Accueil>SAFEDUC : une étude sur les violences sexistes et sexuelles et la vie étudiante à Sciences Po et à Université Paris Cité

22.03.2024

SAFEDUC : une étude sur les violences sexistes et sexuelles et la vie étudiante à Sciences Po et à Université Paris Cité

En 2023-24, dans le cadre d’une Initiative d’Excellence (Idex UP19) Sciences Po et Université Paris Cité s’associent pour mesurer la prévalence des violences sexistes et sexuelles dans la population étudiante. Ce projet de recherche SAFEDUC, piloté par le Programme d’études sur le genre (PRESAGE) de Sciences Po, vise à collecter des données quantitatives afin de cartographier les expériences des étudiantes et étudiants. Cette enquête en ligne anonyme se déroule dans les deux universités du 25 mars au 19 mai 2024 auprès de 82 000 étudiantes et étudiants. Dans un long entretien, Victor Coutolleau, chercheur postdoctrant, et Clara Le Gallic-Ach, assistante de recherche, reviennent sur la conception de cette enquête.

Comment en êtes-vous arrivés à travailler sur ce projet ?

Victor : Je m'appelle Victor et je suis sociologue. J'ai terminé mon doctorat il y a quelques mois. Ma thèse de doctorat portait sur les ruptures et sur la manière dont les individus gèrent les ruptures en fonction de leur genre. Lorsque vous travaillez sur ce sujet, vous rencontrez nécessairement des expériences de violences de genre. Après avoir terminé la rédaction de ma thèse, je suis tombé sur une offre d'emploi de post-doctorat sur le projet SAFEDUC. Comme j'avais l'habitude de travailler avec des chiffres et que la perspective d’approfondir mes compétences sur la production d’enquêtes m'intéressait, j'ai postulé.

Clara : Je m'appelle Clara et je viens de terminer mes études de master. J'ai obtenu un diplôme d’ingénieure en statistiques et un master en sociologie quantitative. Mon mémoire de master portait sur le mouvement #MeToo et les témoignages de violences sexistes et sexuelles exprimés en ligne. J'ai étudié ces témoignages à l'aide de méthodes quantitatives, dont des méthodes statistiques de traitement du langage. J’étais donc naturellement intéressée à l’idée d’approfondir mes compétences sociologiques et méthodologiques sur l’étude des violences. C’est aussi une super opportunité car je souhaite poursuivre en doctorat. J'étais également intéressée par la sociologie et l'approche quantitative de l'étude de la violence, car je pense poursuivre en doctorat. Ce projet était l’opportunité d'en apprendre davantage sur le sujet et les méthodes.

Parlons maintenant du questionnaire : à qui s'adresse-t-il ?

Victor : Cette recherche passe par un questionnaire en ligne, envoyé à l’ensemble des étudiantes et des étudiants des deux institutions : environ 82 000 élèves sont concernés au total. Dans un monde idéal, chaque étudiant et chaque étudiante de Sciences Po et d’UPCité, de la première année au doctorat, y répondrait. Le questionnaire s'adresse à tout le monde, même aux personnes qui n'ont jamais vécu de violences. Donc si vous tombez sur le questionnaire, s'il vous plaît, accordez-nous 10 minutes de votre temps, même si vous ne vous considérez pas comme la cible de l’enquête. En participant, vous pouvez aider votre université à mieux comprendre comment soutenir les personnes confrontées à des violences. L'un des objectifs du questionnaire est d'identifier le contexte dans lequel les violences émergent… savoir également où elles n'émergent pas et qui n'en est pas victime en fait partie intégrante !

Clara : Oui, l'idée est de parler plus largement de la vie étudiante. La violence fondée sur le genre peut faire partie de cette expérience pour certaines personnes, mais il y a d'autres sujets dont nous voulons parler. Par exemple, l'atmosphère quotidienne, comment les gens vivent leur vie étudiante, si elles et ils participent à des événements, où ils vivent, s'ils ont un emploi, … Bref, tout ce qui concerne leur expérience de vie est important pour nous permettre d'obtenir un portrait représentatif de la vie des étudiantes et des étudiants d’aujourd’hui. Nous avons également rencontré des élèves et des associations étudiantes sur différents campus, comme à Menton et à Paris. Elles nous ont aidé à élaborer un questionnaire cohérent. Si nous parvenons à obtenir un taux de réponse élevé au questionnaire, l'étude a le potentiel d'être fortement représentative.

