ARGENTINE

La révolution féminine est en marche et le cinéma est une de ses armes

Interview : Clotilde Richalet Szuch
Introduction et Transcription : Gabriela Portillo

Comme la plupart des pays latino-américains, l’Argentine a connu une dictature militaire entre 1976 et 1983, après un coup d’État qui a renversé le gouvernement de María Estela Martínez de Perón et a instauré une junte militaire sous la présidence de Jorge Videla. Sous ce violent régime, auto-proclamé “Proceso de Reorganización Nacional”, plus de 30 000 personnes ont disparu. Des centaines de bébés de parents de “l’opposition” ont été enlevés et directement livrés à des familles de militaires, ou vendus. Toutes ses violations ont donné naissance à “Madres de la Plaza de Mayo”, groupe clandestin de résistance formé par les épouses, les mères et les grands-mères des disparus avec l’objectif de retrouver ses bébés qui ont été si brutalement arrachés. Ce groupe de femmes, qui se retrouvaient chaque semaine autour de la Plaza de Mayo à Buenos Aires, continue aujourd’hui à exister en tant qu’un des mouvements sociaux plus importants de l’Argentine, montrant comment les femmes ont non seulement aidé à récupérer la mémoire de la dictature mais même à reconstruire le pays.

Comme le démontrent les “Madres de la Plaza de Mayo”, l’Argentine a un héritage féminin très important, ce qui explique aussi pourquoi les argentines connaissent aujourd’hui une situation beaucoup plus égalitaire en comparaison aux autres femmes de l’Amérique Latine. En 1947, les femmes ont obtenu le droit de vote et, deux ans plus tard, le Parti Péroniste Féminin a été fondé par Eva Perón, organisation politique qui a permis d’insérer les femmes dans le processus électoral. Depuis, l’influence des mouvements féminins n’a fait que s’accentuer, ce qu’on peut voir avec la campagne pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit (2005); le mouvement “Ni Una Menos” (2015) pour dénoncer les violences sexuelles et les feminicides; et la loi de l’interruption volontaire de grossesse qui a été promulguée le 14 janvier 2021, prouvant que même si il reste beaucoup à faire pour atteindre la parité de genre, le changement est en train de se produire.

Au sujet des interviews des femmes du Cinéma Sud-Américain et comme réponse à la première question : “Que pensez-vous de la montée des marches des 82 femmes à Cannes en 2018?” : la plupart des femmes interviewées ont déclaré qu’elles pensaient que cette initiative de l’association 50/50 pour la parité était une bonne mesure à prendre, qui va avec tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Malgré cela, quelques-unes ont indiqué ne pas se sentir représentées par ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. En Argentine, lors de ses dernières années, le mouvement féministe qui a vu le jour, et qui concerne tous les aspects de la vie (légalisation de l’avortement, contre la discrimination au travail, etc.), a énormément touché le milieu cinématographique avec plus de femmes qui commencent à prendre des rôles importants dans la production de films. Néanmoins, les interviewées n’ont pas été défavorables à l’imposition de quotas pour pouvoir donner une plus grande visibilité au cinéma féminin même si elles pensent que le véritable problème ne réside pas en un manque d’espaces pour projeter leurs films mais plutôt en une absence d’opportunités pour les réaliser. D’ailleurs, elles espèrent que cette initiative pourra se traduire dans les faits et ne se limitera pas à être simplement réalisée en “suivant la mode” des grandes problématiques du monde.

Lorsque les femmes ont parlé de la situation dans leur pays elles ont dit que, par rapport aux dernières trois décennies, la production cinématographique a crû de manière exponentielle, ce qui fait que le cinéma argentin soit beaucoup plus développée que dans nombreux autres pays latino-américains. Malgré cela, il n’y a pas beaucoup d’opportunités en général pour faire du cinéma, tant pour les hommes que pour les femmes, à cause d’un manque de subventions pour des projets cinématographiques. Pourtant, même si nombreuses organisations de femmes dans le cinéma ont vu le jour depuis 2018 et leurs ont permis d’améliorer leurs conditions de travail, elles continuent à avoir du mal à travailler dans l’industrie en n’ayant pas de congé maternité et surtout en ayant moins de possibilités pour participer à des projets à cause de leur genre et d’une mauvaise gestion de l’Institut du cinéma qui ne possède presque aucun membre féminin dans les jurys de sélection. De nombreuses femmes étudient pour devenir réalisatrices, mais très peu d’entre elles réussissent en réalité. Cela est d’autant plus vrai pour certains domaines plus techniques où elles doivent constamment prouver qu’elles sont suffisamment fortes pour pouvoir effectuer leur travail. Elles sont ainsi reléguées à certains secteurs considérés comme “étant faits pour elles” tel que celui du maquillage ou des costumes, presque entièrement occupées par des femmes à cause de la discrimination de genre.

En ce qui concerne les interactions entre le cinéma argentin et celui des autres pays d’Amérique Latine, les femmes interviewées ont indiqué qu’elles ont pu participer à quelques coproductions avec des pays voisins tels que le Brésil et l’Uruguay, même si cela reste pourtant limité. Plusieurs d’entre elles ont parlé du gouvernement actuel qui ne permet pas de faire beaucoup d’accords bilatéraux. En termes d’accès au cinéma des autres pays latino-américains, elles ont toutes parlé d’un problème de diffusion. Il est extrêmement difficile de voir non seulement ce qui est fait dans les autres pays du Sud mais même ce qui est fait en Argentine, notamment les films indépendants, moins “mainstream”. Le cinéma des autres pays latino-américains n’est lui accessible ni dans les salles de cinéma ni sur les plateformes en ligne (sauf sur certaines sites illégales, ce qui ne permet pas de valoriser les artistes qui ont réalisé le film en question et leur travail), mais que dans les festivals tel que celui de Mar de Plata.

Ainsi, on peut voir que la situation des argentines actuellement se reflètent dans le monde du cinéma : avec une disparité hommes/femmes qui ne leur permet pas les mêmes opportunités de produire et diffuser leurs films, même si la situation s’est quand même améliorée. Pour cela, elles continuent à se manifester et à revendiquer leurs droits et continuerons à le faire pour que la parité de genre devienne une réalité.

 

TÉMOIGNAGES

 

Agustina Llambi Campbell
Productrice chez La Unión de los Ríos – Los salvajes (2012), Le ciel du Centaure (2015), Paulina (2015)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Fondamentalement, je pense que le cinéma argentin est fait par les femmes. C'est un peu étrange de dire ça car évidemment la proportion de réalisateurs masculins est beaucoup plus élevée, la proportion de techniciens est beaucoup plus élevée, et la proportion de producteurs que je ne peux pas dire.

Mais je crois que l'Argentine a l'un des cinémas de femmes les plus importants de la région et du monde, il y a beaucoup de réalisatrices très importantes, pas seulement Lucrecia Martel mais il y a Robertina Carrie, il y a Anna Katz, il y a Nai Verneri, il y a de nombreuses représentantes. Il y a des documentaristes, des réalisatrices de fiction, des actrices extraordinaires et des productrices extraordinaires. 

Dans notre société de production, nous sommes trois femmes, ici autour de la table. Les autres personnes dans notre équipe, notre comptable est une femme, la responsable de l'institut de cinéma est une femme, dans notre équipe il y a toujours des femmes qui sont nos amies et avec qui nous avons travaillé sur plus d'un film. Et je le vois, au-delà de notre société de production, je le vois autour de moi. Je le vois en Argentine, je ne sais pas à quoi ça ressemble de l'extérieur. De mon point de vue, je suis très fière de toutes mes collègues qui participent à différents domaines du cinéma et j'ai le sentiment qu'il y a des femmes productrices qui sont allées très loin et qui font des films extraordinaires. Il y a quelque chose de maternel dans le cinéma. Je pense que personne ne se soucie d'un film comme une femme.


Alejandra Marino
Scénariste : Ojos de arena (2020), Cortazar & Antin : Cartas iluminadas (2020), Merello x Carreras (2015)
Réalisatrice : Ojos de arena (2020), Hacer la vida (2019), El sexo de las madres (2012)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Je pense que l'initiative 20/20 a été très inspirante. Ici nous avons un groupe : Acción Mujeres del Cine, qui a présenté ce 5050 2020 au festival international de Mar de Plata. Ça a eu un bon accueil. Il n'y a toujours rien de concret mais au sein du comité dans lequel je suis, nous continuons d'insister sur cette question. Nous avons même porté cette question à l'Institut national du film et réalisé un 50% / 50% d'équité dans la formation des comités de sélection de projets. Le Film Institute est en Argentine la principale source de financement que nous avons dans le cinéma. Et nous pensons que la parité est très importante à l’intérieur. Il y a l’enjeu des comités de sélection des projets. Il est très important qu'il y ait un regard qui soit égal entre les hommes et les femmes.

Pourquoi il y a tant de femmes dans les universités de cinéma, alors qu’elles sont si peu nombreuses dans les rangs de la réalisation, de la production ou dans les équipes techniques ?

