Brésil : Des anciens Présidents bien entourés!

Encore un décret décisif pour la vie politique brésilienne! Le 27 février 2008 est entré en vigueur le décret n° 6.381 qui, à défaut de bouleverser l’ordre politique du Brésil, devait soulager le Président Lula quant à son avenir post-présidentiel. L'ancien ouvrier métallurgiste bénéficiera, à la fin de son second mandat, de l’appui de 8 personnes (6 assesseurs-protecteurs et 2 chauffeurs) et de deux véhicules, mis à sa disposition par la Présidence de la République pour assurer sa « sécurité » et son « soutien ».

 
Lula aura bien sûr le loisir de choisir lui-même ces collaborateurs. Se sentirait-il physiquement menacé par l’opposition au point de se surprotéger ? Ou bien craindrait-il, lors de ses futures interventions post-présidentielles, les foudres des nombreux déçus du Parti des Travailleurs et du pragmatisme politique du gouvernement ?

Les esprits critiques soupçonneront plus simplement Lula de créer de nouveaux cargos de confiança (postes de confiance politique, dont la nomination est à la discrétion du Président). Et quoi de plus normal que de vouloir rester entouré de quelques proches pour cette incertaine et inquiétante après-présidence qui l’attend à partir de janvier 2010 ? (dans l’état constitutionnel actuel, il n’a pas le droit de briguer un troisième mandat).

Mais à quelques semaines du premier tour des élections municipales de 2008, quoi de plus normal également que de voir émerger autour de ce décret les contours d’une nouvelle affaire ? Quoi de plus normal que de recevoir sur les listes de diffusion des emails dénonçant ce nouveau privilège, décrété en catimini il y a de là sept mois ? Malgré sa mise sur agenda tardive, la critique semble pertinente, et le débat justifié. A un détail près. S’il s’agit bien là d’un privilège présidentiel réellement critiquable, celui-ci est loin d’être nouveau. Le décret de février 2008 ne fait en ce sens que préciser et compléter un acquis présidentiel datant de 1986.

La loi initiale sur les mesures de sécurité pour les anciens Présidents de la République a en effet été promulguée le 8 mai 1986. C’est à l’époque José Sarney (élu vice-Président en 1985) qui, du fait de la grave maladie puis du décès de Tancredo Neves, avait assumé la Présidence de la République. Selon l’article 1 de la loi 7.474 du 8 mai 1986, le Président de la République avait droit, à la fin de son mandat, à 4 personnes et 2 véhicules avec chauffeurs pour assurer sa sécurité personnelle (un droit financé sur le budget propre de la Présidence de la République) [Art 1º : “O Presidente da República, terminado o seu mandato, tem direito a utilizar os serviços de 4 (quatro) servidores, destinados a sua segurança pessoal, bem como a 2 (dois) veículos oficiais com motoristas, custeadas as despesas com dotações orçamentárias próprias da Presidência da República”].

Cette loi avait par ailleurs été révisée à deux reprises entre son entrée en vigueur en 1986 et le décret de février 2008. La première modification avait eu lieu en juin 1994, soit quelques mois avant les élections présidentielles. Etonnante coïncidence. Le Président en exercice était alors Itamar Franco. Il avait remplacé Fernando Collor, démis de ses fonctions en 1992 par une procédure d’impeachment. La loi nº 8.889, du 21 juin 1994 modifie le sens de l’article 1 de la loi 7.474 du 8 mai 1986, en stipulant que les services de ce personnel ne serviront plus seulement à assurer la sécurité de l’ancien Président, mais également à lui fournir un « appui personnel » [Art. 1º révisé: “O Presidente da República, terminado o seu mandato, tem direito a utilizar os serviços de quatro servidores, para segurança e apoio pessoal, bem como a dois veículos oficiais com motoristas, custeadas as despesas com dotações próprias da Presidência da República”]. Cette loi de 1994 précisait par ailleurs que les 6 personnes seraient librement nommées par l’ancien Président de la République, et occuperaient des postes en commission (cargos de confiança) du Grupo-Direção e Assessoramento Superiores de niveaux 4 et inférieurs sur l’échelle de postes fixée par la Présidence de la République [paragraphe unique].