Comment les personnes accéderont-elles au questionnaire ?

Clara : Il y a plusieurs options. Chaque élève recevra un e-mail de la part de l'équipe de recherche l'invitant à participer. L'invitation inclura des documents expliquant le projet, la protection des données et le contexte général. Dans l'e-mail, vous recevrez également un lien qui vous mènera au questionnaire. Pour l’ouvrir, vous devrez vous authentifier : cela garantit que seuls les étudiantes et étudiants des deux institutions participent, mais cela ne sera jamais utilisé pour identifier un participant. Une autre méthode sera de scanner les QR codes qui seront disposés sur des affiches sur vos campus et éventuellement sur les réseaux sociaux. Quand vous commencez à remplir le questionnaire, vous pouvez toujours l'interrompre et y revenir plus tard.

Racontez-nous comment vous avez conçu ce questionnaire.

Victor : Nous nous sommes inspirés d’études pré-existantes. Elles ne sont pas forcément très nombreuses, mais nous avons quand même plusieurs enquêtes de bonne qualité en France. Au niveau national, l'exemple le plus évident est l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) de l’Institut national d'études démographiques (Ined). L'enquête a eu lieu en 2015, donc les données commencent un peu à dater, mais nous avons également regardé du côté de l’université de Nantes qui a réalisé une enquête intéressante l'année dernière. Nous nous devons d’ailleurs de remercier l'équipe de Nantes, car elle nous a beaucoup aidés dans le processus de création de notre enquête ! Leur équipe a été très ouverte et disponible pour nous partager leur travail et leurs conseils, ça a été très précieux, et vraiment un superbe  exemple de coopération scientifique. Au niveau européen, je pense que nous devons évidemment citer le projet UniSAFE (EN), qui nous a aidés à resituer les questions partagées par toutes ces enquêtes. 

Quelles questions posez-vous dans le questionnaire ? À quoi doivent s'attendre les participantes et participants ?

Victor : Le sujet principal c’est le contexte dans lequel les violences sexistes et sexuelles se produisent, et quelles en sont les conséquences pour les personnes concernées. Nous avons adopté une définition très large de la violence : le questionnaire comprend des questions sur des expériences au niveau psychologique, au niveau physique, puis au niveau sexuel. Mais comme nous le mentionnions précédemment, il y a également des questions sur la vie étudiante en général. Après, il y a aussi des questions que nous ne posons pas : par exemple, nous ne nous concentrons pas sur le fait d’être témoin de violences perpétrées sur autrui, ou sur le fait d’avoir été soi-même auteur ou autrice de violences. Ces questions sont également importantes, mais chaque enquête doit faire des choix et notre objectif principal aujourd’hui est de comprendre le contexte d’émergence de la violence et ses conséquences. C’est une enquête de victimation.

Clara : Certaines enquêtes posent des questions à la fois sur la vie étudiante et la vie personnelle : pour savoir si les gens ont vécu des violences pendant leur enfance par exemple. Nous ne posons pas ce type de questions. Nous nous concentrons sur ce qui se passe en cours, sur les campus, mais aussi lors de soirées ou d'événements organisés par l'université ou par les étudiants. Et puis, nous nous concentrons spécifiquement sur les 12 derniers mois afin que les personnes puissent facilement se remémorer leurs souvenirs. Les conséquences des violences occupent une grande partie de l'enquête : nous voulons savoir si et comment ces expériences négatives affectent la vie académique, personnelle, sociale ou la santé des élèves.

Passons maintenant au sujet de la sécurité, car ces questions peuvent être sensibles. Comment vous assurez-vous que l'ensemble du processus de collecte et d'analyse des données est anonyme et sécurisé ?