Bien sûr c'est quelque chose qui change, avec la nouvelle génération, c'est remarquable mais la vérité est que je suis dans un comité de sélection où il y a une toute petite présentation de projets dirigés par des femmes, leur pourcentage est de 30%, c'est très peu.

Une autre des choses que nous demandons, c’est l’accès aux fonds. Il faut avoir un certain score, nous demandons une politique à cet égard. Car si les hommes et les femmes sont invités à obtenir le même score et les femmes ne font que commencer, évidemment elles ont moins de films réalisés. On demande aux femmes, toujours dans l'équité, d'être au-dessus de tout le monde.

 

Ana Aizenberg
Directrice de Argentina Film Commision INCAA

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Le fait que les femmes aient commencé à se lever et à se battre pour leurs droits est très récent. C’est quelque chose qui a commencé très vite.

Toute ma vie, ce que les femmes ont fait a toujours été l'exception. C'était comme : « Oh, ça a été réalisé par une femme. » comme si c’était un critère.

Comme quand on dit : cette personne ne conduit pas très bien, c'est probablement une femme. La même chose se produit au cinéma.

En raison de l'évolution technique, ou de la révolution, beaucoup de gens passent beaucoup de temps à regarder des écrans. Ce n'est pas si fou de parler d'une image, qui a du son, qui a du mouvement, comme il y a cinquante ans, vingt, voire dix. Ce qui se passe avec la technologie fait que tout le monde s'habitue à être devant un écran. Je sais qu'il y a encore plus d'hommes, mais j'ai l'impression que si les femmes veulent faire quelque chose, elles peuvent désormais se battre pour cela.

Il faut que quand on demande à une femme : pourquoi vous battez-vous pour cela? Elle répond : parce que j’en ai envie. Point final, vous n’avez pas à donner plus d’explications. Mais tu ne peux pas dire que tu dois me donner ce travail parce que je suis une femme, c’est ridicule. Avoir un certain sexe ne devrait pas vous donner le droit de faire quelque chose.

J'ai eu une conversation intéressante avec une femme et elle a dit: Vous savez, je sens que maintenant je peux faire ce que je veux, j'ai en quelque sorte décidé par moi-même, parce que j'ai été abusée par des hommes toute ma vie. Et c’est quelque chose qui ne me serait pas arrivé si j'étais un homme. Et c'était curieux, et elle aussi si dure envers elle-même. Il y a beaucoup de femmes qui se blâment, les femmes ne sont pas élevées pour croire qu'elles méritent des choses, elles pensent que c'est une chose impossible. 

Alors ça va prendre un certain temps pour avoir la parité. 50/50 est un idéal qui dit que ces choses devraient cesser de se produire. Cela ne devrait pas être un combat, cela devrait être naturel, et je pense que ce sera le cas.

J'espère que tout le monde pourra avoir les mêmes opportunités de faire des choses intéressantes, peu importe la couleur, le sexe, où ils se trouvent dans le monde. Et les femmes, dans les films, ont beaucoup à dire. Elles ont un œil différent, donc elles font des projets différents, avec des sensibilités différentes, des esthétiques différentes, donc ça pourrait être intéressant de comparer. Beaucoup de femmes pensent que c'est une histoire sans fin, même si certaines disent que les choses s'améliorent. Les femmes doivent prendre soin du monde, avec préservation, durabilité. En nettoyant la maison, nous devons nettoyer le monde.

 

Ana Katz
Réalisatrice : El perro que no calla (2021), Suenos Florianopolis (2018), Mi amiga del parque (2015), La fiancée errante (2007) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Par rapport au moment où j'ai commencé à étudier le cinéma à l'université, le nombre de femmes qui réalisent des films a augmenté de manière énorme et merveilleuse.

Au début il y avait peu de femmes et maintenant je sens que cela a énormément changé et cela me donne beaucoup de bonheur. Pour moi ça a toujours été quelque chose de très naturel d’être sur un plateau. Je ne m'impose pas sur le plateau, c’est mon lieu de travail, je m'implique beaucoup, je suis très concentré mais je n'ai pas de façon de travailler machiste ! Je connais beaucoup d'hommes qui travaillent de manière très féminine, c'est pourquoi je crois que la meilleure option pour le féminisme est de pouvoir en effacer toutes traces pour laisser les Hommes plus libres !  Dans mon cas j'ai eu de la chance et j'avais évidemment une intuition sur la façon de faire des films, je travaille sur mon sixième film et il ne m'est même pas venu à l'esprit que cela pourrait être plus difficile parce que je suis une femme. Et je pense que bien des fois la façon de faire les choses est de ne pas penser à qui est l’autre en face de soi, de quel sexe il est. Je pense que la position des femmes doit être forte par nature, pas en opposition à un homme.

  

Anahi Berneri
Réalisatrice : Alanis (2017), Aire libre (2014), Por tu culpa (2010), Encarnacion (2007), Un ano sin amor (2005) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

L'Argentine a une histoire très importante de réalisatrices, les femmes au cinéma sont un mouvement vieux de 30 ans en Argentine. Et j'apprécie énormément le travail qu'elles ont accompli, je crois que nous sommes le pays d'Amérique latine avec le plus de femmes réalisatrices dans l'industrie. C'est très important, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de manque d'équité. Quand j'ai commencé, il y a 20 ans, les choses étaient très différentes, nous étions beaucoup moins. Aujourd'hui, je suis enseignante en cinéma et c'est impressionnant de voir à quel point les femmes et les hommes ont déjà des réalisatrices argentines comme références, et c'est merveilleux parce que la seule façon pour elles d'avoir des références, la seule façon d'encourager les femmes est d'avoir des références. C'est pourquoi je pense aussi que le 50/50 est très important car c'est pour montrer ces références. Ce n'est pas pour imposer mais pour montrer toutes les références qu'il y a, car cela encourage d'autres femmes à suivre, à oser se lancer diriger, réaliser, produire, filmer, être au cinéma.


Anita Remon
Editrice : Lina de Lima (2019), La salada (2014), Historias Breves X: Diamante Mandarin, La sangre del gallo (2015), La siesta del tigre (2016) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Dans la position des femmes au cinéma, je suis très intéressée par le rôle de la monteuse. La réalité est que seulement 15% des films à gros budget sont montés par des femmes, c'est-à-dire que sur les 10 films les plus regardés, un seul est édité par une femme. Cela a toujours été le cas au cours des 10 dernières années. Le grand public ne voit pas les films abordés du point de vue, la perspective d'une femme. C’est comme ça dans tous les domaines, mais fondamentalement dans l'édition. Les femmes ont tendance à penser qu'on leur donne les films les plus sensibles, qui sont en fait des films à petit budget, des films indépendants (des films que j'aime tout autant). On considère que les femmes ne peuvent pas monter de films de guerre, qu’elles ne peuvent pas monter de films d’horreur.

Entre collègues monteurs nous nous rendons compte que la même situation est systématiquement évoquée. Pourquoi ne pourrait-on pas monter des films à gros budget ?

Nous devons rendre visible le métier de monteur. Par exemple, l'année dernière des 20 films les plus regardés, seulement 3 monteuses et une coalition avec un homme. C’est très peu.

Quand on consulte des monteurs masculins avec une longue histoire et de nombreux films derrière eux, ils nous disent que c’est parce qu’il n’y avait pas de femme au début. Le montage n’est pas un métier beaucoup plus équitable que les autres. Il y a beaucoup de préjugés sur le sujet technique, savoir se servir de l'ordinateur et tout ça.  On devient très conscient de la nécessité d'un quota de femmes.


Anna Maria Muchnik
Directrice du Festival La Mujer y el Cine

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

La femme et le cinéma a proprement parlé sont nés il y a 30 ans avec une réalisatrice appelée Maria Luisa Vember, une réalisatrice de renommée internationale. Avant ça nous vivions une dictature, dans laquelle les mouvements de femmes ne pouvaient pas se faire, il n'y avait rien. Il n'y avait pas de cinéma, et le cinéma qu'il y avait était vraiment mauvais, dégradant. Lorsque Maria Luisa et un groupe d'autres femmes, y compris des femmes du cinéma, de la culture, une responsable culturelle de Mar de Plata, ont décidé d'organiser un festival, elles ont formé une association appelée La Mujer y el Cine avec l'idée de rendre visible, de soutenir, promouvoir, diffuser les femmes réalisant des films.

Je pense que c’est important de montrer ce que les femmes filment, mais aussi de les pousser à le faire, de les soutenir. Ce que je vois aujourd'hui, c'est qu'il y a beaucoup de femmes dans les écoles de cinéma, ce qui nous rend très heureuses, mais ensuite il n'y en a pas tellement sur les tournages. De nombreuses femmes finissent les écoles de cinéma et plus tard dans le travail, quand on regarde le casting d'un film, si on s'arrête pour le regarder, il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes. Les techniciennes du cinéma protestent beaucoup à ce sujet parce que les réalisateurs masculins choisissent des techniciens masculins. Le fait qu'il y ait autant de jeunes filles qui fassent les écoles de cinéma est un pas en avant, mais il faut intenter une action en justice auprès de l'Institut national du film qui est un peu la maison-mère, le cœur du sujet d'où viennent les fonds, les projets, et tout ce qui concerne les subventions au cinéma.

