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14.04.2025

Guérir, réparer, (re)créer du commun : l'art de Gaëlle Choisne

Après la crise de la relation, le « commun de l’humain » est la thématique proposée pour la deuxième édition du cycle de conférences « Dans l'œil des artistes » organisé par la Maison des Arts & de la Création, et modéré par Jean de Loisy, commissaire d’expositions et par Frédéric Gros, philosophe, professeur des Universités à Sciences Po et chercheur au CEVIPOF. Après l’artiste SMITH, la plasticienne, sculptrice et photographe française, Gaëlle Choisne, a été leur seconde invitée.

Retour d’expérience par Emma Vérot, étudiante à l’École des Affaires Internationales et ambassadrice de la Maison des Arts & de la Création. 

L’art comme espace de réconciliation de l’intime et du collectif

Née d’un père breton et d’une mère haïtienne, Gaëlle Choisne investit l’art pour explorer son histoire personnelle et embrasser son métissage. Influencée par son parcours en design et architecture, puis par sa formation aux Beaux-Arts de Lyon, elle s’évertue à croiser les techniques, les médiums, les matériaux pour traduire son identité qu’elle envisage tant comme une contradiction intérieure qu’une hybridation plastique. L’artiste qualifie sa pratique de l’art comme une  « rencontre avec elle-même ». Ce processus de création l'amène à établir des liens entre ce qui semble a priori distinct et dont nous faisons des catégories figées, tout autant que binaires : le chaos et le désordre, l’intime et le collectif, le bien et le mal, le matériel et le spirituel. Comme une auto-anthropologie, Gaëlle réconcilie sa « petite histoire avec la grande histoire » afin de créer un nouvel espace pour concevoir des dispositifs collectifs qui questionnent nos perceptions de la réalité. 

Hybridation et spiritualité pour faire du commun

Dans cette optique, Choisne choisit d’utiliser des matériaux considérés comme peu nobles auxquels elle redonne vie. Le bronze se mêle à la porcelaine, les matériaux morts trouvent une nouvelle vie, et les objets délaissés se transforment en objets énergétiques. Pour Gaelle Choisne, ce processus rappelle la créolisation d'Édouard Glissant, où différentes cultures et éléments se mélangent pour créer quelque chose de nouveau, sans jamais perdre leur essence. Ses œuvres, telles que « Temple of Love », invitent d'autres artistes à co-créer, formant ainsi des espaces de visibilité et d'échange où différents mondes se font face.  Elle confère également une dimension spirituelle à l’objet d’art, souvent présenté sous la forme d'un autel, et qu’elle envisage de façon dynamique, quasi-vibratoire, comme émetteur d’énergie. L’artiste entretient ainsi une relation mystique et charnelle avec son travail, qu’elle perçoit comme une organisation de son énergie, et son art comme un  « chaos organisé  ». A cet égard, Gaëlle Choisne insiste tout particulièrement sur le rôle des émotions et la manière de les accueillir pour les transformer, la colère ayant été au cœur de son parcours et de son processus artistique. 

L’art pour guérir le collectif : prendre soin de l’autre

Extraordinaire médium permettant de faire droit à ses émotions, l’activité artistique est aussi, pour Gaëlle Choisne, un extraordinaire lien à ceux et à ce qui nous entourent. La notion de « care » constitue ainsi un point névralgique de son travail. Sa démarche artistique vise en effet à inciter les humains à prendre soin des uns et des autres, mais aussi des choses inanimées. Ainsi l’artiste met-elle en place des œuvres activables par les salariés des musées ou par le public, à qui incombe la possibilité d’agir par et avec l’art, en même temps que la responsabilité de prendre soin de ses œuvres. L’artiste se désigne elle-même comme une « soignante énergétique ». De cette manière, elle défie les conventions muséales en créant des micro-événements autour de ses œuvres, qui défont la distance avec le spectateur, instaurant une nouvelle dynamique de « care » dans l'art contemporain.

Une responsabilité nouvelle, la responsabilité collective

Dans ses œuvres, Gaëlle Choisne aborde des thèmes comme la colonisation, la résistance, et la responsabilité individuelle et collective dans la société contemporaine. En tant qu’artiste, elle endosse cette responsabilité « collective ». Sa réflexion sur le « commun de l'humain » se traduit par un espace d'interconnexion, où chaque être a  sa place, sa valeur et son rôle à jouer dans l'équilibre cosmique. 
L’artiste convoque ainsi la notion stoïcienne de « sympathie universelle » pour explorer les liens invisibles qui unissent les êtres et les choses. Dans cette perspective, l'univers est un réseau d'interdépendances où chacun est responsable de l'autre, car l'autre est une partie de soi. Son art propose une synergie où les éléments coexistent et fonctionnent ensemble. Il s’agit de faire fî de l’étrangeté de l’autre pour se reconnaître en lui, en dégager du commun et créer de la fluidité. 

L’art de Gaëlle Choisne est une invitation à « être dans une empathie, au-delà de la sympathie, se mettre à la place de son cœur. Au-delà de comprendre, c’est vibrer ». L’art se révèle alors être un espace sacré où il est possible de rendre compte de la polarité du monde pour créer un commun, une réunion où chacun et chacune peut se reconnaître et guérir. 

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