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03.06.2025

Un semestre aux côtés de Sylvain Prudhomme

Au printemps 2025, Sylvain Prudhomme était le treizième titulaire de la chaire d’Écriture de Sciences Po. Dans ce cadre, il a notamment dispensé deux ateliers d’écriture à la Maison des Arts et de la Création au printemps 2025. L’écrivain et deux étudiantes reviennent ici sur cette expérience pédagogique.

Daphné Moreau, étudiante en première année du master Droit économique à l'École de Droit de Sciences Po, a suivi l’atelier Filatures, enquêtes, terrains : écrire à partir du réel tandis que Margarita Kaloudi-Isari, étudiante en première année du master New Luxuary and Art de Vivre à l'École du Management et de l'Impact de Sciences Po, a suivi l’atelier intitulé Écrire à partir de photographies.

 Pouvez-vous vous nous dire ce qui vous a motivées à vous inscrire à un atelier d’écriture ? En aviez-vous déjà suivi au cours de votre scolarité ? 

   Projets finaux des étudiants des ateliers de Sylvain Prudhomme (crédit photo : Soline Sénépart)

Margarita Kaloudi-Isari : Je trouvais l'atelier Écrire à partir de photographies particulièrement intéressant car je suis photographe. J'aimais la possibilité d'améliorer mon niveau de français tout en suivant un atelier. J'ai ainsi pu développer mon expression en français, qui est ma troisième langue sur les cinq langues que je parle, et en même temps, j'ai pu utiliser mes photos.

Daphné Moreau : Dès que j'ai eu l'occasion de rejoindre des ateliers organisés par Sciences Po, je l'ai saisie. Étudiant actuellement le droit économique, j'avais pour but de me rapprocher du milieu culturel, et en particulier la littérature. À Reims, j'avais déjà suivi un cours sur l'écriture avec Monsieur Hugo Pradelle, Écrire "des vies", qui était critique dans le bon sens du terme. À Sciences Po, on court après le temps et on est pris au cœur d'un foisonnement académique. Je trouvais important de me donner un cadre pour écrire, de prendre le temps quelques heures par semaine, c'est pour cette raison que j'ai choisi de m'inscrire à l'atelier Filatures, enquêtes, terrains : écrire à partir du réel. Il est vrai également qu'on est habitué à un registre assez académique et normé ; je trouvais donc important de revenir à une certaine liberté, plus créative. J'écris souvent des critiques cinématographiques pour un média en ligne, mais cela reste assez codé donc je trouvais important de pouvoir bénéficier d'un coup de pouce vers l'écriture de création.

 Vous êtes écrivain, et avez par ailleurs une formation d’enseignant, puisque vous êtes agrégé de lettres modernes. De quelle façon ces deux activités entrent-elles selon vous en résonance ? 

Sylvain Prudhomme : Il y avait une grande curiosité de voir ce que les étudiants écrivent. J’avais envie de vous découvrir, de vous rencontrer. Les étudiants viennent de cursus variés au sein de Sciences Po et j'étais surpris de les voir sur ce terrain créatif. Il y a des textes magnifiques, splendides. Pour moi, c'est une situation stimulante car cela pose la question : pourquoi est-ce qu'on écrit ? Comment peut-on s'y prendre en peu de temps ? Cela surgit parfois à l'échelle d'un paragraphe... Moi, je ne saurais pas forcément faire aussi direct, aussi fort. On est sans cesse interrogé soi-même dans sa pratique, dans l'habitude d'écriture qu'on a. Tout est recommencé à neuf. Ce qui est très beau aussi, c'est voir des regards qui sont au début de la vie et comment ils se portent sur la société. C'est très riche et stimulant.

 Comment se déroule une séance de cours ? 

   Sylvain Prudhomme, Daphné Moreau et Margarita Kaloudi-Isari

Margarita Kaloudi-Isari : Dans notre groupe, cela dépendait. Une séance pouvait être dédiée à notre écriture, à nos projets, ou bien s’organisait autour de fragments de livres sur la photographie choisis par Sylvain Prudhomme. Chaque séance était unique.