Au dernier festival de Mar de Plata, ils ont parlé des quotas et du 50/50. Le temps nous dira si cela sera accompli. On verra dans deux ans, même si c'est très peu. Bref, ce que je pense, c'est qu'il faut beaucoup insister, c'est que les dernières années ont été très bonnes pour les femmes dans le cinéma. Moi qui ai travaillé toute ma vie pour les femmes, j'ai commencé à 17 ans à faire de la télévision, une émission pour les femmes, la radio, un festival de films pour femmes, toujours avec et pour les femmes, ce qui s'est passé dans la dernière année et demie ou deux ans c'est fantastique.

Et ce qui est encore plus fantastique, c’est que la nouvelle génération prenne le relai, elles ont une force et une énergie merveilleuses. C'est un combat total, nous devons avancer. Pour moi personnellement, le plus important est le soutien des jeunes femmes, au cinéma, au théâtre, dans la rue avec les étudiants, très jeunes, qui en ce qui concerne la légalisation de l'avortement, a été fantastique. 

 

Beatriz De Benedetto
Costume Designer : The motorcycle diaries (2004), The german doctor (2013), La senal (2007), Felicitas (2009), Los que aman odian (2017), Wakolda (2013)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Cette initiative me semble fabuleuse, surtout venant d'Europe. Ici nous sommes moins nombreuses, et bien sûr nous voulons être plus. La question ici en Amérique du Sud est beaucoup plus difficile car le cinéma est un moyen d’expression qui a toujours été entre les mains des hommes. Mais je considère que nous sommes déjà beaucoup, je suis professeure dans une école de cinéma qui dépend de l'Institut de la Cinématographie et mes étudiants, sur les trois dernières années, sont à 90% des femmes, qui veulent être cinéastes ou directeurs artistiques.

 

Carmen Guarini
Anthropologue
Productrice et fondatrice de Cine Ojo (1986) et du Festival Doc Buenos Aires (2001)
Réalisatrice de Walsh entre todos (2015), Calles de la memoria (2012), HIJOS, el alma en dos (2002) 

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Il y en a moins qu'il ne le faudrait. Malgré le développement des coproductions depuis une décennie, et des investissements plus importants. Ça a créé des possibilités, notamment grâce à l'augmentation des festivals, des marchés, de laboratoires.

L'Amérique latine est avant tout un territoire immense, avec des pays émergents, et nous n'avons pas tant de cinéma et les mêmes lieux de distribution. Il y a de plus en plus de marchés où les réalisateurs, producteurs voyagent et échangent entre eux, les dix dernières années se sont construites avec un réseau très intéressant, il y a des endroits stratégiques comme le festival du film de Carthagène, comme le Brésil, un peu se développe en Equateur, en Colombie…

En Argentine, nous avons Ventana-Sur, qui ressemble en quelque sorte au marché latino-américain qui est réalisé en collaboration avec le marché du film de Cannes. Cela a donc rendu possible l'échange et la production de certaines coproductions.

De mon point de vue très personnel, tout est très lent, car chaque pays a aussi ses propres lois, ses propres règles du jeu, et il y a encore peu d'accords de co-production.

La distribution est un autre problème, une chose est de pouvoir développer une coproduction, ce qui est parfois réalisé, parce que vous avez une production associée, mais ensuite obtenir la possibilité de distribution dans le pays partenaire est un autre problème. Ce qui arrive souvent, c'est sous forme de festivals, semaine de cinéma européen, péruvien, bolivien, des choses comme ça. Mais ce n'est pas une distribution commerciale. 

 

Cecilia Atan
Réalisatrice : Co-réalisatrice de La novia del desierto (2017)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Cannes étant le festival le plus prestigieux au monde, il me semble fondamentalement que cela se produise. Ces femmes debout devant toute de l'industrie mondiale. Et devant tous les travailleurs du cinéma. Portant le drapeau du changement.

Ces 82 femmes sont toutes de grandes références et c’est bien les personnalités publiques, les personnalités qui ont plus de reconnaissance médiatique, ont le micro pour faire entendre leur voix.

Elles doivent montrer l'exemple et prendre les devants de manière médiatique.

Je pense que l’égalité doit commencer à être comprise, non pas comme cette valeur inatteignable mais comme le point de départ. Il me semble que c'est une égalité que les hommes et les femmes doivent souhaiter ensemble.

Il ne faut pas une lutte entre les sexes, mais une égalité. Il me semble que c'est une évolution naturelle de la race humaine. Les femmes ont toujours été éclipsées, cachées, invisibles. Alors je pense que c'est le moment ; même si malheureusement cela peut-être un peu violent comme dans certains pays comme l'Argentine où ce combat se déroule de manière virulente.

Ici, il y a de grandes communautés féminines comme Acción. Nous en avons besoin car nous sommes mal représentées et sous-représentées. Les réalités en Amérique latine sont très différentes. L'Argentine a une certaine production cinématographique mais cela ne signifie pas que nous sommes plus nombreuses à travailler en pourcentage. Il y a plus de femmes, mais en même temps nous sommes très peu nombreux par rapport au nombre d'hommes. Au Costa Rica on peut compter le nombre de réalisatrices sur les doigts d'une main.

Pour revenir à Cannes, ce qui s’est passé est essentiel. Je pense que dans chaque pays, cela se produit de manière organique avec la propre histoire du pays. C'est un changement déjà inévitable. Et je pense que ces gestes sont importants et qu'il est important qu’il existe ces espaces de discussion et où l'on organise le discours. Là où les chiffres sont vus, commencent à proposer, à générer, à inviter le reste du monde à réfléchir et à générer des politiques qui changent les règles du jeu, car il est inégal. Lorsque je construis mes équipes, j'essaye sincèrement de comprendre ce que chacun peut m'apporter et d'équilibrer les énergies humaines. 

 

Celina Murga                                        
Réalisatrice : Ana y los otros (2003), Una semana solos (2008), La tercera orilla (2014), Escuela normal (2012) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

En Argentine, les années 90 étaient une période politique désastreuse. Mais, à cette époque, plusieurs écoles de cinéma ont vu le jour qui ont démocratisé l'accès à l'industrie. Avant le seul moyen d’accéder au milieu du cinéma était de commencer en bas de l’échelle ; échelle d’une industrie dominée par les hommes. Quand les universités sont apparues, le champ éducatif a ouvert le jeu. Dans ma promo, nous étions un pourcentage élevé de femmes. Et de cette génération, de nombreuses réalisatrices ont émergé. C'est donc quelque chose qui a attiré mon attention pendant un certain temps par rapport à d'autres pays. Disons que j'ai vu qu'en Argentine il y avait plus de femmes réalisant que dans d'autres pays d'Amérique latine ou même en France.

Ce n'était pas si fort dans les autres domaines techniques du cinéma qui continuent encore aujourd'hui d'avoir une forte dominance masculine. Et je pense que la grande avancée de ce moment est celle-là. Pour les équipes techniques il y a des croyances très enracinées qui ont évidemment à voir avec la société machiste dans laquelle nous vivons, dans laquelle tout le monde vit. Le cinéma est un autre domaine où cela se manifeste.

Mais bon, il me semble que maintenant tout ça c'est très positif, tous ces mouvements sociaux ont lieu et d'une manière ou d'une autre les institutions gouvernementales doivent en faire écho. 

 

Graciela « Coca » Oderigo
Directrice Artistique : Sotto voce (1996), La cienaga (2001), Un oso rojo (2002), Leonera (2008), Carnet de voyage (2004) 

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

L'initiative me semble formidable car il y a vraiment un énorme fossé dans tous les domaines entre les femmes et les hommes qui ne bouge que maintenant, du moins en Argentine. Quant au cinéma, quand j'ai commencé à travailler dans le cinéma, c'était une chose terrible. J'ai commencé dans les années 80, c'était un monde d'un tel machisme qu'il était impossible de travailler. Les femmes étaient toutes aux costumes, maquilleuses et coiffeuses. A cette époque, il n'y avait pas de direction artistique en Argentine, et pour moi, qui étais scénographe, c'était très dur car tous m'ignoraient. Ces mouvements ou groupes d'actrices, d'éditeurs, de réalisateurs me semble fantastique, pour discuter les lieux de travail, les salaires, l'égalité des chances qui n'existent pas. Il me semble merveilleux qu'il y ait un mouvement collectif qui puisse devenir mondial, que dans chaque pays nous luttions pour des conditions égales. 

 

Delfina Castagnino
Monteuse : La patota (2015), El estudiante (2011), Lo que mas quiero (2010), Angelica (2019)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense que c'est un pays avec une culture féministe très différente du reste des pays d'Amérique du Sud car nous sommes le premier pays où les femmes ont commencé à voter. Nous avons une figure comme celle d'Eva Perón, qui est très forte pour nous, et pour les hommes aussi. Il y a donc un héritage féminin, même s'il a toujours été plus masculin dans les lieux de pouvoir. Je pense qu'il y a beaucoup de réalisatrices par rapport au reste des pays d'Amérique du Sud, car les femmes ont fait leur chemin peut-être un peu avant les autres. Et nous avons dans notre filmographie, en particulier du nouveau cinéma argentin vers ici, qui est à partir des années 90, de nombreuses réalisatrices.  Évidemment le nombre est plus bas, comme toujours, il y a plus de réalisateurs masculins que de femmes. Les femmes proposent une nouvelle façon de faire du cinéma car nous avons une vision très différente des choses et nous éprouvons d'autres émotions. Cela va permettre à différents films de voir le jour, ce qui est super intéressant, que nous sortions du voile masculin qui n’est qu’action et intrigue.  D’autres films apparaîtront, d'un ordre émotionnel et sensible, très différent.

