals de cinéma dans lesquels j'ai travaillé, je pense qu'il y a un certain échange entre les différents pays d'Amérique latine. Le fait que nous soyons regroupés en pays d'Amérique latine vient du fait que nos réalités présentent de nombreuses similitudes ; même si nous avons des réalités différentes, nous sommes des cultures différentes. 

 

Wilma Granda

Directrice de la Cinémathèque / Écrivaine et Historienne

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je travaille dans la recherche cinématographique depuis 1984. Je montre qu'il y a une présence nulle des femmes au début du cinéma national en 1924 ; les femmes ont un rôle décoratif, elles sont la jolie actrice, qui a une place secondaire dans le mélodrame, elle doit probablement être sauvée par l'homme riche de la ville.

Mais dans les années 80 une nouvelle étape du cinéma national commence car nous avons de nouveaux horizons de production, avant cela nous ne pouvions pas faire de films car nous n'avions pas accès à la technologie. Dans les années 80, il y a une présence de femmes qui signent déjà la production de films de fiction et surtout de documentaires. Des films avec beaucoup de force.

La transcendance du politique est faite par des réalisatrices de documentaires, surtout dans les années 90.

Nous avons une loi sur le cinéma créée en 2007, qui rend la présence des femmes égale ou équitable.  Mais nous avons peu de femmes dans la fiction, plus dans le documentaire. Les femmes sont aujourd’hui cinéastes, réalisatrices et productrices ; grand progrès après avoir été des années la partenaire sentimentale du réalisateur.

Dans les années 90, les lois cinématographiques étaient une nécessité en Amérique latine qui devait réglementer la cinématographie en raison de l'exigence de fonds et de trouver des mécanismes de distribution. Donc depuis 2007 et la loi cinématographique, nous avons un fonds de promotion mais aussi de formation, pour prendre en compte les minorités, peuples autochtones, afro-descendants.

J'ai le sentiment qu'il y a une présence importante et égale des femmes par rapport aux hommes sur la base du contenu et non sur les fonds, car la majorité des cinéastes masculins qui ont accès aux fonds et au financement sont toujours majoritaires.

 

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