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Enquête sur les relations interculturelles : le cas de Sarcelles

Les recherches  sur les relations interculturelles et plus largement les tensions entre communautés ou intergroup conflicts  (pour un bilan des travaux voir  Tropp 2012 ; Guimond et al., 2013 et 2003, Böhm et al., 2018,) sont encore peu développés en France. C’est cet angle mort que notre enquête propose  d’explorer. L’objectif était de mieux comprendre les relations entre populations de différentes origines, cultures,  ou religions : les perceptions croisées, positives ou négatives, les contacts et les liens interpersonnels, conflictuels ou solidaires, qui peuvent s’établir entre elles. Quel est le degré de repli communautaire, de concurrences identitaires ? Dans quelle mesure les identités minoritaires se combinent-elles avec des identités plus générales comme les identités territoriales, nationales ou de classe ? Cette question est d’autant plus importante que les dernières enquêtes sur ces questions datent d’une dizaine d’années désormais.

Nous nous intéressons également aux préjugés intergroupes, en particulier entre groupes minoritaires. Une origine immigrée, le fait d’appartenir à une minorité culturelle ou religieuse souvent victime de discriminations ou de stigmatisation, sont-ils des facteurs d’atténuation des préjugés racistes en général ou génèrent-ils d’autres préjugés ? Si préjugés il y a, obéissent-ils aux mêmes logiques explicatives que dans l’ensemble de la population ? L’ethnocentrisme, soit le fait de privilégier son groupe d’appartenance par rapport aux autres, est-il un trait spécifique à la population majoritaire ou bien se retrouve-t-il aussi parmi les groupes minoritaires et minorisés, et si oui sous quelle forme ? Enfin, le fait pour le groupe majoritaire de vivre au contact de la diversité vient-il atténuer ses propres préjugés envers les minorités ?

A ce jour on ne dispose d’aucune enquête permettant de tester un large éventail de groupes minoritaires. Les rares qui existent se focalisent sur la communauté musulmane et donc tendent à la singulariser (par exemple Galland et Muxel, 2018), sans pour autant être en mesure de la comparer aux autres minorités.

Une enquête de ce type ne pouvait se faire qu’au niveau local, en contexte, tant les relations intergroupes peuvent différer, selon la composition de la population, le type d’habitat, l’action des pouvoirs locaux. Le choix du terrain s’est porté sur la ville de Sarcelles, dans le Val d’Oise. La commune a connu de nombreuses vagues migratoires depuis les années 60 et la diversité culturelle et religieuse y est particulièrement forte. S’y côtoient juifs sépharades venus d’Algérie, Chaldéens (chrétiens d’Orient) de Turquie puis d’Irak, Maghrébins, Antillais, Pondichériens. C’est là que sont sorties de terre les premières barres d’HLM (grand ensemble Sarcelles Lochère) et la ville a donné son nom au malaise des banlieues (la sarcellite) . Elle a été, du temps des Trentes Glorieuses un modèle d’intégration réussie, un melting pot de cultures.  Depuis elle a grandi trop vite, chômage et précarité sociale se sont développés, et un processus de fragmentation communautaire et de ségrégation résidentielle semble s’être mis en place. La communauté juive, notamment celle regroupée au sein de la « Petite Jérusalem »,  a été victime de plusieurs agressions (attaque en 2012 d’une épicerie casher, violentes émeutes en juillet 2014 en marge d'une manifestation contre l'intervention militaire d'Israël à Gaza, agression d’une adolescente juive au cutter en janvier 2018). La ville apparaissait donc comme le cadre idéal pour une enquête sur la coexistence au quotidien, un miroir grossissant de la diversité. Notre enquête va aussi s’appuyer sur les travaux qui ont étudié les diasporas (notamment ceux de Hervé Vieillard Baron, de Laurence Poldselver, de Sylvie Strudel, Anne Benveniste, Colette Zytnickiqui).

L’enquête a été menée courant janvier 2019 par sondage téléphonique auprès d’un échantillon représentatif de la population habitant à Sarcelles (N=804), sur la base de quotas uniquement sociodémographiques (âge sexe diplôme), pour avoir un choix aléatoire du type de population résidente sans l’assigner à une communauté a priori (comme lorsqu’on travaille sur des échantillons construits sur les noms de famille par exemple).  Le questionnaire s’inspire des travaux existant sur les relations intergroupes (voir les travaux du psychologue Serge Guimond notamment) et sur les travaux récents sur les préjugés racistes en France et dans l’UE, reprenant à des fins de comparaison des questions posées régulièrement dans le sondage annuel sur le racisme fait pour la CNCDH (préjugés, et discrimination ressentie), ainsi que certaines de l’Enquête Sociale Européenne (ESS). Il explore plus particulièrement les trajets résidentiels et migratoires, la vie à Sarcelles, les croyances et les pratiques religieuses, les liens de sociabilité (amis, voisins, loisirs, sorties) ainsi que le niveau de précarité sociale (score EPICES).  Il comporte plusieurs expérimentations jouant sur la formulation des questions ainsi que des questions ouvertes sur les origines.

Le matériau recueilli est particulièrement riche.   Il confirme la diversité et la vitalité des pratiques religieuses à Sarcelles, tout en montrant une vision plus apaisée de la vie à Sarcelles et des relations intercommunautaires que celle donnée par les médias, souvent très négative. L’un de nos premiers résultats est que les personnes interrogées sont heureuses de vivre (et pour certaines d’avoir grandi) dans cette ville. Loin des clichés classiques, elles ne veulent pas déménager, elles considèrent que les voisins s’entendent bien et se sentent généralement en sécurité.

L'équipe

Nonna Mayer, Sciences Po, CEE

Vincent Tiberj, Sciences Po Bordeaux et chercheur associé à Sciences Po, CEE

Références

Böhm R., Rusch H., Baron J. (2019)., “The psychology of intergroup conflict: A review of theories and measures”, Journal of Economic Behavior and Organization (forthcoming) .

Vieillard Baron H. (1994a), « Qui habite Sarcelles » 

Vieillard Baron H. (1994b), « Sarcelles: l'enracinement des diasporas sépharade et chaldéenne », L'Espace géographique, 23(2),138-152.

Guimond S. et al. ( 2003),  “Does Social Dominance Generate Prejudice? Integrating Individual and Contextual Determinants of Intergroup Cognition”, Journal of Personality and Social Psychology, 84 (4), 697–721.  

Tropp L.R. ed.(2012), Understanding and Responding to Intergroup Conflict: Toward an Integrated Analysis, The Oxford Handbook of Intergroup Conflict.

Tebbakh S.(2007),  « Préoccupations et priorités politiques des Français d’origine maghrébine. Existe-t-il chez eux un discours spécifique ? », Migrations Société, 111-112 (3-4), 41-62.

Poldsever L. (1994), La communauté juive ou la singularité sarcelloise, Hommes & Migrations, 1181, 37-40.

Zytnicki C. (2005) « Du rapatrié au séfarade. L'intégration des Juifs d'Afrique du Nord dans la société française : essai de bilan »,  Archives Juives, 38(2), 84-102.

Benveniste A. ( 2002), Figures politiques de l’identité juive à Sarcelles, Paris, L’Harmattan. Guimond S. et al. (2013), “ Diversity Policy, Social Dominance, and Intergroup Relations: Predicting Prejudice in Changing Social and Political Contexts”, Journal of Personality and Social Psychology, 104 ( 6), 941–958.

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