  

Dolores Fonzi
Actrice : La cordillera (2017), La patota (2015), El campo (2011), Caja negra (2002), Plata quemada (2000)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

La situation des femmes est la même partout, en Argentine et ailleurs. Nous essayons de faire notre place, dans le cinéma comme partout. On travaille dur pour être entendues.

 

Gema Juarez Allen
Productrice : El ojo del tiburón (2012), Lina de Lima (2019), Soldado (2017), La cama (2018), El espanto (2017) 

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Il me semble que ce type d'initiative, comme beaucoup d'autres, répond à un certain climat de changement. Je vous dirais même que parfois certaines choses me paraissent opportunistes. Cette lutte n’est pas récente, je crois que cela apparaît seulement maintenant sur l'agenda politique. Comme : Me Too, Ni una mas, la campagne contre l'avortement, c'est une circonstance qui commence à unir les mouvements de femmes et il me semble très important qu'elles aient une place comme celle-ci à Cannes et dans tous les festivals. Bien que l'objectif du 50/50 de 2020 ne me paraît pas réaliste. Au moins on commence à reconnaître la nécessité de donner aux femmes un espace plus important, je pense que c'est super important.  Les buts ne sont pas toujours réalistes, mais je pense qu'il s'agit de fixer des objectifs, n'est-ce pas ? Il me semble qu'un jour nous y arriverons, pendant ce temps nous marchons.

 

Giselle Lozano
Productrice chez La Unión de los Ríos – Los salvajes (2012), Le ciel du Centaure (2015), Paulina (2015) 

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Notre expérience sur ces dernières années est que nous avons beaucoup coproduit et nous avons beaucoup travaillé en équipe avec des producteurs d'autres pays d'Amérique latine. Toutes ont été de belles expériences du point de vue économique et de la fluidité du travail.

Il y a là quelque chose, de compréhension, de fraternité, de liens de confiance, qui s'est passé. L'Argentine est un pays pionnier dans l'accueil de projets d'autres pays pour faire des coproductions minoritaires ou majoritaires. Mais nous sommes aussi dans un moment rare de crise ; et nous devons être à la hauteur des engagements que nous prenons avec les autres. Ces dernières années, nous travaillions beaucoup avec le Chili, et le coup d'État a commencé à émerger…

L’entente est aussi dans la capacité d'adaptation avec les latino-américains, qu'ils soient hommes ou femmes, de la créativité lors de la production. Il y a toujours des réponses créatives à des problèmes de production, et qu’avec les collègues de la région c'est très clair : on n’a pas besoin de défendre des positions, l'objectif est de faire un film, de le faire naître, que ce soit possible, et c'est quelque chose qui se sent, personne ne fait de films pour être millionnaire, tout au plus pour payer les factures, il y a un véritable amour pour ce que nous faisons dans la région. 

 

Inés De Oliveira Cezar
Réalisatrice : Como pasan las horas (2005), Extranjera (2007), Baldio (2019), Cassandra (2012)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

L’Argentine a été le pionner dans le développement de la place des femmes dans le cinéma en Amérique du Sud. 

Le premier problème qu'il y avait avec ça était la visibilité, il y avait de plus en plus de femmes mais elles étaient aussi socialement cachées. Cela traduit quelque chose de très profond, qui est la mère de tous les conflits, qui a à voir avec la non-reconnaissance, qui coûte à beaucoup de femmes dans l’accès à diverses professions. 

Comment faire reconnaître les femmes et faire comprendre qu'elles valent autant que les hommes, , je parle d'équité. C'est la grande bataille que nous menons actuellement en Argentine.

Pour ce qui est de notre cinématographie, bien qu'il y ait de plus en plus de femmes qui réalisent, les équipes de tournage en général ont beaucoup moins de femmes. Dans la photographie, le son, il y a très peu de directions sonores, même l'autre fois je pensais à la musique des films en général ce sont tous des hommes qui composent aussi. Ceux qui font de la musique en général sont tous des hommes. Mais disons, les rôles attribués depuis toujours à la femme étaient le maquillage, les costumes, le cutter négatif (quand c'était avec des ciseaux parce que c'était presque comme une couturière). 

Ensuite, il y a de grandes productrices comme Vanessa Ragone, mais ce sont toujours des coproductions, c'est autre chose, c'est une grande productrice mais ce n'est pas qu'elle a la responsabilité de tout le film (elle est associée à un producteur espagnol). C'est particulier.

Bien qu'il y ait beaucoup de productrices en Argentine, les films plus grands, à plus gros budget et à plus haute responsabilité sont généralement produits par des maisons de production dirigées par des hommes.

Sinon il faut aller chez Ibermedia pour pouvoir faire des coproductions avec les pays voisins, ou si on veut faire une coproduction avec le Portugal, il faut passer par Ancine ou le Brésil. Il existe de nombreux pays avec lesquels il n'y a pas de coproduction. Comme il n'y a pas d'accords bilatéraux, et que l'institut du cinéma qui n'avait aucune valeur si vous voulez inclure un producteur associé mais qu'ils ne le valident pas :  ils ne le reconnaissent pas.  Ce n'est pas comme le Brésil, comme Ancine, qui par exemple pour le Brésil est intéressant de faire une coproduction avec l'Argentine car Ancine donne de l'argent aux producteurs brésiliens pour qu'ils puissent produire une partie du film.

Donc ces accords ont été peu nombreux, ils sont très lents, ils ne sont pas bien réglementés, cela n'a pas du tout été encouragé. Et c'est dommage car même la cinématographie des pays proches du nôtre a beaucoup grandi, comme le Paraguay, la Bolivie, et bien, et le Chili a déjà beaucoup grandi.). 

 

Julia Freíd
Directrice Artistique : El Angel (2018), El marginal (2016-2018)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Ca m'émeut car nous avons commencé un chemin qui mettra beaucoup de temps à aboutir à la parité. Mais au moins nous sommes sur le chemin. Le machisme et la façon dont l'histoire est jusqu'à aujourd'hui en est la cause. Nous devons nous unir pour y parvenir, de manière pacifique bien sûr parce que je crois qu'appuyer sur les points douloureux et demander d'une manière aussi arrogante ne va rien accomplir. Je pense que nous avons toutes des choses à dire et nous devons avoir la possibilité de nous exprimer, les hommes comme les femmes. La proportion doit devenir plus équitable. 

 

Laura Bua
Éditrice : Yo soy asi, Tita de Buenos Aires (2017), Solas o mal acompañadas (1988), No se porque te quiero tanto (1992)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je pense que c’est comme partout, c'est-à-dire un très faible pourcentage de femmes qui travaillent et réalisent. Je ne veux pas vous mentir, mais quand j'ai commencé à faire des films, je pense qu'il y en avait trois ou quatre seulement. Aujourd'hui il y en a plus, mais c'est très difficile de rivaliser avec les hommes, et ce sont généralement des petites maisons productions qui prennent sous leurs ailes les films de femmes. Aucune grande société de production ne fait appel aux femmes pour réaliser des films sur commande ou avec des budgets élevés. Je pense que cela se produit plus ou moins dans toute l'Amérique latine. Pour les éditeurs, la même chose se produit. Nous travaillons au sein de SAE avec des éditeurs sur cette question. 

 

Léna Esquenazi
Ingénieur du son : Monos (2019), Tempestad (2016), Te extrano (2010), Cobrado : In God We Trusy (2006), Nicotaina (2003), Frida (2002)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Comme je vous le disais, j'ai d'abord vécu à Cuba, puis j'ai étudié en Russie, en Union soviétique à l'époque, puis je suis retournée à Cuba pour travailler, j'ai travaillé je ne sais combien d'années à l'institut du cinéma.

Ensuite, je suis allé au Mexique pendant de nombreuses années, onze ans, là-bas je me suis formé professionnellement, et j'ai travaillé avec de nombreux cinéastes. Puis je suis venu en Argentine pour quelque chose de personnel, j'ai épousé un Argentin.

J’ai continué à travailler ici mais dans une moindre mesure, car on m'appelait toujours du Mexique. J'ai plus de relations avec des réalisateurs mexicains que des argentins ; alors que je préfère le cinéma argentin (rires). J'ai travaillé ici avec des femmes réalisatrices, donc je pense que le rôle des femmes est très respecté.

