Elections présidentielles chiliennes: chronique d'une victoire annoncée

Antoine Maillet, Doctorant Sciences Po - Université catholique du Chili

A une dizaine de jours des élections chiliennes, le suspense s’est déplacé. La question n’est plus de savoir qui va l’emporter, mais si cette victoire aura lieu au premier ou deuxième tour. De récents sondages, parmi les plus crédibles (UDP et CEP), indiquent que la popularité de longue date de Michelle Bachelet a résisté aux attaques de ses concurrents et se matérialise désormais en intentions de vote fermes. A la mi-octobre, l’enquête de l’Université Diego Portales a donné à Michelle Bachelet 45% d’intentions de vote, selon différentes projections de participation. La suivent Evelyn Matthei, la candidate officielle de la droite, avec 14%, l’indépendant de droite Franco Parisi (11%) et Marco Enriquez-Ominami, dissident de gauche, vraisemblablement incapable de confirmer son résultat de la précédente élection (7%, alors qu’il avait obtenu 20% des voix en 2009). Le sondage trimestriel du Centre d’Etudes Publiques (CEP), véritable baromètre de la politique chilienne, va dans le même sens, à un ou deux points près. Bachelet y est créditée de 47% des intentions de vote, ce qui, en décomptant les votes blancs ou nuls qui ne sont pas pris en compte dans le résultat final, lui offrirait la victoire au premier tour.

Après l’échec des sondages lors des élections municipales de 2012, les premières réalisées sans que le vote ne soit obligatoire, ces prévisions doivent être analysées avec précaution. Cependant, l’écart est tel qu’il dépasse largement toute marge d’erreur, et laisse présager une lourde défaite pour la droite au pouvoir depuis 2010. La candidate Evelyn Matthei, soutenue par le Président sortant, a manqué sa campagne. Fille d’un général membre de la junte, elle a été particulièrement en difficulté au mois de septembre, durant les commémorations des 40 ans du coup d’Etat de Pinochet. Par ailleurs, elle a été affaiblie par la percée de Franco Parisi, candidat indépendant jouant sur la rhétorique populiste de la nécessité d’envoyer à la retraite la « vieille » classe politique. Matthei a contre-attaqué en dénonçant de supposées malversations financières de Parisi, créant une polémique qui pourrait au final desservir les deux candidats. Marco Enriquez-Ominami n’a lui pas été capable de retrouver son élan de 2009. Face à Bachelet, la tâche était autrement plus compliquée que face à Eduardo Frei lors de la précédente élection. Il reste toutefois un politicien apprécié, et pourrait rapidement se projeter vers les échéances de 2017. 

Au delà de ces 4 candidats principaux, les « petits » candidats ont cherché à exister médiatiquement. Marcel Claude (Parti Humaniste) avait animé les premières semaines de campagne, s’affichant très pugnace face aux journalistes. Ces dernières semaines, l’attention s’est reportée sur Roxana Miranda, candidate du Parti de l’Egalité, qui s’est démarquée en affichant ses conditions de vie modestes, cherchant à incarner une image populaire. Ces deux candidats ont appelé à une mobilisation des probables abstentionnistes, dont il est difficile de croire qu’elle sera entendue. 

Depuis le retour à la démocratie, les premiers Présidents de la Concertation, Patricio Aylwin (1989) et Eduardo Frei (1993) ont été élus au premier tour. Puis Ricardo Lagos (1999) et Michelle Bachelet (2005), de la même coalition de centre-gauche, et Sebastián Piñera en 2009, ont dû passer par un second tour. La seule menace qui semble aujourd’hui peser sur ce possible triomphe de Bachelet est une éventuelle faible mobilisation de ses électeurs potentiels. La participation est en ce sens la variable-clé, dans une élection qui est seulement la deuxième depuis l’instauration du vote volontaire. Lors de la précédente, les municipales de 2012, l’abstention avait dépassé 60%. Cette fois-ci, on espère une participation de 20 points supérieure. Cela sera un bon indicateur pour juger ce résultat à l’aune de la crise de représentation souvent évoquée dans les commentaires sur la politique chilienne.

Lors de la campagne, la question d’une nouvelle Constitution, potentiellement capable d’améliorer cette situation, a d’ailleurs été au cœur des débats. Bachelet en a fait un de ses trois chantiers prioritaires, avec les réformes des impôts et de l’éducation. Elle a toutefois refusé de se prononcer sur le mécanisme pour y parvenir, décevant ceux qui espèrent la mise en place d’une assemblée constituante. Sur cette question, comme sur ses deux autres priorités, et en général sur sa future capacité à mettre en œuvre son programme, l’ampleur de la victoire déjà annoncée n’est pas la seule variable. La question fondamentale est celle de sa capacité à influer sur les élections législatives qui se tiendront simultanément, en transmettant sa popularité aux candidats qu’elle soutient.

Durant sa campagne, Bachelet a cultivé une image assez éloignée des partis, qui sont clairement, eux-mêmes et leurs dirigeants, moins populaires qu’elle. Ses partisans sont regroupés dans la Nouvelle Majorité, qui est en fait l’ancienne Concertation, rejointe par le Parti Communiste et des formations plus petites. Les candidats à la Chambre et au Sénat appartenant à cette coalition font souvent appel au slogan « un Parlement pour Bachelet ». Reste à savoir s’ils seront suivis, en d’autres termes si le vote Bachelet à la présidentielle aura un véritable effet d’entrainement sur les élections législatives et régionales. La tâche est compliquée par le système électoral en vigueur pour les élections parlementaires, appelé binominal. Ce système, héritage de la dictature de Pinochet, assure une surreprésentation à la coalition arrivant seconde dans chaque circonscription, à moins que la coalition arrivée en tête ne double son nombre de voix (voir ici et pour plus de détail sur son fonctionnement). Pour que Bachelet puisse compter sur une grande majorité au Parlement, la Nouvelle Majorité est dans l’obligation d’obtenir un résultat exceptionnel. Dans le cas contraire, les réformes seront à négocier avec l’opposition, comme durant les gouvernements de la Concertation. Sans majorité large, même la légitimité propre à une victoire au premier tour pourrait s’avérer un capital politique insuffisant pour des réformes qui requièrent des quorums élevés.

Ainsi, le 17 novembre on observera donc avec attention les résultats de toutes les élections. A défaut de majorité parlementaire, la probable victoire de Bachelet pourrait n’être qu’un trompe-l’œil, et les attentes qu’elle soulève pourraient se révéler impossibles à satisfaire.

 

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