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Des droits sociaux ambivalents

Paul-André Rosental, professeur des universités au Centre d’histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’Institut national d'études démographiques (INED), consacre ses recherches à l’histoire sociale et politique des populations, c'est-à-dire aux politiques, aux pratiques et aux savoirs relatifs à la démographie, à la santé et à la protection sociale.

Parmi les recherches conduites par Paul-André Rosental, celles qui portent sur les droits sociaux dont les migrants bénéficient (ou non) depuis plus d’un siècle éclairent bien des enjeux actuels dans ce domaine. Il constate notamment que les deux forces contraires que nous connaissons aujourd’hui – politiques d’intégration ou de rejet – se sont toujours mêlées, voire se sont définies les unes en fonction des autres.

La « tyrannie du national »

La gestion bilatérale de la migration, outil de réaction instantanée aux besoins de main-d’œuvre : un télégramme du ministère français de l’Agriculture à son homologue tchécoslovaque. Source : Prague, Arch. ministère de l’Agriculture, 83/2/540 (17 mai 1924).Paul-André Rosental pointe en particulier l’importance du tournant de la fin du XIXe siècle. Jusque là prise en charge à l’échelle des communes, l’assistance aux immigrants commence à passer sous le ressort des États. Il est courant de voir dans cette période l’avènement d’une « tyrannie du national » qui viendrait mettre fin à une ère de liberté de déplacements. Mais en réalité la transformation est d’une autre nature. La « nationalisation » de la protection donnée aux indigents, et le glissement d’un régime d’assistance discrétionnaire à un système centré sur la notion de droits sociaux, modifient la régulation de la mobilité internationale. Précédemment effectuée ex-post (les immigrants qui échouaient à s’intégrer économiquement étaient considérés comme expulsables), elle est désormais appliquée ex-ante : les contrôles aux frontières qui marquent l’entrée dans le régime contemporain deviennent prééminents. Du point de vue du droit social, cette sélection à l’entrée marque, pour les migrants ainsi acceptés,  le début d’« un acheminement vers l’assimilation plus complète des étrangers aux nationaux », comme l’écrit un juriste vers 1900.

Des progrès partagés

La « nébuleuse réformatrice » assure la diffusion transnationale de ce mécanisme au début du XXe siècle. Il ne s’agit pas seulement de doter les étrangers de droits, mais de se servir de l’immigration de travail pour étendre à tous les salariés la protection par les assurances sociales. Le Bureau International du Travail consacre cette politique dans l’entre-deux-guerres, jetant les bases des régimes de Sécurité sociale tels qu’on les connaît aujourd’hui.

Au gré des conjonctures

Ouvriers maghrébins manipulant un marteau piqueur sur un chantier de terrassement à Lyon, mai 1967

Les modalités de ce processus sont sans cesse saisies par les contextes économiques et politiques du moment. L’application du droit ne cesse de fluctuer dans le temps, en fonction notamment des besoins de main d’œuvre et de l’intensité des sentiments nationalistes. La protection que les pays d’origine s’efforçaient (ou non) d’assurer à leurs citoyens émigrés n’a également cessé de varier, selon des considérations liées à l’état du marché du travail mais aussi à leurs qualifications professionnelles et à leur appartenance à des groupes ethniques jugés plus ou moins désirables….

En dépit de ces évolutions erratiques au niveau national, le droit international visant la protection des migrants a tendu à se renforcer, en servant parfois, selon l’état des rapports de forces  locaux, de recours de dernière instance aux migrants. Les barrières mises à l’entrée du territoire sont ainsi à la fois l’expression de la « tyrannie » et de l’affaiblissement du national.


Bibliographie sélective

Toutes les publications de Paul-André Rosental sur les migrations