Au Mexique, en tant qu’ingénieur du son, je vois beaucoup moins de femmes travailler sur les tournages. Au Mexique, comme c'est une société généralement plus machiste que l'Argentine, il y a peu d'ingénieurs du son. Alors, quand j'ai vraiment commencé à y travailler, j'ai eu une confrontation. Par exemple, j'ai enregistré de la musique avec tous les musiciens qui étaient présents sur place, nous avons fait tous les préparatifs et les répétitions. Et au moment d’enregistrer tout le monde demande où est l’ingénieur du son. Et bien je suis là ! Personne n’y croyait. Ils se sont rendu compte que je travaillais comme ingénieur (rires), puis ils m'ont respecté, mais dès le départ, il ne leur est pas venu à l'esprit que c'était une femme qui allait les enregistrer. Au fil du temps, cela évolue et on acquiert une expérience qui permet de se gérer différemment les situations malgré le fait d'être une femme.

Au cinéma, il y a très peu d'ingénieurs du son, pourtant ici en Argentine il y en a pas mal de très bons. Et ici il y a plus de respect pour notre travail. 

 

Liliana Romero
Réalisatrice de films d’animation : Anida y el Circo Flotante (2016), Martin Fierro, La Pelicula (2007)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

En Argentine, les femmes ont un rôle très important. Nous avons de la chance. Dans des pays comme la Bolivie qui n'ont pas encore beaucoup de production les politiques culturelles ne soutiennent pas la production cinématographique en général, quelle que soit la personne qui la fait : homme ou femme. En Amérique latine, il faut développer la cinématographie.

En Argentine, les femmes en général ont une position légèrement plus productive dans tous les domaines. Nous avons La Mujer y el Cine, qui œuvre depuis trente ans à la diffusion et à la promotion de la cinématographie féminine. Mais il me semble que nous devons continuer à travailler dessus car il y a encore peu de réalisatrices. Il y en a beaucoup aux costumes, au maquillage, en production, mais dans la partie mise en scène : pas encore. Et les superproductions aux budgets plus importants sont dirigées par des hommes, même quand il y avait une femme présidente de l'INCAA il y avait des choses qui continuaient à être filtrées. La partie des documentaires ou des petits films est dirigée par des femmes et les superproductions sont produites par les hommes. Et en animation, c'est un monde totalement différent. En raison d'une question de budget également, la production est plus chère, et les productions sont sporadiques. Mon film est sorti en 2016, pendant 4 ans avant que rien n'ait été produit. Et depuis 2016, maintenant nous sommes en 2019, aucun film n'est sorti non plus. Je dis toujours que produire un film de fiction, c'est comme courir un très dur 100 mètres et vous arrivez, mais un film d'animation est un marathon. 

 

Lisa Stantic
Productrice : Un muro de silencio (1993), Tan de repente (2002), Un oso rojo (2002), Paulina (2015), La ciénaga (2001)

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Il n’y a pas assez de coproduction, il y a beaucoup de films argentins qui sont coproduits avec Chile, et le Pérou. Ce sont des productions argentines généralement avec 20% d'autres pays latins. Il y a aussi des films latino-américains qui sont réalisés avec une contribution argentine de 20%. Il y a donc des coproductions entre les pays d'Amérique latine. Aussi avec l'Uruguay, qui est très proche.

Ce qui est difficile pour un film latino-américain est de réussir dans un autre pays d'Amérique latine. En ce moment le cinéma est très difficile pour les films qui ne sont pas soutenus par un géant, par Disney ou par Warner. Si Disney s'implique, cela peut réussir, mais en général, il est frappant de constater que des films comme Las Herederas, superbe film choral paraguayen, ne fonctionnent pas du tout ; même des films qui ont remporté de nombreux prix internationaux. Les films argentins se débrouillent très bien à l'étranger mais ils ne fonctionnent pas ici. 

 

Lorena Vega
Actrice : La Paz (2013), Labia (2014), El Año del León (2018) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

C'est un espace dans lequel les femmes doivent continuer à se battre. Heureusement nous avons en Argentine de grandes cinéastes comme Maria Luisa Bemberg, suivie de Lucrecia Martel, et aujourd'hui Anahi Berneri, Ana Katz, et la liste est longue, elles sont géniales.

Il faut des voix féminines qui révèlent la profondeur de ce qui arrive à notre existence, il faut des femmes cinéastes qui révèlent à l'écran notre façon de regarder le monde. C’est nécessaire, sinon il n’y aura jamais qu'un seul regard. Il me semble que peu à peu on comprend que cela doit arriver et dans tous les domaines de ce qui fait un film, il y a de très bonnes professionnelles qui occupent les différentes positions. Non seulement dans la direction du film mais aussi dans la direction de l'art, de la photographie, du son, du montage. Ici en Argentine il existe une association d'éditrices qui a été créée. Les éditrices argentines se battent aussi pour leurs droits car c'est un domaine où il y a encore beaucoup de domination masculine. Il me semble donc que c'est une lutte globale.

 

Marcela Bazzano
Directrice artistique : Cama adentro (2004), La camara oscura (2008), Operación Mexico, un pacto de amor (2015)

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Cela me semble génial ! Je travaille dans le cinéma depuis 30 ans. Ici il y a eu un avant et un après les années 90, presque 2000. Maintenant il y a beaucoup d'écoles de cinéma. Il y a plus de formation et le travail se hiérarchise différemment au niveau des équipes, au niveau des hommes et des femmes. Cette question de répartition équitable des rôles, pour les réalisateurs et pour le reste, ici l'année dernière une pétition a été signée par des femmes demandant à l'INCAA pour que les équipes aient plus de parité entre les femmes et les hommes.

Même s'il y a des films sur les femmes qui sont tournés presque uniquement par des femmes, cela a été demandé parce qu'il y a souvent beaucoup trop de différence entre le nombre d'hommes et de femmes. Par conséquent, cela me semble une initiative fondamentale. Ici, en Argentine, l'année dernière, un groupe de femmes cinéastes a été créé qui a commencé à avoir de nombreuses réunions et où elles ont commencé à partager les problèmes de l'industrie et à créer une banque d'emplois. Ce qui a généré beaucoup de soutien, même si cela ne fait qu'un an. 

 

Marcela Marcolini
Scénariste : Ojos de arena (2020), Teresa del Gaumont (2001)
Membre de l’associaiton : Accion Mujeres de Cine

Je m'appelle Marcela Marcolini, je suis scénariste, j'appartiens à une association appelée Acción Mujeres de Cine où nous travaillons pour améliorer nos performances dans le domaine du cinéma car la différence est grande.

Au sein de l'association, nous avons une commission de statistiques, où nous évaluons chaque année les films réalisés par des hommes et des femmes dans tous les domaines.

Nous sommes également en communication permanente et travaillons avec d'autres groupes de femmes qui ont été formés l'année dernière :  L'Association des techniciennes, l'Association des femmes éditrices et d’autres.

La différence en Argentine se situe entre 75% et 25% :  75% des films réalisés par des hommes et 25% par des femmes. Certaines années cela varie et il y a un 70-30 mais nous n'avons pas réussi à passer la barrière des 30%.

Ce qui signifie que nous sommes loin de l'objectif 50-50 pour 2020. Une de nos tâches est de travailler sur la zone des festivals, de rendre visible le problème et de faire prendre conscience que ces différences existent.

Dans le milieu, les hommes vous disent « mais si nous travaillons avec des femmes, il n'y a pas de problème » mais ils ne se rendent pas compte qu'il y a vraiment une énorme différence dans l'espace occupé par les femmes dans tous les domaines.

Concernant les festivals, nous avons fait un travail d'analyse des films qui sont sélectionnés, et la différence existe aussi là-bas. Nous avons un festival international du film de classe A qui est le festival Mar de Plata, le seul festival de classe A dans presque toute l'Amérique latine avec un autre au Mexique mais rien de plus. Et c'était vraiment choquant car en 2008 et 2009, il n'y avait aucune femme dans les compétitions officielles latino-américaines et internationales, aucune femme sélectionnée.

Les autres années, c’est toujours 70-30 ; et cela s’applique à tous les domaines, festivals et production. Nous travaillons pour sensibiliser, pour générer des politiques, pour vraiment faciliter l'accès des femmes à ces espaces.

Car ce qui se passe, ce qui est réel, c'est que les femmes ont moins de temps car on s'occupe de la maison, des enfants, etc ... C'est une tâche difficile.

Les mentalités changent petit à petit mais c’est compliqué. Mais peu à peu les gens comprennent. A  Accion nous travaillons avec cet objectif, avec ce 50-50. 

 

Maria Victoria Menis
Scénariste et réalisatrice : El cielito (2004), La camara oscura (2008), Maria y el Arana (2013)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

La position d'une femme dans le cinéma argentin, dans les pays d'Amérique latine, est une position assez avant-gardiste. L'Argentine se caractérise par un très fort courant dans le cinéma et le théâtre. Il y a beaucoup d'artistes en Argentine. Le cinéma est quelque chose de très choisi parmi les carrières. En ce sens, les universités de cinéma sont peuplées de femmes, certaines comptent même une majorité de femmes. Le problème est plus tard.