La deuxième révision de cette loi avait été adoptée dans la précipitation le... 20 décembre 2002. Soit quelques jours avant que Fernando Henrique Cardoso ne quitte le Palais du Planalto! Rappelons que FHC avait été élu en 1994, puis réélu en 1998 à la suite d’une modification sur-mesure de la Constitution instituant la possibilité d’un second mandat présidentiel. L’article 10 de la loi n° 10.609 du 20 décembre 2002 modifiait légèrement (sans en changer la substance) le paragraphe unique instauré en 1994 sur le niveau de ces postes de confiance. Elle y ajoutait surtout un nouveau paragraphe (art.1/§2) amplifiant les avantages des anciens Présidents. Deux nouveaux assesseurs étaient ainsi rajoutés aux équipes de sécurité et d’appui aux anciens Présidents. Le nombre de collaborateurs passait donc de 6 (dont 2 chauffeurs) à 8. Qui plus est, ces deux nouveaux postes étaient des postes de confiance de niveau 5 (niveau supérieur aux 6 autres postes).

Avant le décret de 2008, la loi était donc déjà très "protectrice" pour les anciens Présidents encore en vie (José Sarney, Fernando Collor, Itamar Franco, Fernando Henrique Cardoso). Une partie des critiques faites à Lula pour ce décret perd donc sa substance, et risque… de se retourner contre ses instigateurs.

Signé par Lula, Tarso Genro (ministre de la Justice) et le général Jorge Armando Felix (chef du Cabinet de Sécurité Institutionnelle de la Présidence de la République), le décret de février 2008 ne change donc pas grand-chose au statut des anciens Présidents. Il apporte néanmoins quelques nouveautés et précisions, dont l’une est surprenante. Il s’agit de l'article 6, qui innove en autorisant le port d'arme institutionnel pour ces cargos de confiança (sur demande de l'ex-Président, et après la réalisation d’une formation et de tests psychologiques). Paradoxe présidentiel. Lula lui-même s’était érigé dès son premier mandat en Président du désarmement. C’est lui qui en 2003/2004 avait lancé la campagne nationale de désarmement. C’est aussi lui qui avait ouvert en 2005 un référendum populaire sur le désarmement (lors duquel l’interdiction du commerce d’armes à feu et de munitions avait été refusée par 64% de la population). Lorsqu’il redeviendra un « citoyen ordinaire » Lula saura-t-il résister à cette tentation de la protection par le feu, et persuader ses proches de déposer les armes, ou de les échanger contre une somme d’argent dans le cadre du programme de désarmement? Ou bien basculera-t-il, comme la majorité de ses concitoyens, du côté de l’individualisme sécuritaire ?

Au-delà de la question des moyens de protection des anciens Présidents (qui est à elle seule matière à débats), le décret précise trois autres points :
  1. Cette protection se limitera aux anciens Présidents « ayant exercé leur mandat de manière permanente » (ce qui n'était pas le cas jusque là). Cela sous-entend que les Présidents par interim n'y auront pas droit. On comprend pourquoi José Sarney en 1986 et Itamar Franco en 1994 n'avaient pas pensé à ce point de détail... José Alencar, actuel Vice-président qui assume la présidence de la République quand Lula est en déplacement à l'étranger, appréciera quant à lui le geste !
  2. Ce personnel recevra un entraînement pour se former (ce qui n'est pas un mal, d’autant plus s’ils sont armés)
  3. C'est l'administration de la Casa Civil qui mettra ce personnel à disposition. Notons sur ce point que si le nouveau décret apporte certaines précisions quant au niveau d’échelons de ces Cargos de Confiança, il n’en augmente pas le nombre (toujours 8 personnes au total).

Dernier point : l’article 11 du nouveau décret stipule que les candidats à la Présidence de la République recevront dorénavant la protection "d'agents de la Police Fédérale". Selon l'ancienne version c’est le Ministre de la Justice qui était seul responsable de la sécurité des candidats. Une interprétation possible de cet article nous porte à penser qu’en cas de « dérapage », ce sera dorénavant le Directeur Général de la Police Fédérale (actuellement Luiz Fernando Corrêa) qui devra en assumer la responsabilité. En plus du Président, c’est donc aussi le Ministre de la Justice qui se met à l’abri avec ce décret… Ironie de l’histoire, celui-ci est justement un des présidentiables du PT pour les prochaines élections.

 
Liens vers les textes précités :
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