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29.03.2022

Traductions politiques du principe d’égalité

Dans le cadre du Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques de Sciences Po, trois élèves de Master ont analysé les programmes des 12 personnes candidates à l’élection présidentielle de 2022 accompagnés par Réjane Sénac, directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) et membre du Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre de Sciences Po. Entretien croisé.

Pourquoi ce rapport ?

Louise Besnard : L’élection présidentielle est un moment important pour l’expression des revendications et des attentes de la société civile. Elle permet de confronter ces attentes aux propositions politiques. Ces cinq dernières années, les débats féministes ont été assez médiatisés et nous voulions voir si cela avait pu influencer les attentes et les engagements des personnes candidates. Nous voulions également mettre en lumière les sujets d’égalité femmes-hommes, qui bien que présents dans la plupart des programmes, ont été peu abordés pendant la campagne. Il s’agissait aussi d’expliquer ces différentes propositions de manière à les rendre plus accessibles et plus compréhensibles par tous et toutes.

Réjane Sénac : Dans un contexte de défiance vis-à-vis de la démocratie représentative et des corps intermédiaires — notamment des partis politiques — l’élection présidentielle est un moment particulier dans la mesure où elle crée un espace de discussion sur les priorités et les choix politiques impliquant différents types d’actrices et d’acteurs, au-delà du champ partisan. Cet espace peut être considéré comme cathartique dans la mesure où il permet l’expression de revendications et de sujets, pas nécessairement consensuellement portés par les partis politiques. Il ne s’agit donc pas seulement d’un moment de confrontation entre les revendications des “luttes d’en bas” et les programmes des candidates et candidats à la présidentielle, mais plus largement d’un espace donnant une visibilité à des sujets et controverses politiques. Cet espace permet à la fois de mettre en évidence les sujets incontournables par rapport auxquels les candidates et candidats sont quasiment contraints de se positionner, et les enjeux, les thèmes revendiqués par quelques unes et quelques uns et qui ne font pas consensus, voire sont sources de divergences.

S’interroger sur la place de l’égalité femmes-hommes dans la campagne présidentielle de 2022, c’est ainsi poser la question des traductions politiques — en termes de conception du juste et de mesures politiques — d’un principe revendiqué comme consensuel, mais porté de manière polysémique, voire divergente.

En analysant la place de cette question et la manière dont elle est abordée dans les programmes des candidates et candidats, ce rapport permet ainsi de comprendre la manière dont elle s’inscrit dans une approche politique complexe et plurielle de l’égalité.

Avez-vous trouvé beaucoup de propositions pour l’égalité des femmes et des hommes dans les programmes ?

Coline Baralon :  Sur l’ensemble des programmes, un certain nombre de propositions intéressantes sont formulées, couvrant une vraie diversité de sujets. Au cas par cas en revanche on ne peut pas en dire autant : près de la moitié des personnes candidates n’ont pas considéré nécessaire de faire des sujets d’égalité femmes-hommes une thématique à part entière, certains partis ont choisi de publier des programmes tout simplement “aveugles au genre”. La journée du 8 mars a été l’occasion pour elles et eux de se confronter à ces questions dans les médias, et parfois de combler certains angles-morts de leurs programmes par la suite.

De quels sujets les partis s’emparent-ils le plus et pourquoi ?

Mickael Raggi : La grande majorité des partis se positionnent principalement sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), la revalorisation des emplois à prédominance féminine et le fonctionnement du système de retraite. Cela s’explique essentiellement par le fait que ces thématiques ont été au cœur du débat public et médiatique lors du quinquennat 2017-2022. On constate néanmoins que même si les candidates et candidats s’emparent de ces sujets, le degré d’ambition des propositions formulées varient nettement d’un programme à l’autre.

Est-ce que cela répond aux attentes des organisations féministes ?

Louise Besnard : De manière générale, les propositions des candidates et des candidats ne répondent pas réellement aux attentes des organisations féministes. Certains sujets sont même complètement absents des programmes. C’est le cas de la lutte contre le sexisme dans les médias. Il existe cependant des thématiques sur lesquelles les candidates et candidats se rapprochent de ces demandes. Il s’agit principalement des enjeux économiques d’égalité comme l’égalité salariale, la revalorisation des branches professionnelles majoritaires féminisées ou les retraites. L’articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale est également un sujet très abordé et dont les propositions sont chiffrables (pour le nombre de places en crèche notamment). Cela permet de voir à quel point l’envergure des propositions des candidates et candidats peut varier.

Est-ce qu’il y a encore une division gauche-droite sur les sujets d’égalité femmes-hommes ?

Coline Baralon : Certaines thématiques ne parviennent pas encore à transcender le clivage gauche-droite. Nous avons constaté d’une part, que la gauche et l’extrême-gauche portent ensemble les mesures les plus ambitieuses liées aux droits reproductifs et sexuels et à l’émancipation des minorités. La droite quant à elle s’empare davantage des sujets traditionnels et formule des propositions dans une approche familialiste de l’égalité femmes-hommes. Enfin, l’extrême-droite tente de s’aligner tout en mettant les droits des femmes au service d’un agenda nationaliste.

Réjane Sénac, en quoi les résultats de cette analyse font-ils écho à vos recherches ?

Réjane Sénac : Du droit à la contraception en 1965 à la parité en 1995 en passant par l’avortement en 1974, l’élection présidentielle au suffrage universel direct fut le théâtre de débats sur les déclinaisons politiques du principe, constitutionnel depuis 1946, d’égalité de droits entre les sexes. L’analyse des enjeux soulevés par l’élection présidentielle de 2012 montre que cette élection se caractérise à la fois par l’intensité de la médiatisation sur ce sujet et par la transversalité des thèmes abordés (égalité salariale, lutte contre les violences, parité…).
Dix ans après, l’analyse des enjeux discutés dans le cadre de la campagne présidentielle de 2022 souligne que la lutte contre les violences et les inégalités professionnelles demeurent des sujets consensuels. La question de l’articulation/imbrication des inégalités au coeur des mobilisations féministes contemporaines, notamment dans le cadre de débats sur l’intersectionnalité, l’écoféminisme ou le port du voile, n’est elle pas ou peu abordée lors de cette campagne.

Comme lors des élections présidentielles précédentes, au-delà d’une proclamation apparemment consensuelle, le positionnement par rapport au sens de l’égalité femmes-hommes et aux moyens pour y parvenir participe de divergences politiques. Les programmes des partis politiques de gauche, en particulier ceux d’EELV, de la LFI, du PCF ou du NPA, revendiquent un modèle de transformation par une démarche transversale aux secteurs de politique publique reposant sur  l’identification des systèmes et des structures à l’origine des inégalités. De manière symétrique, les programmes des partis de droite ont pour point commun de se concentrer sur certains enjeux, prioritairement la lutte contre les violences, les inégalités professionnelles et l’accompagnement/valorisation de la famille. L’extrême droite continue, elle, de se caractériser par une instrumentalisation de l’égalité femmes-hommes à des fins nationalistes et racistes en la présentant comme une valeur française à défendre face à des groupes, en l'occurrence prioritairement les musulmans, jugés incompatibles avec son application.
Ce rapport précis est très utile et éclairant pour comprendre la complexité du rapport à l’égalité femmes-hommes dans cette campagne. Il fait plus largement écho à mes recherches en soulignant la nécessité de l’aborder en lien avec le rapport aux principes de liberté et de fraternité.

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