De nos jours, les femmes commencent à réaliser davantage. J'ai co-réalisé mon premier film avec un homme, sur le tournage tout le monde pensait que j’étais son assistante. Il y a des postes qui sont encore très occupés par des hommes, des carrières techniques du son ou de la photographie qui ne sont pas confiées à des femmes car on pense qu'elles ne le savent pas le faire. Ces mythes sont très profonds, le machisme en ce sens est très fort. C'est aussi un préjugé chez les chirurgiens, mieux vaut un homme. Une femme préfère être opérée par un homme…

Il y a aussi beaucoup de problèmes liés à la maternité, il n'y a rien d’aménagé pour ça, rien dans le cinéma ou d'autres carrières pour aider la femme. Vous devez avoir de la chance qu'il y ait des proches pour vous aider et trouver une bonne nourrice.

 

Mariela Ripodas
Directrice Artistique : Familia sumergida (2018), Eva no duerme (2015), Muerte en Buenos Aires (2014), Fontana, la frontera interior (2009), Rancho aparte (2007), El polaquito (2007) 

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Je parle de mon expérience, je pense qu'au cours des 5 ou 6 dernières années, il y a eu plus de possibilités de connexion et de coproduction avec d'autres pays comme le Chili, l'Uruguay, le Brésil, qui sont ceux qui ont le plus de cinéma. Cela se produit plus fréquemment, parfois avec des fonds européens. Il y a une incitation des fondations, des organisations de récompenses qui sont données avec un groupe de pays d'Amérique latine. Par exemple, j'ai fait The Submerged Family avec María Che, une équipe féminine avec une directrice française de la photographie, qui a été coproduite avec le Brésil. Ce fut une expérience très riche, les gens viennent de nombreux endroits qui, bien qu'ils soient proches, ont des visions très différentes. 

 

Mélanie Schapiro
Productrice : La princesa de Francia (2014), Viola (2012), Isabella (2020), Los tiburones (2019) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Il y a un problème qui existe avec le rôle des femmes dans la société et dans le monde, et évidemment cela se reflète également dans le cinéma.

Je pense qu'il y a une différenciation dans les différents domaines également au sein du cinéma. La place d’une actrice n'est pas la même chose qu'un réalisateur ou un producteur ou une technique de l'équipe de photographie par exemple. Je pense qu'il y a des domaines où il y a beaucoup plus de discrimination comme le domaine de la photographie où j'ai commencé. J'étais très intéressée par ce domaine. Mais j'ai réalisé que c'était comme le double combat, celui de pouvoir être soi-même mais aussi le combat pour montrer que l'on pouvait faire. Il m'est arrivé des mésaventures avec des hommes qui me disaient: « Est ce que tu peux soulever ça ? » comme pour montrer qu'ils ont plus de force que moi. J’ai beaucoup combattu ça, disons : combattu les hommes et la situation en général. Je pense que depuis qu'un changement est en cours dans la société, il y a moins de place pour tout ça. Dans le cas de l’acting, c'est un peu plus accessible pour les femmes car il y a un intérêt à montrer des femmes à l'écran qui est un symbole assez fort, et ce n'est pas le cas de la photographie qui est en coulisse. Et puis dans d'autres domaines comme la réalisation ou la production, c'est là que je pense que c'est un gros challenge car il y a toujours le schéma de l'homme qui veut s'imposer à la femme comme dans n'importe lequel des domaines. Là ça dépendra de la personnalité de chacune de ces femmes et je pense que dans le cas de l'Argentine, il y a beaucoup de femmes super fortes. Différents groupes de cinéastes tentent de promouvoir ce 50/50. Elles essaient de rédiger une loi stipulant que 50% des projets doivent être dirigés par une femme, et même du côté du comité de sélection des projets.

 

Mercedes Laborde
Réalisatrice : El ano del Leon (2018)
Assistant caméra: Bachelor Games (2016), Blindado (2019), Roman (2018)

 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je suis technicienne et je travaille tous les jours comme assistante caméra et technicienne cinématographique. Ce qui se passe au sein du syndicat du cinéma, c'est que des organisations de femmes se forment pour que les équipes de femmes soient à égalité entre femmes et hommes. Parfois cela arrive naturellement, ce qui est le plus beau, c'est ce qui devrait arriver, que le réalisateur puisse travailler avec un groupe naturellement mixte. Mais parfois cela n'arrive pas. C'est pourquoi le 50-50 est également mis en œuvre dans les équipes techniques des films. Par exemple, j'ai démarré un projet où il a été pris en compte parce qu'il y avait peu de femmes et, pour les postes encore vacants, des femmes étaient recherchées pour les combler et être égales.

De toute évidence, pour les femmes, c'est un pas en avant important, il y a d'autres choses qui, pour cela, doivent se produire, en particulier en ce qui concerne le fait d'être une mère qui travaille au cinéma. C’est difficile à réaliser car nous travaillons entre 10 et 12 heures pendant les heures normales, parfois je quitte ma maison à 5 heures du matin et je ne sais pas à quelle heure je rentre. Les salaires pour avoir une baby-sitter pendant 12 heures ne sont pas à la hauteur ! Les femmes au cinéma ont évolué, j'ai commencé à travailler dans le cinéma il y a 15 ans, j'ai toujours travaillé dans des groupes de travail avec des femmes, j'ai eu la chance de ne pas être dans des situations où elles m'ignoraient, mais je sais que ces choses se produisent. Les femmes sont parfois exclues de l'équipe de travail, sauf s'il s'agit de costumes, de maquillage, d'art ... La branche caméra est plus masculine par exemple, sans parler de la branche photographie. Pour un directeur de la photographie il est difficile de devenir directeur de la photographie si on ne passe pas le chemin normal qui est d'être électrique, gafer, directeur de la photographie ... Les cinéastes sont comptés sur leurs doigts ici en Argentine.

Il y a donc des domaines où être une femme est plus difficile, mais avant il n'y avait pas de tentative, aujourd’hui on s'encourage les unes les autres. Il y a des femmes réalisatrices dans l'industrie depuis longtemps, mais elles sont peu nombreuses ; Ana Katz, Anai Berneri, Lucrecia Martel, et malheureusement je ne peux pas vous en citer une autre qui a plusieurs films à sa filmographie et qui travaille dans le cinéma depuis plus d'une décennie. Je pense que ça va changer, maintenant il y a beaucoup de réalisatrices qui ont déjà un film et qui commencent à tourner le second. Il y a une plus grande prise de conscience de la participation des femmes. 

 

Milena Epelbaum
Etudiante en École de Cinéma 

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

C'est génial qu'un endroit qui a tant de reconnaissance mondiale montre ces choses parce que je pense que c'est nécessaire. Nous sommes de générations différentes mais ma génération est très consciente de tout cela, de cette reconnaissance des femmes, de l'autonomisation. Je pense que l’image est excellente. Cela m'émeut beaucoup. 

 

Silvina Schnider
Réalisatrice : Tigre (2017) 

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

J’adore cette question. La vérité est que nous avons ici un institut du cinéma, qui est l’INCAA. Ce qui se passe, c'est qu'il forge des relations de coproduction avec plusieurs pays d'Amérique du Sud et ils se renforcent. Par exemple, avec le Brésil, nous avons une relation très forte, avec le Chili et la Bolivie aussi ; et on commence avec le Paraguay qui essaye d’installer sa loi sur le cinéma.

C’est une tendance qui consiste à regarder plus loin alors qu'en réalité, il faut produire plus ici. Pour que tout d'un coup ces liens se forment, qu'ils soient institutionnalisés par les différents instituts du cinéma, c'est très important pour que cette plateforme et ces coproductions aient lieu. Je pense donc que les instituts établissent ces liens est très important.

Nous avons également Ventana Sur, qui est une réunion de marché qui a lieu en décembre et qui en attire beaucoup et qui est liée au festival de Cannes. Il existe déjà des liens forgés qui se forgent encore, qui se développent encore.

Nous avons beaucoup de problèmes et de difficultés quant à la distribution. C'est la grande discussion de ces dernières années, du moins parmi les gens qui font des films ici en Argentine.

Même l'Institut échoue à cela. Il devrait y avoir une politique pour aider à cela. Je pense que la France est beaucoup plus développée sur ce point pour que les films arrivent jusqu’au grand écran. Ici il nous manque des cinémas, des lieux de projection. Ils sont totalement occupés par les blockbusters qui viennent des États-Unis, qui sont comme des monstres géants. Il n'y a pas de politique qui soutient et défend ce qui se passe au niveau national ou sud-américain. Pour pouvoir voir ce que font les camarades, c'est très difficile d'accès, cela nous arrive même avec nos propres films. Alors imaginez combien il nous est difficile de voir le cinéma bolivien. Il se passe beaucoup de choses sur les plateformes numériques, en streaming et dans ce type de réseaux, mais ce qu'est le cinéma sur grand écran est une lutte. 

 

Sofia Brito
Actrice : Rosita (2018), La omision (2018), Los salvajes (2012) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

C'est un peu complexe, car si des mouvements commencent à émerger, notamment en Argentine, avec le mouvement Ni una menos qui rassemble des gens du monde entier, le cinéma reste un lieu hyper misogyne où les chefs d'équipe sont des hommes.

J'ai fait 12 films, un seul avec une réalisatrice. Vous devez y mettre beaucoup de vous-même parce que le réalisateur ne sait pas grand-chose sur les femmes.

