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24.04.2024

"Il faut prévenir la violence"

En 2023-24, dans le cadre d’une Initiative d’Excellence (Idex UP19) Sciences Po et Université Paris Cité s’associent pour mesurer la prévalence des violences sexistes et sexuelles dans la population étudiante. Ce projet de recherche SAFEDUC, piloté par le Programme d’études sur le genre (PRESAGE) de Sciences Po, vise à collecter des données quantitatives afin de cartographier les expériences des étudiantes et étudiants. Cette enquête en ligne anonyme se déroule dans les deux universités du 25 mars au 19 mai 2024 auprès de 82 000 étudiantes et étudiants. Dans cette interview, Joëlle Kivits, professeure de sociologie et de santé publique, titulaire de la Chaire "Genre et prévention en santé" et vice-présidente déléguée Égalité, diversité, inclusion à l'Université Paris Cité revient sur ce projet. 

Pourriez-vous vous présenter ? 

Je m'appelle Joëlle Kivits, et je suis enseignante, sociologue et chercheuse en santé publique à l'Université Paris Cité (UPCité), où je travaille depuis 2021. Je travaille également dans une unité d’Évaluation et recherche en services et politiques en santé pour les populations vulnérables (ECEVE), et je suis membre de la Cité du Genre. Mon domaine de recherche principal est la promotion de la santé et la prévention. Je travaille principalement sur le développement et l'évaluation d'interventions complexes en santé. Lorsque je suis arrivée à  l'Université Paris Cité en 2021, j'ai intégré la question du genre dans la prévention en santé. Depuis l'année dernière, je suis vice-présidente déléguée Égalité, diversité, inclusion. Avant de prendre ce poste, la violence ne faisait pas partie de mes sujets de recherche. Mais comme l'une de mes premières tâches fût la mise en place d'un dispositif de signalement des situations de violence, de harcèlement et de discrimination, j’ai dès lors naturellement ajouté cet axe à mes recherches.

Ce dispositif de signalement fait partie des exigences de votre plan égalité ?

En fait, il s’agit de deux choses distinctes. D'une part, il y a le plan d'action relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes que nous sommes en train de mettre à jour en ce moment à l'Université Paris Cité, car nous devons en lancer un nouveau pour l'année prochaine. Le dispositif de signalement est l'un des quatre axes du plan d'égalité. D'autre part, le fait est qu'il s'agit également d'une obligation réglementaire depuis 2019 : selon la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique nous devons disposer de ce type de dispositif. Toutes les institutions publiques doivent avoir un dispositif de ce type. Et à UPCité, nous avons décidé de créer un dispositif spécial en charge des violences, des discriminations et du harcèlement, à la fois pour les étudiants et le personnel.

Pourquoi, selon vous, le projet SAFEDUC est-il important ?

Ce que je voudrais vraiment promouvoir, c'est la lutte contre les violences par la prévention. C'est ce sur quoi je veux me concentrer, à la fois en tant que vice-présidente et aussi en tant que chercheuse. On m'a demandé de participer au projet SAFEDUC en raison de ma fonction de vice-présidente déléguée Égalité, diversité, inclusion, afin de pouvoir faire le lien entre le projet et la direction de l'université. Ce projet est important car il constitue la première étape d'un processus très complexe. Grâce à SAFEDUC, nous serons en mesure de décrire quels types de violence, notamment sexistes ou sexuelles, se produisent dans nos universités. Et à partir de là nous pourrons développer des actions préventives pour lutter contre ces violences. En fait, à l'université, nous nous occupons des victimes. Nous pouvons orienter les victimes vers des services appropriés : médecins, psychologues, juristes, etc. Mais nous ne sommes pas encore assez forts pour proposer un plan de prévention contre ces violences. Et pour moi, c'est le rôle du projet SAFEDUC. Bien sûr, nous menons des actions de sensibilisation et d'éducation, mais cela ne repose pas toujours sur des faits. Nous avons besoin d'informations plus spécifiques sur les contextes, les trajectoires des victimes, les lieux où les violences émergent, les personnes impliquées dans les relations, etc. Cette enquête pourra décrire cela, et à partir de ce moment-là nous serons plus forts pour développer des actions préventives.

