Élections législatives en Colombie : Une rénovation en trompe-l'œil?

Les élections législatives du 14 mars ont été l'occasion d'analyser les effets des scandales qui ont ébranlé la dernière législature. Avec plus de 80 parlementaires mis en examen ou condamnés pour liens avec les groupes paramilitaires, on aurait pu s'attendre à une lourde sanction électorale, ou du moins à un certain renouvellement des élites parlementaires.

Il n'en a rien été. Certes, il y a eu un vote historique en faveur du parti Vert, ce mouvement politique qui réunit trois anciens maires de Bogota; il a recueilli plus d'un demi million de voix en faveur de ses listes parlementaires (Chambre et Sénat) et plus d'un million et demi de voix dans ses élections primaires. Les Verts obtiennent ainsi quatre sièges au Sénat et cinq à la Chambre Basse.

Cependant, le renouvellement du personnel politique reste très marginal. Le scandale de la « para-politique », c'est-à-dire la révélation des collusions qui liaient paramilitaires, narcotrafiquants et dirigeants politiques, et les procès judiciaires qui ont suivi ne se sont pas traduits par un rejet des élites politiques en place. Parmi les membres du nouveau parlement se trouvent des figures nationales qui sont actuellement mises en examen par la Cour Suprême. Plus révélateur encore est le succès électoral de nouveaux venus ayant hérité du capital politique des anciens parlementaires emprisonnés. La plupart de ces nouvelles figures ont eu des très hauts scores malgré leur faible expérience politique. Cette « rénovation en trompe-l'œil » indique que les réseaux politiques ayant assuré les victoires des alliés des paramilitaires dans les élections précédentes ont survécu aux scandales et aux juges. Cela rejoint l'analyse des observateurs de l'OEA, qui considèrent que le vote sous la menace des armes s'est transformé en vente massive des voix, au profit des anciens paramilitaires.

Le meilleur exemple de cette persistance des collusions politico-criminelles est le Parti d'Intégration National (PIN), mouvement qui reprend les réseaux des partis qui avaient disparu suite aux enquêtes judiciaires. Montré du doigt par la presse, qui le qualifie de « parti des ombres », il a cependant obtenu huit sièges au Sénat, parmi les 102 que compte cet organe.

Le PIN est essentiellement le résultat de l'addition de trois réseaux politiques différents. Premièrement, il s'agit de celui de l'ancien parti Convergence Citoyenne, disparu suite à l'incarcération de la plupart de ses membres. L'ancien président du parti, Luis Alberto Gil, aujourd'hui placé en détention provisoire, aurait, selon l'hebdomadaire Semana, dirigé le parti depuis la prison de la Picota (« le pilori ») à Bogotá. Il aurait piloté les alliances qui ont permis la création du PIN.

Le second réseau important dans la création du PIN est celui de l'ancien Mouvement Populaire Uni (MPU) créé par les anciens sénateurs Carlos Herney Abadía et Juan Carlos Martinez. Abadía est le père de l'actuel gouverneur du département du Valle et a été condamné pour ses liens avec le « Cartel de Cali », une des plus célèbres entreprises criminelles des années 1990. Martinez est actuellement en détention provisoire et fait l'objet d'une enquête pour ses liens avec les paramilitaires du Front Calima des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC). De plus, le MPU avait soutenu les parlementaires Miguel de la Espriella et Eleonora Pineda, les premiers politiques condamnés dans le scandale de la « para-politique ». Après la dissolution du MPU, les réseaux de Martinez et Abadía ont rejoint le PIN. Cela leur a permis d'obtenir le meilleur score du parti au Sénat, avec Juan Carlos Rizzetto un entrepreneur débutant en politique qui a réussi à recueillir plus de 60 000 voix. Le cousin de Martinez, Jairo Hinestrosa, a été élu à la Chambre. Selon La Silla Vacía, Martinez aurait également appuyé l'ancien représentant de Convergence Citoyenne Hermel Hurtado pour passer de la Chambre au Sénat.

Enfin, le PIN a reçu le soutien du réseau d'Enilse Lopez, entrepreneure des jeux de hasard et une des grandes fortunes de la côte Caraïbe. Lopez a été signalée par le chef paramilitaire Salvatore Mancuso comme étant une alliée des paramilitaires des AUC et l'une des commanditaires du massacre d'El Salado, où furent assassinées soixante-six personnes. Selon le quotidien National El Tiempo, Lopez aurait pesé dans l'élection des nouveaux sénateurs du PIN Hector Julio Alfonso et Eduardo Correa. Le premier est son fils. Le second était adjoint de la mairie de Magangué, le fief politique de Lopez, à l'époque où un autre de ses fils en était le maire. Deux nouveaux représentants à la Chambre pour le PIN auraient également bénéficié de l'appui de Lopez. Il s'agit d'Eduardo Perez et Yahir Acuña, liés aux administrations municipales de Magangué et Sincelejo.