C'est encore très difficile, la femme doit toujours en faire plus et travailler plus dur. Mais les portes s'ouvrent, il y a un mouvement appelé Accion, avec certaines des femmes les plus puissantes du cinéma argentin. Je crois que petit à petit nous ouvrons des espaces. Mais c’est compliqué.

Le directeur de l'INCAA est un homme qui est politiquement un désastre, c'est un homme d'affaires qui n'a aucune idée du cinéma. Ce sont tous des hommes à la tête d'espaces importants, partout. Mais au moins au festival de Mar de Plata le directeur artistique est une femme, et elle a fait en sorte que l’accord 50-50 ai été signé.

Dans cet environnement misogyne, il faut toujours montrer plus parce que tu es une femme, et en tant qu’actrices c’est pire car il y a tellement de stéréotypes. J'ai toujours voulu fuir ces personnes parce qu'elles ruinent l'esprit de nombreuses femmes. 

 

Sofía Straface
Ingénieur du son : La reina (2013), Soldado (2017), Lina de Lima (2019) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Je peux vous parler de la femme ingénieur du son. Comme il y a une idée que dans le cinéma les tâches pour les femmes sont la production parfois DA, ou même le montage, ces rôles qui sont associés aux femmes. Je pense que ce sont des idées préconçues qui doivent être démolies, comme l'idée qu'il y a certains emplois qui sont pour les femmes et certains autres qui sont pour les hommes.

La vérité est qu'en tant qu'ingénieur du son, je n'ai jamais senti qu'il y avait des choses que je ne pouvais pas faire.

En ce qui concerne la réalisation, notre meilleure réalisatrice est une femme qui est Lucrecia Martel. Je pense que nous avons du territoire grâce à elle. En tant que spectateur, j'ai un peu cette idée que si elle est réalisatrice d'un film argentin, je pense tout de suite que le film est bon !

Il faut noter qu'il y a beaucoup plus de femmes dans l'art et le cinéma d'auteur, le cinéma indépendant. Aller vers des films avec plus de budget, quand il y a déjà plus d'argent en jeu, cela se passe dans tous les domaines, c’est surtout des hommes que vous rencontrerez.

Si vous regardez les résultats des prix Condor, j'aimerais savoir combien de femmes ingénieurs du son ont été primées ? Je ne pense aucune. Jamais, pas une fois. 

 

Stella Jacobs
Maquilleuse : El Inca (2016), Secreto de Confesion (2013), 3 Bellezas (2014), Golpes a mi puerta (1993) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de femmes qui travaillent dans le cinéma, dans le domaine technique, il y a des femmes. Il y a des chefs opérateurs, des ingénieurs du son, c’est un peu restreint mais il y a des femmes. Parce que j'ai travaillé dans plusieurs pays d'Amérique latine, j’ai pu observer et ici ce n'est pas égalitaire mais au moins ça existe. Nous sommes à la croisée des chemins. Dans le domaine de la réalisation, vous pouvez également voir que la plupart d'entre eux sont des hommes, mais il y a des femmes et de très bonnes femmes avec d'excellents films qui deviennent très visibles.

Ma perception est absolument féministe et basée sur le genre. Oui, il y a beaucoup d'inégalités, beaucoup d'intimidation contre les femmes au cinéma. Pas tellement ici, parce que ce n'est pas politiquement correct en Argentine où ils essaient tous d'être politiquement correct, mais il y a d'autres pays dans lesquels que nous n'entrons tout simplement pas. Ils ne vous laissent même pas travailler le premier jour à cause de l'intimidation qu'ils vous font. Cela change parce que les femmes ne le permettent plus. Et l'essentiel est de s'unir, car malheureusement, si nous ne nous joignons pas, vous restez isolé, c'est ce qui se passe avec le harcèlement, vous ne savez pas vers qui vous tourner. 

 

Tamar Garateguy
Réalisatrice : UPA ! Una película argentina (2007), Pompeya (2010), Mujer Lobo (2013), La furias (2020) 

A propos de la montée des marches des 82 pour la parité au Festival de Cannes 2018

Je trouve cela très intéressant, intelligent, et possible aussi. Je pense que le festival de Cannes était une belle plateforme. Mais je pense qu'il aurait dû faire quelque chose avant, ne pas attendre que les femmes aient à réclamer cette égalité. Elle devrait être installée depuis des années dans le domaine cinématographique dans le monde.

Cette dynamique se poursuit dans le monde entier, il y a eu Cannes, San Sebastián et Venise cette année. Toutes les femmes dans le monde qui font des films sont conscientes de l’importance de ce type d'événements.  Ces lieux doivent être à l'avant-garde, des lieux où le discours cinématographique est primordial. Les Festivals devraient être un peu plus actifs sur la question, mais bon il y a du positif.

L'espace doit être récupéré et doit être occupé car la parité de participation des femmes est loin d’être atteinte. Mais ce qui est frappant, c'est que les femmes se rassemblent pour revendiquer. Même en 2018, les femmes les plus importantes ou les plus puissantes du monde du cinéma doivent venir se plaindre pour attirer l'attention. 

 

Valentina Bari
Costumière : Eva no duerme (2015), Muerte en Buenos Aires (2014), Roma (2004), Todos tenemos un plan (2012)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

C’est une réflexion plutôt individuelle pour moi. Tout d'abord, parce que je ne travaille ni ne milite dans aucun groupe cinématographique féministe. J'ai participé à des réunions, je suis attentive, mais je n'y mets pas mon corps et mon âme disons. Je suis dans divers groupes sur Facebook, sur les problématiques numériques, j'écoute, je construis avec les autres, mais je ne suis pas militante.

Pas aujourd'hui du moins ! Et l’autre point c'est que toute cette révélation du nouveau et dernier féminisme est très proche dans le temps, donc c'est difficile de prendre du recul pour le voir.

La prise de conscience de ce que signifie être une femme et de la place que nous occupons est un enjeu quotidien très présent depuis un an et demi ou deux ans, je ne sais pas si c'est le cas dans d'autres pays. En Argentine, ou du moins à Buenos Aires et dans les grandes villes, oui. Dans ces centres plus européens, plus urbains, il est question d'un mouvement vraiment fort.

Concrètement au cinéma, il me semble qu'il y a deux enjeux : l'un est strictement social, ouvrier, professionnel qui a à voir avec les quotas, les espaces, la visibilité, la reconnaissance, avec le même revenu, la parité.

J'ai le sentiment que le changement qui a eu lieu n'est pas concret mais viable. Non pas qu'il y ait beaucoup plus de femmes qui travaillent dans l'industrie aujourd'hui qu'il y a cinq ans. Mais ce qu'il y a, c'est une autre position, une autre façon de voir, de confronter.

Je fais de la création de costumes, et là nous sommes toutes des femmes, 90%, et sinon ce sont des homosexuels. Dans la structure patriarcale, nous les femmes somment celles qui se consacrent à travailler avec le tissu, avec les vêtements, avec le corps, c'est une activité féminine, c'est pourquoi les femmes le font, pas parce qu'il y a un quota. Nous reproduisons le schéma.

Il me semble donc que si j’ai eu ma place pour travailler au cinéma, c'est à cause de l'activité que j'ai faite, faire des costumes. Sinon ça aurait été plus difficile. Dans tous les domaines de la caméra, quand j'ai commencé, il n'y avait pas de femmes, maintenant il y en a.

L'autre chose qui s'est produite en Argentine, qui va très loin, c'est qu'après la dictature et après la reprise démocratique, un nombre infini d'écoles de cinéma sont apparues, la formation académique a fait croître de façon exponentielle les gens qui travaillent dans le cinéma. Et là les femmes ont été incorporées. Un changement très notable, quand j'ai commencé il y avait deux institutions où tu pouvais étudier, maintenant il y en a 500. Et l'autre contrepartie de ceci est le contenu, les histoires qui ont changé, des visions très féminines sont apparues dans la façon dont elles sont racontées. Elles sont racontées à partir d'un monde féminin et d'une manière féminine de voir les choses. Au cinéma, on s'habitue à une manière masculine de générer des histoires, de produire des histoires, de remplir l'histoire de contenu. 

 

Valentina Llorens
Réalisatrice : La Casa de Arguello (2019) 

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Je n'ai pas l'impression qu'il y a un dialogue, et que nous interagissons. Nous nous voyons dans les festivals. Au niveau de la coproduction, je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de concret, mais avec le Brésil, ça peut l'être.

Il n'y a pas beaucoup de coproductions avec les autres pays, l'Argentine-Brésil un peu plus mais pas tant que ça. Il me semble que tout ce qui est coproduction doit être renforcé, cette partie du financement est si difficile pour le cinéma indépendant. Elle devrait être beaucoup plus jumelée.

Je pense que les festivals sont super importants au niveau de la distribution, car cela vous donne la possibilité d'être vu ailleurs. Il y a aussi les cycles, un peu à la mode, qui sont mis en place dans les festivals, par thème, mais souvent de bons films sont laissés de côté.

De toute évidence, c'est très important, et ce que les festivals font, c'est la reconnaissance du réalisateur, et c’est très bien.