Merci. Il semble effectivement important de mettre l'accent sur la prévention…

Oui, nous savons que subir des violences peut avoir un impact significatif sur la santé. Je pense qu’il faut promouvoir la santé et promouvoir la prévention avant que des violences ne se produisent. Nous parlons souvent de bien-être et des bonnes façons de manger, de bouger, et du fait de ne pas fumer, ce genre de chose. Je suis persuadée que la lutte contre les violences devrait faire partie intégrante de ce type de prévention globale en matière de santé.

Vous avez mentionné l’impact des violences sur la santé. Qu’en est-il en contexte universitaire ?

Cela a bien sûr un impact sur les victimes dans divers domaines de leur vie : un impact direct sur leur santé, mais aussi leurs études. Je pense aussi qu'il y a une dimension individuelle et collective. Les violences peuvent affecter les relations entre les étudiantes et étudiants, les enseignants ou les départements. Les violences sexistes et sexuelles sont présentes partout, mais si l'environnement académique peut montrer l’exemple, montrer comment il traite ce type de violence, ce sera un objectif majeur. Et je pense qu’en tant que professionnelles et chercheuses, nous disposons des outils pour réaliser cet objectif. 

Outre l'enseignement et la recherche, c'est également le rôle d’une université d'être au service de la société et d'être exemplaire, n’est-ce pas ?

Oui, nous formons les futurs professionnels et futures professionnelles. Donc, si nous sommes capables de faire face aux violences, de les prévenir, d'en parler, de prendre des mesures appropriées, nous pouvons imaginer que ces futurs professionnels – victimes ou non – auront alors ce type de connaissance et de compréhension. Nous disposons de ressources pour traiter le problème. Et je pense que nous devons offrir ce type de soutien aux étudiantes, étudiants et aussi aux enseignantes et enseignants, en fait à toute la communauté.

Vous êtes à la fois chercheuse, et aussi vice-présidente déléguée : comment alliez-vous ces activités ?

Effectivement, je suis chercheuse. J’ai donc soutenu SAFEDUC dès ses débuts. Grâce à mon autre activité, je suis en mesure de parler au président de l'université et de faire avancer le projet, d’expliquer le fait qu'il nous apportera des données nouvelles dont nous avons besoin. Il y a un autre aspect, complémentaire : je pourrai plaider en faveur de mesures de suivi. Nous pouvons créer des politiques basées sur des données, mais nous devons également évaluer ce que nous mettrons en œuvre. Et ça n'est pas fait systématiquement. Nous mettons en place des mesures, mais comment fonctionnent-elles ? Sont-elles efficaces ? Quels en sont les impacts ? Nous ne le savons pas. Et je dois dire que les méthodes de recherche et les outils issus de la recherche en santé publique peuvent être vraiment utiles pour évaluer ce type d'intervention.

Qu'apprenez-vous de ce projet ? Y a-t-il quelque chose qui vous a surprise ?

J’ai été surprise par tous les obstacles réglementaires auxquels nous avons dû faire face, et je sais que Victor et Clara l'ont déjà mentionné dans leur interview. Ce projet implique de nombreux acteurs  – le cabinet du Président de l’Université, le service juridique, le service de communication, etc.  – car le sujet des violences sexuelles dans la population étudiante nécessite beaucoup d'attention. Pour moi, ce n'est pas juste un projet de recherche. C'est plus que ça, parce que ça aura un impact sur tout le monde, pas seulement les étudiantes et les étudiants qui répondront à l'enquête, mais dans toute la communauté. Nous verrons également comment les élèves et les enseignantes et enseignants réagiront à l’annonce des résultats. Ce projet montre également combien de personnes doivent être impliquées lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi difficile que celui-ci, on ne peut pas passer à côté de sa complexité, et nécessite une approche attentive et sensible.

Interview réalisée par Eva Oliva.

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Légende de l'image de couverture : Joëlle Kivits, chercheuse à l'Université Paris Cité (crédits : JK)

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