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30.03.2023

PCC, Secret Power : quand la sociologie accouche d’une série sur HBO

“Comment devenir la plus grande organisation criminelle d’Amérique latine en trois décennies ?” Cela pourrait être le sous-titre de la série documentaire PCC, Secret Power, adaptation diffusée sur HBOMax du livre Irmãos de Gabriel Feltran, directeur de recherche CNRS au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE). Croisant les codes des séries avec une recherche sociologique rigoureuse, elle relate l’ascension du Primeiro Comando da Capital (PCC), né il y a trente ans dans les prisons de l’État de São Paulo (Brésil). Retour sur la projection-débat à Sciences Po et sur la genèse de ce projet. 

(Ré)écouter la présentation du documentaire et le débat qui a suivi sa projection, organisée par le CEE et l’École urbaine (en anglais). 

Aujourd’hui présent sur tous les continents, le PCC devient un sujet de préoccupation pour l’Europe, ainsi que l’a souligné Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, lors de la discussion : “La majorité de la cocaïne saisie dans les ports européens vient du Brésil, un phénomène relativement nouveau [...]. Il convient donc de réfléchir à l'influence exercée sur l'Europe par les activités du PCC.” 

Federico Varese, professeur des universités et membre du CEE, a précisé que d’autres pays ont vu émerger des groupes criminels en prison, faisant le parallèle avec ses propres recherches : “J’étudie la Russie qui a aussi un système pénitentiaire très développé, où les prisonniers sont aussi déplacés d’un établissement à un autre. [...] L’organisation criminelle que j’étudie, vory-v-zakone, a émergé en prison. [Comme ceux du PCC], ses membres partagent des rituels, des commandements, se protègent les uns les autres.”

Deborah Alimi, qui dirige le programme “drogues, sciences sociales et sociétés”, a aussi dressé des parallèles avec le Mexique et la Colombie où des groupes criminels fournissent des services publics dans certaines communautés, et a souligné l’importance pour les États de prendre en compte cet aspect en concevant des politiques publiques intersectorielles. 

Dans une interview, nous revenons avec Gabriel Feltran sur la genèse de ce documentaire qui contribue à des sciences sociales explicatives, et notamment à montrer comment des milieux criminels peuvent créer leurs propres institutions, ainsi que l’ont souligné en introduction Tommaso Vitale, doyen de l’Ecole urbaine et membre du CEE, et Florence Faucher, directrice du CEE. 

Comment est né ce projet de série documentaire ?

Le projet est parti du producteur, Gustavo Mello, qui m’a appelé le jour du lancement de mon livre Irmãos, avant même de l'avoir lu, L’approche l’intéressait, notamment le fait de ne pas traiter le sujet de manière sensationnaliste. C’est assez rare de rencontrer un producteur qui comprenne la recherche, j’ai donc immédiatement adhéré au projet.  La semaine suivante nous avons commencé à chercher un réalisateur.  Nous souhaitions quelqu’un qui connaisse la situation de façon personnelle. N’ayant pas trouvé de réalisateur qui ait cette expérience, nous avons approché Joel Zito Araújo qui ne connaissait pas le PCC, mais avait une expérience du racisme et de la ségrégation. Il a lu le livre et une semaine plus tard, nous avions la structure du documentaire, que nous avons suivie jusqu’à sa sortie, quatre ans plus tard. Rejoints par une autre productrice, Adriana Gaspar, nous avons participé tous les quatre au processus de réalisation : travail sur le scénario, négociations avec les plateformes, tournage. J’ai commenté toutes les versions du scénario, j’étais en contact avec la personne responsable des recherches de témoins et d’archives, et j’ai pu assister à certains entretiens. Pendant la période de production, qui a duré environ un an, j’y ai passé près de la moitié de mon temps. En tant que chercheur, cela a été une expérience très intéressante, notamment de réfléchir à la différence de forme entre le livre et la série documentaire. 

Justement, comment êtes-vous passé d’un livre de recherche à une série grand public ? Quels ont été les défis ?

Le livre raconte l’histoire du PCC d’une manière sociologique, c’est-à-dire que la narration est régulièrement accompagnée d’éclairages scientifiques. La première chose que le réalisateur m’a dit, c’est que nous ne pouvions pas reproduire cette démarche si nous souhaitions toucher des plateformes comme HBO ou Netflix. La sociologie servirait de cadre mais les personnages et le scénario devaient faire ce récit. Donc pas de sociologue à l’écran, et pas non plus de journalistes ou de policiers. Il fallait se démarquer des narratifs de ces derniers qui saturaient l’espace public alors que l’originalité de mon ouvrage était de présenter d’autres points de vue : ceux d’habitants des favelas, de leaders du PCC, et des rappeurs. Le réalisateur a tenu à y ajouter une quatrième ligne narrative, avec des acteurs de l’État. Cette confrontation des discours des anonymes et de celui des représentants de l'État (très dichotomique : les bons contre les méchants) a fait apparaître un paradoxe : le PCC est criminel mais en même temps il fait baisser le nombre d’homicides sur le terrain et apporte une protection aux habitants des favelas. 