Les autres Sénateurs du PIN sont également soutenus par des réseaux liés au paramilitarisme. C'est le cas de Teresita Garcia Romero, sœur de l'ancien gouverneur et sénateur Alvaro Garcia, condamné par la Cour Suprême à quarante ans de prison pour avoir commandité le massacre de Macayepo, où les paramilitaires des AUC ont assassiné quinze personnes. C'est également le cas Manuel Julian Mazeneth, ancien adjoint au gouverneur du Magdalena Trino Luna. Luna a été condamné pour avoir été élu à la tête du département avec le soutien des paramilitaires. En 2003 il a accédé au poste de gouverneur dans des élections où il était le seul candidat. Les juges qui l'ont condamné ont conclu que les paramilitaires avaient dissuadé ses concurrents éventuels de se présenter.

Mais cette persistance des réseaux politico-criminels du paramilitarisme ne touche pas uniquement le PIN. Le principal parti de l'actuelle majorité, le Parti Social d'Unité National (La U), avait été mis en cause à plusieurs reprises dans le scandale de la « para-politique ». En réponse à cela, la direction du parti a expulsé de ses listes plusieurs candidats suspects. Ce « nettoyage » n'a cependant pas levé tous les doutes sur le personnel politique de La U. Plusieurs membres du nouveau Sénat, comme Dilian Francisca Toro, Armando Benedetti et Mauricio Lizcano font l'objet d'enquêtes de la Cour Suprême. D'autres ont hérité de réseaux politiques liés au paramilitarisme ; c'est le cas de Maritza Martinez, épouse de Luis Carlos Torres, ancien Sénateur mis en examen par la Cour Suprême de Justice.

Le même phénomène se retrouve dans l'autre composante de la majorité, le parti conservateur. Le Sénateur Carlos Barriga, réélu à son poste, est enquêté par les juges de la Cour. Le nouveau Sénateur Sammy Merheg est le frère de l'ancien sénateur Habib Meregh, qui a essuyé une condamnation disciplinaire et fait l'objet d'enquêtes pénales. Olga Lucía Suarez, nouvellement élue à la Chambre Haute est aussi la sœur d'un ancien Sénateur enquêté.

À Changement Radical (CR), un parti qui a appuyé la plupart des initiatives du gouvernement, même s'il ne s'inclut pas officiellement dans la majorité, on retrouve le même phénomène. CR a obtenu les réélections d'un Sénateur enquêté, Antonio Guerra de la Espriella, ainsi que l'ancienne avocate d'Enilse Lopez, la Sénatrice Daira Galviz. Dans le Parti Libéral, qui fait partie de l'opposition, l'élection d'Arleth Casado, épouse de l'ancien Sénateur Manuel López Cabrales, condamné par la Cour Suprême pour ses liens avec les AUC a soulevé des critiques acerbes. De plus, A. Casado a recueilli le score le plus élevé du parti.

La persistance de ces configurations politico-criminelles pourrait se confirmer par des recherches sur les modes de fonctionnement interne de ces partis ou leur financement. Des telles enquêtes scientifiques sont en cours, même s'il est très difficile de travailler sur de tels objets, qui relèvent de l'illégal et parfois du clandestin. Si l'hypothèse d'une adaptation des réseaux du pouvoir local liés au paramilitarisme se confirme, il faudra admettre  la responsabilité de l'actuel gouvernement. En effet, l'exécutif n'a pas soutenu le judiciaire dans les enquêtes, a publiquement critiqué ces dernières[1] et a essayé de mettre des limites officielles et officieuses au travail des juges. C'est ce qu'affirment Human Rights Watch[2], ainsi que la Rapporteuse de l'ONU pour l'indépendance de la justice[3]. Pire encore, les enquêtes menées par le parquet (Fiscalía) à l'encontre de hauts fonctionnaires de l'agence des renseignements (DAS, dépendante du gouvernement) ont révélé que les magistrats de la Cour Suprême avaient été mis sur écoute, que leur correspondance avait été lue et leurs mouvements soigneusement surveillés. Ces révélations, ainsi que le meurtre d'un juge d'instruction fin février, ont provoqué une vive réaction de la Cour. Dans un communiqué de presse publié au début du mois de mars, celle-ci lance un appel « à la société civile, pour qu'elle rompe l'indifférence et exige aux instances gouvernementales une sécurité réelle pour les juges et les magistrats, car l'exercice indépendant et autonome de la magistrature est la principale garantie du citoyen »[4]. Or les élections du 14 mars montrent que les obstacles posés à l'indépendance de la justice, ainsi que la force des pouvoirs périphériques, ont encore une fois frustré le véritable renouvellement des élites parlementaires colombiennes.

 

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[1] Alvaro Uribe a ainsi affirmé que la Cour avait un « biais idéologique en faveur de la gauche » et que ses enquêtes « faisaient le lit des terroristes des FARC ».

[2] Human Rights Watch - [2008]. ¿Rompiendo el Control? Obstáculos a la Justicia en las Investigaciones de la Mafia Paramilitar en Colombia

[3] Suite à sa visite en décembre 2009, Carina Knaul de Albuquerque e Silva a déclaré : « Un climat de peur et d'insécurité semble régner au sein du système judiciaire en raison des attaques et des menaces contre les juges, les procureurs et les avocats en lien avec des affaires qu'ils traitent ou des fonctions qu'ils exercent »

[4] Corte Suprema de Justicia de la Republica de Colombia. Comunicado de prensa, Mars 4, 2010.

 

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