Daphné Moreau : Dans mon groupe, on pouvait aussi partir d'un corpus de textes. On piochait dans différentes inspirations : Georges Perec, Svetlana Alexievitch avec La fin de l'homme rouge... On partait de ce matériau de la langue, puis on faisait des propositions d'écriture ou on consacrait du temps à nos projets finaux et on les prolongeait.

Margarita Kaloudi-Isari : Exactement. On avait des propositions d'écriture : l'autobiographie, le projet final ou autre chose. Et, à l'intérieur de ces propositions, on parlait de la photo, comment écrire à partir de photos, ou comment naît la photo après l'écriture.

Sylvain Prudhomme : Pour ma part, je m’adaptais sans cesse à l’avancée des projets et à ce que je sentais du groupe. C’est toujours un compromis entre le déroulé qu’on a prévu et les besoins qui surgissent chemin faisant, les urgences qu’on devine, les imprévus qui se présentent. J'avais le projet que chacun et chacune aille au bout d'un projet personnel sur la durée de l'atelier, en trois mois. Il fallait donc gérer cette ambition. À partir d'un moment, j'ai consacré deux séances d'affilée à l'écriture du projet. Je faisais alors un suivi individuel tandis que les autres avançaient. Vous avez une scolarité très dense et peu de temps à consacrer à l'écriture en parallèle. Les trois heures d'atelier devaient donc aussi être utilisées pour écrire le projet.

 Est-ce qu'il y avait des lignes directrices au projet final ? 

Sylvain Prudhomme : Suivre le thème général de l'atelier mais pas seulement. Au début, on a fait des tours de table pour que chacun et chacune puisse formuler ses idées de projet. On réagissait alors collectivement : "Ça, ça nous intéresse. Vas-y, fonce !". Moi aussi, je donnais mon avis. Je tenais à ce que chacun travaille sur un sujet qu'il a vraiment choisi. Et il y a eu toutes sortes de projet. Sur le Crous, sur un quartier d'enfance, sur un déménagement, sur le tennis... À chaque fois, ce sont des bouts de réel, à soi.
Daphné a suivi une Chambre de comparution immédiate. On était ainsi plongés dans le fonctionnement de la justice de tous les jours. Tandis que Margarita a construit son projet à partir de ses photos des Sporades et de Santorin. Le texte répond de façon contemplative, et pas du tout descriptive, à ces photos de paysages qu'on pourrait presque dire "éternels".

 Pensez-vous que l’écriture puisse s’apprendre et si oui, de quelle façon ? 

Sylvain Prudhomme : Ce qui est premier dans l'écriture, c'est le désir. Il faut que ça nous démange un peu. On peut gagner plein de temps sur le chemin de l'écriture, qu'on continue à parcourir toute la vie. Je pense qu'on apprend énormément en lisant d'autres textes, en regardant comment ils sont faits. On gagne aussi beaucoup du retour des autres. On apprend à enlever, à ne pas tout dire, à faire confiance aux lecteurs.

 Quel exercice ou quelle activité vous a le plus marqué ? Pourquoi ? 

   Sylvain Prudhomme, Daphné Moreau et Margarita Kaloudi-Isari

Margarita Kaloudi-Isari : Le projet final. C'est à ce projet-là qu'on a dédié le plus de temps. C'est une exploration qui nous permet de nous exprimer sur nos photos. C'est un voyage d'écriture à partir d'une de nos créations. Quand tu prends quelque chose en photo, tu ne penses pas que tu peux écrire à partir de ça. C'est un instantané, une urgence. Je trouve que c'était génial de pouvoir utiliser ces instantanés ensuite dans l'atelier pour m'exprimer et me découvrir moi-même. C'était un voyage à travers mes pensées en quelque sorte.

