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26.03.2024

SAFEDUC : en quoi consiste ce projet de recherche ?

En 2023-24, dans le cadre d’une Initiative d’Excellence (Idex UP19) Sciences Po et Université Paris Cité s’associent pour mesurer la prévalence des violences sexistes et sexuelles dans la population étudiante. Ce projet de recherche SAFEDUC, piloté par le Programme d’études sur le genre (PRESAGE) de Sciences Po, vise à collecter des données quantitatives afin de cartographier les expériences des étudiantes et étudiants. Cette enquête en ligne anonyme se déroule dans les deux universités du 25 mars au 19 mai 2024 auprès de 82 000 étudiantes et étudiants. Interview avec les deux directrices scientifiques de ce projet : Hélène Périvier et Virginie Bonnot.

Pourriez-vous vous présenter ? En quoi consistent vos travaux, et quels sont leurs liens avec les violences sexistes et sexuelles ?

Hélène Périvier

Hélène Périvier : Je suis économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et la directrice et cofondatrice du Programme d'études sur le genre de Sciences Po. Mes recherches se concentrent sur l'évaluation des politiques familiales, sociales et fiscales, ainsi que sur l'analyse des inégalités de genre sur le marché du travail, au sein de la famille et dans l'enseignement supérieur. Le sujet des violences sexistes et sexuelles est donc une nouvelle perspective dans mes recherches, mais y est lié, car le projet SAFEDUC est essentiel pour analyser les inégalités de genre dans l'enseignement supérieur.

 

Virginie Bonnot
Virginie Bonnot

Virginie Bonnot : Je suis professeure de psychologie sociale au Laboratoire de Psychologie Sociale de l'Université Paris Cité, et directrice de la Cité du Genre, un institut interdisciplinaire de recherche et d'enseignement en études sur le genre. En tant que directrice de la Cité du Genre, je suis co-responsable du projet SAFEDUC avec Hélène. Mes recherches ne se concentrent pas directement sur les violences fondées sur le genre, mais plutôt sur les idéologies justifiant le système de genre, comme les stéréotypes de genre et le sexisme, qui sont à l'origine des discriminations et des violences. J'enseigne également un cours axé en partie sur l'objectification sexuelle et les mythes légitimant la violence.

Décrivez-nous le projet SAFEDUC, quel est son objectif ?

Hélène Périvier : SAFEDUC vise à créer des connaissances sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) vécues par les étudiantes et les étudiants. Ce projet va produire une mesure de ces violences et aidera à analyser le contexte dans lequel elles émergent : quelles formes de violence ? Où et quand se produisent-elles ? Qui est impliqué ? Quelles sont les vulnérabilités associées ? Observe-t-on une diminution des VSS lorsque la proportion d'étudiantes augmente ? Est-ce différent dans une grande université comme Université Paris Cité et dans une plus petite, comme Sciences Po ?

In fine, l'objectif est aussi d’inciter d'autres établissements d'enseignement supérieur en France à mener ce type d'enquête, en s'appuyant sur notre expérience. Dans les secteurs où les étudiantes sont sous-représentées, le nombre de victimes est mécaniquement plus faible, car la plupart du temps ce sont les femmes qui subissent les VSS. C'est la raison pour laquelle ce phénomène est moins visible dans les universités où les étudiantes sont sous-représentées par rapport aux endroits où elles sont sur-représentées. Dans le même temps, nous pouvons nous attendre à ce que la prévalence de ces violences diminue ou que leur forme change, car aujourd'hui les femmes représentent une proportion plus importante du corps étudiant. Notre enquête apportera de nouvelles données pour répondre à ces questions.

Comment l'idée de ce projet est-elle née ?

Hélène Périvier : En 2020, j'ai participé à un groupe de travail présidé par la sociologue Danièle Hervieu-Léger dédié à une analyse des VSS à Sciences Po. J'avais été frappée par le manque de connaissances tangibles sur lesquelles nous pouvions nous appuyer. La première étape pour concevoir des politiques efficaces de lutte contre ces violences est d'avoir une image précise de ce que les élèves expérimentent pendant leurs études. En tant que chercheuse, j'ai recommandé au groupe d'encourager la mise en place de nouvelles recherches sur ce sujet. À la suite de ce rapport, et avec le soutien de mes collègues du Programme d'études sur le genre de Sciences Po, j'ai rédigé une proposition de recherche pour mener une enquête dans plusieurs établissements d'enseignement supérieur. Finalement, le financement est venu de l'Initiative d'Excellence (IdEx) avec Université Paris Cité en tant que partenaire, ce qui est un excellent point de départ !

