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27.05.2025

La narration transformante du cinéma : un semestre avec la réalisatrice Mona Achache

Aurore Papegay / Sciences Po   

Réalisatrice et scénariste, Mona Achache est l’invitée de la Chaire Cinéma de la Maison des Arts & de la Création pour le printemps 2025. Dans ce cadre, elle vient animer un cycle de deux masterclasses avec les étudiantes et étudiants de Sciences Po.

L'objectif du cycle est de s'initier au processus créatif à la fois personnel et expérimental de Mona Achache, à la croisée de la fiction et du documentaire, de la mémoire et de l'archive, de l'intime et du collectif. Comment Mona Achache élabore-t-elle des dispositifs originaux et singuliers pour raconter une histoire mais aussi la montrer par le cinéma ? De quelle façon les archives, mais aussi la littérature, entrent-elles dans le processus de création ? Et quelles sont les étapes pour passer du matériel et du réel à la fiction ? Telles sont notamment les questions abordées lors de ces deux rencontres.

Servane Jospin, Maïa Koubi et Ana Sanchez-Geny, étudiantes à l’École d’Affaires publiques et ambassadrices de la Maison des Arts & de la Création, ont participé à ces échanges. Elles reviennent ici sur leur expérience, partageant leurs observations, leurs réflexions, les idées et enjeux qu’ils ont soulevés ensemble.

27 mars 2025 : un échange avec Mona Achache autour de son film Little Girl Blue

C’est à la mythique Librairie 7L achetée par Karl Lagerfeld en 1999 que se retrouvent 25 étudiants de Sciences Po pour questionner Mona Achache sur son film Little Girl Blue
En 2016, Carole Achache se suicide et laisse dernière elle 26 caisses d’archives (carnets, enregistrements vocaux, photos). Sa fille, Mona, se lance dans une enquête pour comprendre ce geste. Elle retrace l’histoire abusive de la jeune Carole avec Jean Genet, sous la complicité de sa mère Monique et d’une partie de leur entourage. Persuadée que sa mère est morte de ce tabou, Mona Achache décide alors de la faire revivre et de lui donner la parole dans un film dont elle est le sujet et qui vient lui offrir la reconnaissance dont elle a manqué. 

Ce qui m'intéressait chez Marion Cotillard, c'était moins sa notoriété que sa capacité à jouer ma mère” : ce n’est pas la célébrité de Marion Cotillard qui a motivé Mona Achache, mais sa ressemblance avec sa mère. Elle envoie alors le scénario à l’actrice ainsi que des vidéos de sa mère. Marion Cotillard accepte, et travaille seule pour reproduire l’intonation et les mimiques de son personnage. Mona Achache est elle-même surprise par la transformation, tant la colère de l’actrice ressemble exactement à celle de sa mère. Les huit jours de tournage constituent alors une expérience déroutante et singulière pour la réalisatrice, qui voit sa mère ressuscitée. 

À la croisée du documentaire et de la fiction, Little Girl Blue est un objet cinématographique étrange et hybride, qui s’assume comme processus à part entière. Ainsi, si le scénario était très écrit, reproduisant les textes de Carole Achache sans remaniement, la difficulté pour Marion Cotillard de les jouer n’avait pas été imaginée ni anticipée : ce sont alors ces difficultés et ces obstacles que Mona Achache a choisi de conserver au montage. Le travail de post-production a permis un mélange des voix, qui constitue également un mélange de temps : celle, au passé, de Carole Achache, via les archives sonores, et celle, au présent, de Marion Cotillard.

Grâce à ce film réparateur lui ayant permis de réhabiliter la mémoire de sa mère, Mona Achache a pu transmettre cette histoire sans la subir, en rompant le cycle de malédiction des femmes de sa lignée. Ses filles ont pu savoir d’où elles venaient, sans porter le poids de cet héritage. 

S’il part d’une histoire intime et personnel, ce film constitue, beaucoup plus largement, un témoignage sur le conditionnement de la femme, que Mona Achache donne à voir en entrelaçant images personnelles et archives collectives. Bien que peu de partenaires aient, au départ, cru au projet, le succès a permis à Mona Achache de ressentir une forme d’accomplissement.

Jeudi 17 avril 2025 : rencontre entre Mona Achache et Lola Lafon au croisement de la littérature, du cinéma et de la mémoire

   Aurore Papegay / Sciences Po

Dans l’intimité d’un échange privilégié avec un groupe d’étudiants, la réalisatrice Mona Achache et l’écrivaine Lola Lafon sont revenues sur leur collaboration autour du film Quand tu écouteras cette chanson, inspiré du livre éponyme de Lola Lafon. Ce moment de partage a permis d’explorer les coulisses d’une œuvre singulière, où se mêlent mémoire, création et transmission.

Quand tu écouteras cette chanson est né de la nuit que Lola Lafon a passée seule dans l’appartement-musée d’Anne Frank, à Amsterdam — une expérience bouleversante qu’elle a retranscrite dans son roman. Le film de Mona Achache prolonge cette démarche : mêlant images d’archives, narration, silences et confidences, il tisse un récit sensible à la frontière du documentaire, de l’essai et de l’intime. Il ne s’agit pas de raconter une nouvelle fois l’histoire d’Anne Frank, mais de lui redonner une place, hors des fictions convenues, à travers le regard et les émotions de Lola Lafon. À ce sujet s’ajoutent aussi les propres réflexions de Lola Lafon et ses souvenirs intimes.

La rencontre à Sciences Po a permis de comprendre la genèse de ce projet : tout commence par une invitation. À l'occasion des 80 ans de la mort d'Anne Franck, Mona Achache propose une adaptation documentaire du livre de Lola Lafon, avec la collaboration de l’écrivaine. Si Lola Lafon se questionne au départ, très vite, une dynamique fluide s’installe, fondée sur la confiance et un enjeu partagé : « On avait de forts enjeux, on avait entre nous Anne Frank », confie Mona Achache. Plus qu’une adaptation, le film devient une extension poétique du livre, un espace de résonance.

Le silence y joue un rôle central. Véritable outil de narration, il exprime ce que les mots taisent, et permet d’approcher, avec pudeur, l’intimité du deuil et de la mémoire. Pour Mona Achache, il s’agissait avant tout de « donner accès aux émotions de Lola », cette matière fragile et essentielle qui irrigue le film.

Au fil de la discussion, les deux artistes ont partagé leur réflexion sur le lien humain comme moteur de création. « Le lien humain est parfois bien plus que toute méthode », souligne Mona Achache. Ni le livre ni le film n’ont pour ambition de restituer la vie d’Anne Frank. Mais en retraçant le geste d’écriture, en donnant voix à l’émotion, ils permettent de réinscrire Anne Frank dans notre présent. « On ne lui a pas rendu la vie, mais on lui rend une place. »

Cette rencontre a offert un éclairage rare sur un double processus de création, entre fidélité à l’Histoire et liberté artistique, et sur la manière dont on peut, aujourd’hui, écrire et filmer en dialogue avec une mémoire à la fois collective et profondément personnelle.

Revoir l'échange avec Mona Achache et Lola Lafon

Mathieu Amalric : dernière séance d'un homme de qualité

Après Claire Denis en 2023, Mathieu Amalric a été le deuxième titulaire de la Chaire Cinéma de la Maison des Arts et de la Création en 2024. Retour d'expérience sur sa conférence conclusive modérée par Jean-Michel Frodon, par trois ambassadrices de la Maison des Arts et de la Création, Camille Delmont, Capucine Lemauf et Ambre Mollat du Jourdain, étudiantes toutes trois à l'École d'Affaires publiques, spécialité culture. 

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