Transition écologique, justice et inégalités sociales

Transition écologique, justice et inégalités sociales

Le parcours pionnier de James K. Boyce, co-lauréat du Prix GiRA
  • GiRA with James K. Boyce (image B. Corminboeuf, Sciences Po - CRIS)GiRA with James K. Boyce (image B. Corminboeuf, Sciences Po - CRIS)

Dans le cadre de la première remise du Global Inequality Research Award (GiRA), James K. Boyce, professeur émérite en économie à l’Université du Massachusetts à Amherst, était l'invité de Sciences Po le 5 avril. L’occasion de revenir sur sa carrière, ses travaux pionniers dans la compréhension des liens entre dégradations environnementales et inégalités sociales et ses outils conceptuels pour entrer en action.

James Boyce est co-lauréat de ce prix porté par le CRIS et le World Inequality Lab, aux-côtés de Bina Agarwal, Professeure en développement économique et environnement à l'Université de Manchester qui sera à son tour invitée début 2025.

Pendant plus de deux heures, l'économiste est revenu sur ses intuitions puis les nombreux travaux qu'il a fallu mener pour démontrer le lien entre les problématiques environnementales - pollutions, changement climatique, disparition de la biodiversité par exemple - et celles des inégalités sociales. Ce sont les populations pauvres, vulnérables, sous-représentées politiquement qui en sont les premières victimes et supportent les coûts des atteintes environnementales. Ses travaux se basent sur des indicateurs de mesure des revenus et des richesses, croisés avec les origines raciales et ethniques de populations géolocalisées. Diverses modalités comme le genre, le taux d'alphabétisation et de scolarisation, des données de santé ou fiscales y sont ajoutées.  

Le chercheur est le témoin et l'acteur d'une lente évolution des mentalités, que ce soit au niveau scientifique (les économistes se sont longtemps polarisés sur la croissance, et les environnementalistes sur la relation homme / nature), politique ou sociétal. Dans les années 80-90, désintérêt et scepticisme dominent, avant la production dans les années 2000 de données officielles sur les dégradations environnementales, et l'identification des zones à risque pour les habitants (après la catastrophe chimique de Bhopal notamment).

James K. Boyce revient sur son parcours institutionnel de chercheur : seul étudiant en 1983 d'un nouveau cours sur l'économie de l'environnement pendant son doctorat à Oxford ; un de ses premiers articles marquant, Inequality as a Cause of Environmental Degradation écrit en 1994 après une bourse Fulbright au Costa-Rica ; son cours d'économie politique de l'environnement lorsqu'il est nommé à l'Université du Massachussets ou les actions de protection de l'environnement au bénéfice de populations locales, menées par la Fondation Ford. 

Tout au long de sa présentation l'orateur illustre ses propos d'exemples qui nous permettent de saisir les enjeux : les 4 millions de femmes décédées chaque année par la pollution de leurs foyers (données OMS) ; les flux d'exportation de déchets des pays riches vers les pays pauvres ; le dilemme du consommateur qui privilégie les produits à prix bas nocifs pour l'environnement ; le programme d'immersion de blocs de béton au large de l'Inde pour empêcher les chalutiers d'épuiser les ressources halieutiques et créer un nouveau éco-système ;  la réforme agraire en Asie de l'Est qui permet de redistribuer des terres confisquées par une oligarchie foncière.
James K. Boyce regrette toutefois de ne pas avoir toujours pu convaincre des pratiques nocives des firmes agro-alimentaires, semenciers ou fabricants de produits phyto-sanitaires et des tenants d'une agriculture productiviste favorisant l'érosion génétique. 

Au milieu des années 2000, les travaux de James K. Boyce peuvent être appréhendés sous le concept de justice environnementale. Il suggère un droit pour une égalité d'accès à un environnement propre et sain, un respect des ressources naturelles et une répartition équitable des dividendes tirés de leur exploitation.
La source d'inspiration est Peter Barnes, ancien journaliste puis entrepreneur dans l’énergie solaire, promoteur du Sky Trust, un dispositif calqué sur le Fonds permanent de l’Alaska. Ce dispositif bénéficie depuis les années 80 à tous les habitants de cet État. Entre 1000 et 2000 $ annuels sont versés en échange de l'expoitation des forages pétroliers car les ressources naturelles de l’Alaska appartiennent à tous les Alaskiens, notamment les Amérindiens.
Le Sky Trust est baptisé “Dividendes Carbone”. Il est basé sur des permis à polluer mis aux enchères permettant de faire entrer ce carbone fossile dans l’économie et de redistribuer les revenus de ces permis aux habitants. Des économistes ont validé l’impact distributif, très progressif, du dispositif, en Chine puis aux États-Unis. Certes, les producteurs répercutent le coût des taxes sur les prix de vente des produits, mais ce sont les gros consommateurs, ceux à forte empreinte carbone qui sont exposés. Les petits consommateurs - notamment en raison de leur faible pouvoir d'achat - sont bénéficiaires de la redistribution des revenus.
Deux projets de loi sont déposés au Congrès, à Washington en 2009 pour mettre en place un système d'échange de quotas d'émission (un marché carbone, comme en Europe), plus un dispositif de fléchage de 25% des recettes vers les énergies propres. Ils n’ont hélas jamais abouti, notamment du fait de la puissance des entreprises utilisant des combustibles fossiles et de la frilosité des politiques.

Un autre concept est développé par James K. Boyce, celui de la propriété universelle. La biosphère peut être considérée comme un bien appartenant à tous. En rationnant, limitant son usage, on peut en tirer des revenus répartis entre tous. Le système financier lui-même pourrait générer des revenus sur les mouvements de capitaux et avoir des effets incitatifs pour limiter l’utilisation des ressources rares. La propriété universelle s’adresse aux individus, pas aux états, elle est inaliénable.

En conclusion, James K. Boyce a consacré toute sa carrière scientifique à répondre aux 2 grands défis de notre époque : inverser, sinon arrêter, la dégradation de l’environnement, notamment du climat et réduire les inégalités.
Il affirme avec conviction qu’il est possible de combiner les deux puisque les deux vont de pair.

En complément

3 questions à James K. Boyce (en anglais, 3 min.)

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