Ensuite, cela dépend de pourquoi vous faites votre film et pour qui ? S'il s'agit d'un documentaire ou d'une fiction, quel type de public atteint-il? Le documentaire est généralement destiné à la sensibilisation, avec prise de conscience. Cela ne peut pas atteindre tout genre de Festival. Je suis ici en ce moment au Festival de Montevideo et c'est un plaisir, j'en profite et cela génère toujours beaucoup de réflexion sur les enjeux, mais ce ne devrait pas être la seule raison de venir ici. Ça devrait être pour le public.

Maintenant, j'apprends qu’il y a quelques festivals en Bolivie qui semblent assez intéressants. L'un appelé "Under the skin" et l'un sur les droits de l'homme appelé d’un nom très étrange, "Pauacama" ou quelque chose comme ça. Je pense qu'il faut faire plus en ce sens.

Il y a aussi un problème de distribution ? Je suis justement en ce moment en train de rencontrer beaucoup d'obstacles et de difficultés. A Buenos Aires, j'ai eu le soutien de l'INCA, mais ça ne donne pas de salles, ce qui est ridicule. Cela me donne de l'argent pour faire le film, mais ils ne me donnent pas d'écran pour le diffuser ensuite. Cela a clairement à voir avec une politique de gestion de l’Etat en raison du type de gouvernement qui existe actuellement. Et il y a d'autres salles à Buenos Aires mais c'est difficile. Dans le reste du pays de petits espaces apparaissent dans d'autres circuits ce qui est très intéressant. C'est juste un sujet que j'étudie, celui de la distribution. C'est super intéressant car on se demande quel public, pourquoi ce documentaire est fait, pour qui. Vous ne pouvez pas faire un documentaire et le garder pour vous. Il y a un engagement. Il faut le partager 

 

Valeria Pivato
Réalisatrice : Co-réalisatrice de La novia del Desierto (2017)

A propos de la dynamique cinématographique sur le continent Sud-Américain

Notre film est une coproduction argentine-chili !  Notre protagoniste est Paulina Garcia, qui est une actrice chilienne. Dans notre processus de production, ce fut une expérience extrêmement heureuse et saine. Mais je comprends que c'est difficile car souvent les fonds sont majoritaires dans un pays ou dans l’autre. Donc le duo Argentine avec le Chili, qui n'est pas la même chose que l'Argentine avec la Bolivie ou l'Uruguay.  Donc, si nous faisons l'Argentine-Uruguay, c'est plus compliqué, c'est-à-dire que je crois que ce qui manque dans un monde idéal serait comme un fonds qui permet la libre collaboration des pays d'Amérique du Sud mais en tant que région, c'est-à-dire au niveau de la production et aussi au niveau distribution.

C'est très difficile de voir un film paraguayen ici, ou un film équatorien. On a fait un gros travail, surtout quand on montait la coproduction, pour essayer de voir beaucoup de cinéma chilien, pour voir des acteurs, de voir des techniciens. Nous sommes très similaires les uns aux autres, c'est très étrange. Il faut que tout le cinéma sud-américain trouve une identité avec ses particularités, le Brésil n'est pas le même que le Chili, la Colombie n'est pas la même que le Venezuela. Mais il y a quelque chose, comme un cadre, une couleur locale sud-américaine, qui nous identifie et qui est également très appréciée dans le reste du monde, car c'est notre identité, qui a à voir avec le mélange de cette origine. Il existe une identité du cinéma sud-américain ; et il me semble qu'au niveau de la distribution il serait plus intéressant de voir ce que fait mon voisin que les européens. Car aussi, contrairement à l'Europe par exemple, nous, sauf le Brésil, partageons l'espagnol. Ce serait quelque chose de très logique mais apparemment nous ne sommes pas logiques! 

 

Verónica Torres Orosco
Productrice chez La Unión de los Ríos – Los salvajes (2012), Le ciel du Centaure (2015), Paulina (2015) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

En Argentine, bien qu'il y ait beaucoup de femmes qui travaillent sur le terrain, certains postes techniques sont essentiellement tous occupés par des hommes. Dans mon expérience de travail, j’ai travaillé avec 0 chef op femme. Dans le son, j'ai entendu dire qu'il y a des filles qui travaillent dans certaines équipes.

Il y a aussi beaucoup d'étudiants en cinéma ici qui sont des femmes. Mais lorsque vous voyez les moyennes dans la vie active : où sont passées ces étudiantes femmes ? Cela attire l'attention sur les raisons pour lesquelles ces structures sont encore si fermées et elles ne sont pas ouvertes à l'intégration des femmes. Et nous ne nous demandons pas pourquoi cette relation de travail est toujours répétée et non modifiée. Mais bon dans ce processus dans lequel nous sommes on commence à déconstruire et à repenser le monde entier. Chaque jour, nous nous remettons en question et j'aime que cela commence à se produire et que cela génère cette belle chose, cette fraternité.

Je pense aussi que c'est important de se poser la question des femmes après la maternité, pour qu'elles puissent continuer à travailler. Il me semble qu’il faut trouver ces espaces, c'est quelque chose de très important qui est également en cours de développement. Je crois donc en cette fraternité. 

 

Victoria Carreras
Actrice : Puerta de Hierro, el exilio de Peron (2012), Ojos de arena (2020), Hacer la vida (2019) 

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Hier je regardais les Condor de Plata – remis par l’Association des critiques de cinéma argentins, et il y avait seulement Menis, Katz et Lucrecia Martel. J’ai été nominé avec un documentaire, mais la réalité est que, depuis l'année 40 à ce jour, quatre femmes ont été récompensées, cinq.

Là on se rend compte qu'il est beaucoup plus difficile pour les femmes de filmer et que, plus tard, les moyens de production, voire la critique, ont toujours été gérés avec un regard très fermé et avec une prédominance d'hommes sur les femmes.

Cela change. 2018 a été une année très intéressante pour les femmes cinéastes car différents groupes ont commencé à émerger (2017 je vous dirais), maintenant nous essayons aussi de continuer ensemble là-dessus, de construire une unité.

Mais il est clair que si nous avons dû nous regrouper de cette manière, en dehors de nos organisations syndicales, parce que le féminisme est une autre façon de s'organiser. Il y a encore un long chemin à parcourir. Je pense qu'en ce moment le féminisme est politiquement correct. C'est aussi une question économique, il s'agit de savoir qui reçoit les fonds et à qui on demande de filmer une femme. c'est une politique de subventionnement par antécédent, nos antécédents seront toujours moindres car nous avons moins de possibilité de filmer, alors c'est une politique inégale. Il y a donc la clé. Oui, nous parlons d'économie. Tant que la gestion de l'argent sera entre les mains des groupes économiques traditionnels dirigés par des hommes, nous n'allons pas filmer. 

 

Victoria Franzan
Ingénieur du son : The two popes (2019), Abalos : Una Historia de 5 Hermanos (2018), Los que aman odian (2017)

A propos de la place de la femme dans l’industrie cinématographique de son pays

Beaucoup de choses ont changé ces dix dernières années, il y a dix ans, en tant que technicienne cinématographique, on était très peu, sauf pour les maquilleurs. Mais en tant que technicien au sein du département caméra, les hommes étaient toujours là en grand nombre. Petit à petit, en tant que femmes, nous sommes devenues plus présentes et avons commencé à intégrer davantage de femmes dans nos propres équipes.

Aujourd’hui je travaille avec des femmes. Perso j'ai un travail qui est très physique, très dur mais j'essaye toujours d'intégrer les femmes. Cela m'a coûté cher, mais aujourd'hui je suis bien positionné dans l'industrie. Au début, j'ai pris les emplois par défaut, car il n'y avait pas d'autres ingénieurs du son, c'est donc là que je suis entré. Aujourd'hui, je constate qu'il y a une équité, un peu mieux, mais à 50/50 on n'y est pas arrivé.

Il y a dix ans, c'est "oh une femme ingénieur du son", je sentais que les regards étaient plus sur moi parce que j'étais une femme. Si il y avait eu un garçon qui avait peut-être moins d'expérience que moi mais parce qu'il était un homme ils l’auraient laissé tranquille.

Mais bon, petit à petit, vous essayez d'intégrer les collègues amis dans votre équipe, c'est tout. C'est ce que je vois dans le cinéma argentin. J'ai vécu à Londres pendant quelques années et quand je suis revenu ici en 2012 j'ai remarqué une différence abyssale, à Londres j'ai vu une égalité entre les hommes et les femmes, ici, c'était moi seule et tous les hommes. Nous sommes en retard, oui nous sommes 20 ans derrière.

 

Mais nous avons également commencé à former des associations. Dans mon cas, nous avons fait une association d'ingénieurs du son, hommes et femmes, et au sein de l’association une catégorie d'ingénieurs du son s'est formée où on se parle, on s'entraide, comme un lieu plus agréable pour pouvoir s'intégrer davantage au cinéma. Et il y a aussi une autre association qui porte sur les techniques cinématographiques qui se bat aujourd'hui pour faire un protocole contre la violence de genre. Petit à petit, nous nous mobilisons pour que les choses s'égalisent, pour que nous soyons un peu plus entendues.


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