Migrations et Multiculturalisme
Les migrations de masse qui se sont produites depuis les années 1950 ont profondément transformé les structures démographiques, sociales, politiques et économiques de nombreuses sociétés dans le monde, et singulièrement des sociétés européennes. L’installation sur la longue durée des immigrés, la montée en visibilité des « secondes générations », la mise à l’agenda du multiculturalisme et l’existence de minorités ethniques et/ou raciales redéfinissent les processus, voire les modèles, d’intégration. Ces évolutions se superposent sur des divisions plus anciennes héritées de la dislocation des empires multinationaux, de la colonisation-décolonisation ou de la traite esclavagiste. Ces situations de diversité interne interviennent alors que les Etats-Nations entrent dans une nouvelle séquence de refondation mais aussi de crainte de dilution. Elles interrogent ainsi les dynamiques de transformation de l’État.
La gestion politique de la diversité suit des régimes variés selon les configurations historiques des sociétés et leurs synthèses politiques. Mais si les idiosyncrasies nationales restent fortes, la circulation des modèles, le rôle d’homogénéisation des instances supra-nationales, les transpositions d’expériences d’une société à l’autre conduisent à une forme d’unification (certes limitée) des répertoires d’action et des référentiels, en miroir d’une recherche de plus en plus comparatiste. La dimension « européenne » n’est donc pas à négliger. Les ajustements ne vont pas sans débats intenses sur le futur des sociétés multiculturelles, aussi bien dans les arènes politiques que dans les sciences sociales. Et le lien entre politics et policy mérite d’être examiné tout comme l’usage des débats savants par les politiques. Ces processus politiques ont lieu en effet sur fond de révision des théories et concepts dédiés à l’étude des migrations, de l’intégration et des discriminations.
Une littérature importante s’est attachée à étudier les politiques d’immigration, d’une part, et les conditions d’arrivée et d’intégration des immigrés ainsi que le rôle de la société d’accueil d’autre part. Les concepts de transnationalisme, l’attention portée aux migrations dites de retour, aux conditions d’émigration et aux transformations que les migrations produisent dans les pays de départ, l’étude des interactions entre politiques de contrôle et carrières migratoires illustrent le renouvellement et le dépassement des problématiques de l’immigration. Les théories de l’assimilation et de l’intégration qui ont été formulées en Europe comme en Amérique du nord sont contredites et reformulées pour fournir une intelligibilité des évolutions en cours. Alors que l’approche multiculturaliste fait l’objet d’attaques convergentes aussi bien dans les sphères politiques qu’académiques, les politiques de l’égalité sont remises en question par la persistance des inégalités sociales, sexuées et raciales — leur légitimité — faisant encore l’objet de débats intenses.
Les chantiers autour des questions de migration et de multiculturalisme sont ainsi nombreux. C’est l’ambition de ce séminaire que d’en sérier quelques uns autour de thématiques disputées. Il s’agit également de décloisonner un champ qui a tendance comme d’autres à se sous-spécialiser. Le thème du séminaire fait écho aux axes qui structurent la recherche au Centre d’études européennes et de politique comparée. Par ailleurs, cette initiative s’appuie sur une masse critique de chercheurs et de doctorants au sein du CEE et, plus avant, dans les centres de recherche de Sciences Po pour discuter des recherches menées dans d’autres cadres. En effet, ce séminaire reflète certaines des caractéristiques fondatrices du CEE : forte interdisciplinarité, ouverture aux approches comparées et multi-niveaux, pluralisme méthodologique, implication des doctorants, et dialogue engagé sur des questions qui préoccupent les décideurs publics.