Daphné Moreau : Ce qui m'a marquée, c'est lorsque nous avons fait une proposition d'écriture à partir du Parti pris des choses de Francis Ponge. C'était un texte qu'on avait vu au lycée et, depuis ce temps, je n'avais jamais osé écrire ainsi moi-même. Le poète part d'objets banals et il en tire tout le potentiel symbolique et poétique. Dans l'atelier, nous avons essayé de faire pareil et cela a donné lieu à des textes très marrants sur différents objets : balle de tennis, couteau suisse...

Sylvain Prudhomme : Je me souviens que tu as fait ton texte sur le couteau suisse. Tu as fait le procès verbal d'un objet présenté au cours d'un procès.

 Quels liens faites-vous entre la formation académique que vous suivez à Sciences Po, tournée vers les sciences humaines et sociales, et la littérature (et les arts en général) ? 

Margarita Kaloudi-Isari : Pour moi, il n'y a pas forcément de lien. Mon master se dédie à l'industrie du luxe et au marketing. C'est évidemment créatif mais ce n'est pas de l'écriture ou de la photo. C'est ce que j'aime à Sciences Po, on peut développer tous les aspects de notre personnalité. Et puis finalement, nos perceptions culturelles et artistiques peuvent aussi intervenir dans notre travail.

Daphné Moreau : Savoir rédiger est une compétence très importante dans les sciences humaines et sociales. En droit, l'importance des mots et du langage est très présente. On nous le rappelle souvent. À l'écrit, avec le choix du bon mot, ou à l'oral, avec l'aspect rhétorique de la langue. Il faut savoir manier les mots et leur donner un sens précis. Je pense que c'est essentiel également de garder une dichotomie entre la rédaction dédiée au milieu professionnel et celle qui part du cœur, où on se fait plaisir.

 Enfin, qu’est-ce que ce cours vous a apporté et quelles compétences vous a-t-il permis de développer ? En quoi pensez-vous qu’il sera une expérience enrichissante pour la suite ? 

   Projets finaux des étudiants des ateliers de Sylvain Prudhomme

Margarita Kaloudi-Isari : J'aimerais qu'il y ait une possibilité de faire une exposition de nos œuvres et de nos textes dans un espace de Sciences Po. Cela permettrait de montrer l'interconnexion entre l'écriture et la photographie.

Daphné Moreau : Ce que j'ai beaucoup aimé travailler, c'est la spontanéité. J'aime anticiper et dans l'atelier, on recevait des propositions d'écriture et on avait dix minutes pour rédiger. Cela me stressait au début et je ne m'en estimais pas capable. Finalement, cela a donné lieu à des écrits dont j'étais non seulement plutôt satisfaite mais aussi qui étaient différents de ce que j'aurais pu faire si j'avais sur-réfléchi l'écrit. Quel que soit notre domaine, on sera toujours amenés à travailler dans l'urgence. C'est donc important de travailler cette spontanéité.

 Que retenez-vous de cette expérience d’enseignement à Sciences Po ? Que souhaitez-vous emporter avec vous ? 

Sylvain Prudhomme : Les textes des étudiants, tous ces textes ! Il y a plein de petits livres qui sont nés des ateliers. Pour moi, ce sont des trésors. Ça raconte ces semaines-là avec vous mieux que tout. Je vais les garder, c'est très précieux. Chacun a mis énormément de soi dans le projet. Je suis assez impressionné par ces textes, par l'acuité de regard sur le monde, par l'aisance pour le dire. Je suis touché par l'empathie et l'humour qui y sont présents, un certain mordant aussi. Le tout a une belle tenue. C'était une expérience magnifique.


La Chaire d’Écriture bénéficie du soutien de la Fondation Simone et Cino Del Duca, de Karen et Michel Reybier et de Céline Fribourg. 
Avec le soutien de Chanel et le19M, grands partenaires de la Maison des Arts & de la Création.

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