Clara : Deux aspects concernant la sécurité : premièrement, il s'agit d'une enquête de recherche, nous ne prenons donc pas la place des missions “violences sexuelles et sexistes” des universités. Cependant, il est important que chaque participante et chaque participant se sente en sécurité en répondant au questionnaire. Par conséquent, tout au long du questionnaire nous avons ajouté un lien menant à un document où vous pouvez trouver des ressources utiles si vous avez des questions au sujet des violences sexistes et sexuelles ou si quelque chose vous met mal à l'aise. Il inclut également des liens permettant de faire des signalements à votre établissement si vous le souhaitez. Nous avons aussi inclus des ressources externes, des contacts nationaux, des contacts anonymes ou des contacts fournissant de l’aide psychologique ou juridique. Deuxièmement, comme nous le disions précédemment, nous demandons aux personnes de s'authentifier pour sécuriser le questionnaire et garantir la qualité de l'échantillon. Cet outil d'authentification ne permettra pas à l'équipe d'identifier les individus, nous ne saurons pas “qui a répondu quoi”. C’est uniquement utilisé pour s'assurer que seuls les élèves de Sciences Po et d'Université Paris Cité peuvent participer. Tout le processus est supervisé par les Délégués à la protection des données et les équipes juridiques, afin de garantir que l'anonymat est assuré et en conformité avec la loi.

Merci pour cette clarification. En ce qui concerne le calendrier, pouvez-vous nous expliquer comment se déroule cette enquête ? Quand aurons-nous les résultats ?

Victor : L'enquête sera déployée avant la fin du semestre de printemps. Nous aurons ensuite le temps pendant l'été et le début de l'année universitaire pour travailler sur les résultats. Dans tous les cas, nous publierons les premiers résultats au début de l'année 2025.

Pour finir, que tirez-vous de cette expérience de recherche, à votre niveau ? 

Clara : J’ai beaucoup appris de ce projet. Au départ, j'étais plutôt intéressée par la construction d'une enquête car pendant mes études j'avais l'habitude d'étudier des résultats, et souvent, on ne connaît pas le contexte exact de production des données. Donc c'est intéressant d'être impliquée dans tout le processus, de vraiment réfléchir à l'objectif poursuivi, au choix des questions et, finalement, à l’étude des résultats. Et puis comme nous travaillons avec deux grandes institutions, nous travaillons avec un grand comité scientifique, des délégués à la protection des données, des équipes juridiques, etc. Nous rencontrons beaucoup de personnes des équipes de recherche et administratives et nous apprenons beaucoup sur la manière de mener une recherche de manière éthique au sein d’une population étudiante. Ayant étudié dans une école d'ingénieurs, j'apprécie également de travailler avec des sociologues et des économistes. Ce projet me nourrit de connaissances sur la manière de produire des données et de mener des recherches dans la “vraie vie”.

Victor : Je vais répéter exactement ce qu’a dit Clara. Avant ce projet, je travaillais sur des données qui “existaient déjà”. Comme elle vient de l’expliquer, nous avons travaillé sur le questionnaire pendant quelques mois mais nous avons aussi dû nous pencher sur la logistique de l’enquête. Il y a toutes ces questions auxquelles vous devez répondre et auxquelles vous ne pensez pas lorsque vous travaillez sur une base de données produite par d'autres personnes. Par exemple : oui, nous allons contacter les étudiantes et étudiants par e-mail, mais comment envoyez-vous un e-mail à 82 000 personnes ? Ou : oui, utilisons un système d'authentification, mais comment s’assurer que ce système d'authentification est conforme au RGPD ? Ce n'est pas à d'autres personnes de résoudre ces questions, c’est à vous de trouver la solution. Mais après, c'est une grande satisfaction quand vous trouvez ! Il y a ce dicton, je crois que c’est en sciences militaires, selon lequel “les amateurs parlent de tactique tandis que les professionnels parlent de logistique”. Là, je dirais peut-être que “les amateurs étudient les statistiques et les professionnels étudient la logistique”. En bref, nous apprenons à être des professionnels dans ce projet.

Interview réalisée par Eva Oliva.

Légende de l'image de couverture : Clara Le Gallic-Ach et Victor Coutolleau (crédits : Eva Oliva / Sciences Po)

Nos derniers podcasts