Virginie Bonnot : Je voudrais juste ajouter que le sujet est très important et des études similaires menées dans d'autres universités ont révélé des taux importants de violences sexistes et sexuelles, suffisamment pour que nous soyons préoccupées, à la fois en tant que chercheuses et enseignantes, mais aussi en tant que citoyennes. En tant que membre du Conseil de direction de la Cité du Genre, Hélène a évoqué l'idée du projet et d'associer nos institutions pour enrichir la recherche en intégrant également une dimension comparative.

Le projet n'est pas seulement inter-institutions, il est aussi interdisciplinaire : pouvez-vous nous en dire plus ?

Hélène Périvier : Comme pour de nombreux autres sujets, nous avons besoin d’une variété de compétences et d'approches pour produire des connaissances pertinentes. Ce projet nécessite des compétences statistiques pour garantir la représentativité de l'enquête et l'analyse des résultats. Il s'appuie également sur un cadre sociologique pour formuler les questions et s'assurer que les répondantes et répondants comprennent précisément chaque forme de violence. Nous avons également dû concevoir un protocole concernant la protection des données et l'anonymat. Enfin, la manière dont nous diffusons l'enquête est essentielle pour maximiser le taux de réponse. L'équipe SAFEDUC rassemble toutes ces compétences avec des chercheuses et des chercheurs interagissant à chaque étape du projet.

Virginie Bonnot : Le projet implique effectivement une grande variété de disciplines, tant à la tête du projet qu'au niveau de son Comité scientifique. Il est vraiment enrichissant de pouvoir travailler au sein d'une équipe interdisciplinaire, avec des origines méthodologiques diverses. Mais je pense que nos approches étaient également très similaires dans le cadre de ce projet : la complémentarité, plutôt que les différences, émergerait probablement de manière plus évidente si nous devions étudier et mesurer, disons, les corrélations de cette violence du point de vue de nos disciplines respectives.

Quel est l'objectif de ce projet de recherche à long terme ? 

Virginie Bonnot : Je dirais que c'est seulement le premier pas vers une meilleure reconnaissance et une meilleure compréhension du problème, et aussi vers un rôle croissant de l'institution dans son éradication. Nous ne nous arrêtons pas là : nous espérons que nos institutions accorderont des moyens suffisants aux missions égalité, diversité et inclusion, qui seront probablement de plus en plus sollicités. Il serait également judicieux de répéter cette enquête régulièrement afin de pouvoir suivre les progrès réalisés à cet égard. De plus, nous avions la contrainte de produire un questionnaire qui ne soit pas trop long. En conséquence, de nombreuses questions que nous aurions pu poser ont été laissées de côté, telles que la connaissance des systèmes de signalement au niveau de l'université, par exemple. Comme je l'ai dit en répondant à la question précédente, à l'avenir, nous pourrions étudier plus en profondeur les conséquences psychologiques des violences sexistes et sexuelles. Par exemple, le sentiment d'appartenance à l'université, les symptômes dépressifs, ou la prévalence des croyances qui légitiment de telles violences. Il serait également important d'étudier la prévalence des violences sexistes et sexuelles parmi les chercheuses et chercheurs ainsi que le personnel administratif et de recherche.

Hélène Périvier : Tout à fait. Et la toute première contribution, de mon point de vue, est de soutenir Sciences Po et Université Paris Cité dans la conception de politiques appropriées et adaptées pour lutter contre les VSS, qui puissent prendre en compte la spécificité de chaque contexte dans lequel ces violences émergent. La deuxième contribution est de sensibiliser le secteur de l'enseignement supérieur afin que toutes les institutions mènent une enquête similaire - écoles d'ingénieurs, écoles de commerce, universités, etc. C'est la seule façon de mesurer et de combattre ces violences à l'échelle nationale. Il leur sera plus facile de mettre en œuvre une telle recherche sur la base de notre expérience, et celle de Nantes Université. La troisième contribution sera, comme l'a rappelé Virginie, de faire tourner cette enquête régulièrement pour évaluer l'amélioration et l'efficacité des politiques institutionnelles. Nous espérons que cette enquête mettra en lumière les violences affectant la population étudiante, mais aussi la société dans son ensemble.

Interview réalisée par Eva Oliva.

Légende de l'image de couverture : Le jardin du 27 rue Saint-Guillaume, sur le campus de Paris. (crédits : Caroline Maufroid / Sciences Po)

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