Parmi les protagonistes du documentaire, certains sont mes interlocuteurs de longue date, d’autres ont été rencontrés en préparant  le documentaire. En tant que chercheur, lorsqu’on fait des entretiens, des observations, qu'on suit les parcours de personnes inscrites dans la criminalité, on leur garantit l’anonymat. Pour le documentaire, nous voulions uniquement des personnes parlant à visage découvert : d’un certain côté, cela a compliqué la recherche d’interlocuteurs. Mais d’un autre côté, quand on a expliqué que c’était pour HBO, nos interlocuteurs  comprenaient que cela allait déboucher sur  une production de haut niveau, que leur entourage allait pouvoir regarder.

Quel accueil a reçu la série ?

Pendant deux semaines, elle  a été la plus regardée de la plateforme HBOmax Brésil (deuxième en Amérique latine), tous genres confondus, et elle est restée longtemps dans le top 10. Au-delà de ce succès commercial, elle a été à l’origine d’un vrai débat public. Le PCC y avait toujours été dépeint comme une organisation très violente, marginale et secrète. Le documentaire a suscité beaucoup de réactions, sur internet et lors de projections-débats. Les personnes des favelas ont pour la première fois vu porté à l’écran ce qu’elles vivaient. Et les personnes qui ne connaissaient pas cette réalité ont été touchées par la force du narratif. J’ai été invité pour participer à des débats par la police, dans des favelas. Mon travail m’avait déjà ouvert des portes auprès des autorités, la série m’en a ouvert d’autres. Elle a aussi suscité la mise en relation entre la police fédérale et les académiques. Cela a même débouché sur un programme de master, destiné à la police fédérale, sur le crime organisé et les marchés illégaux.  

Sciences Po a récemment organisé une conférence avec Roberto Saviano, journaliste spécialiste du crime organisé et auteur du best seller mondial "Gommora". Quelles différences et complémentarités voyez-vous entre un travail d'enquête journalistique comme le sien et une recherche ethnographique comme la vôtre ? 

Ce qui intéresse les journalistes en général, ce sont les faits, les événements. Tandis que mon travail, en tant que sociologue, porte essentiellement sur les processus sociaux : le premier épisode porte sur une situation de “guerre” et comment celle-ci a pris fin, le deuxième et le troisième traitent la construction de la légitimité du PCC, d’abord dans les prisons puis à l’extérieur, et le quatrième aborde l’expansion internationale du PCC. Cette construction nous a permis de lier des événements, les personnages, les différentes lignes narratives, qui permettent de comprendre l’organisation du PCC et de ses fonctions sociales. Nous aurions pu faire une histoire chronologique à base de faits d’actualité. Mais cela aurait conduit à mettre en avant – une fois de plus – l’aspect spectaculaire du phénomène. Or nous voulions faire quelque chose de différent et montrer que le PCC, de manière paradoxale, réduit la violence dans les quartiers où il est implanté en y imposant un système de justice informel, mais très légitime parmi les prisonniers et les habitants des favelas. À chaque conflit, un débat intermédié par les frères du PCC afin de régler la situation de la manière la plus juste. Si l’on ne montre que des faits de violence, on rate cet aspect. 

Même si Roberto Saviano et moi avons des compréhensions similaires, nos  rôles, nos objectifs et nos méthodes diffèrent. 

En termes de méthodes, en recherche académique, on n’utilise pas l’infiltration ou la caméra cachée. C’est beaucoup plus long : il faut convaincre les personnes que l’on est fiable, revenir plusieurs fois. Je pourrais travailler avec un enregistreur caché et obtenir des informations plus rapidement mais cela ne m’intéresse pas. Ce que je souhaite, c’est développer des relations de longue durée, éviter d’être menacé et que mes interlocuteurs se reconnaissent dans le travail que je fais ; je souhaite exposer un maximum de points de vue et notamment comment les différentes parties prenantes justifient leurs actions. En termes de rôles et d’objectifs, nous partageons celui de contribuer au débat public, mais pas de la même manière. Les journalistes dénoncent une situation pour pousser les pouvoirs publics à agir. En tant que sociologues, nous essayons de comprendre comment on en est arrivé là : c’est complémentaire et cela éclaire aussi l’action publique.

Propos recueillis par Véronique Etienne, chargée de médiation scientifique au CEE

Pour en savoir plus : 

Légende de l'image de couverture : Affiche de la série PPC Secret Power (crédits : DR)