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29.07.2021

Genre(s), ça s’écrit comment ?

Qui fait la langue ? Qui la façonne ? Quel impact a-t-elle réellement sur la société ? Pendant plusieurs mois, Ariane Jouve-Villard, Bastien Relave, Emma Bouvier, Erwan Péron, Léa Mathieu et Lucille Strobbe, élèves à l’Ecole du management et de l’innovation de Sciences Po, ont réalisé une enquête sur les controverses liées à l’écriture inclusive. Interview.

Qu’est-ce que le langage inclusif ?

Il faut d’abord préciser que la définition et même les termes qui caractérisent le “langage inclusif” divergent selon les personnes. Les usages ne sont également pas stabilisés. Cependant, nous pourrions tenter de résumer le langage inclusif en admettant qu’il désigne toutes les pratiques et les règles linguistiques et typographiques qui permettent de représenter l’égalité entre  les genres, et de  rendre visible un groupe de personnes, par la langue.

Quelles sont ces pratiques ?

Les pratiques liées au langage inclusif rendent compte de projets politiques distincts. Par exemple, certains individus cherchent à mieux représenter les femmes dans la langue, ou à exprimer un spectre de genre qui va au-delà de la binarité masculin-féminin. Néanmoins, d’autres personnes estiment que les pratiques inclusives peuvent mener à exclure des individus, par exemple les personnes avec un handicap ou celles qui apprennent la langue. Il existe d’autres termes désignant le langage inclusif dont les significations divergent pour caractériser parfois une spécificité, que ce soit le domaine, la pratique ou le but. Par exemple, nous parlons d’écriture inclusive, de langage épicène, mais aussi de communication non-sexiste ou de parité linguistique. Il y a presque autant de mots que de façons d’écrire en inclusif ! C’est précisément ce que nous avons voulu montrer dans le titre de notre site web “Genre(s), ça s’écrit comment ?” et plus particulièrement dans la scénographie du sous-titre qui, grâce à un GIF, présente successivement une diversité de dénominations.

Quelles controverses traversent ce sujet ?

Il est intéressant de voir que le débat public autour du langage inclusif, et donc les controverses qui y sont mises en lumière, ne sont qu’une petite partie émergée de l’iceberg. Dans les médias il est plutôt question d’usage – si ce n’est d’imposition – de l’écriture inclusive à propos des communiqués du gouvernement, de l’administration, ou dans les écoles. Du côté des linguistes et des designers typographes, nous avons remarqué que se pose la problématique de savoir s’il est possible, envisageable, ou souhaitable, de déterminer des règles d’écriture inclusive. Il est également question de créer de nouvelles formes d’écriture, comme par exemple des mots et ligatures non-binaires. La controverse s’étend donc sur plusieurs points que nous avons cartographiés. Nous avons notamment posé plusieurs questions : qui est légitime d’observer, voire de déterminer, les règles de la langue, son impact et ses évolutions actuelles et à venir ? Quels sont les objectifs des différentes pratiques du langage inclusif et comment se déploient-elles dans les sphères publiques et privées ? Quels sont les impacts de ces nouvelles formes d’écriture sur nos manières d’appréhender le genre et les inégalités femmes-hommes ?

Finalement, nous avons imaginé cette enquête afin qu’elle puisse être utile pour chaque personne qui souhaiterait avoir une vision globale et détaillée de la controverse. À travers cette enquête nous avons cherché à démontrer la complexité du sujet, tout en ayant une posture que nous souhaitions la plus objective possible et ce, grâce aux précieux conseils de Vincent Casanova, Robin de Mourat et de toute l’équipe pédagogique qui a encadré notre travail ces derniers mois !

Est-ce que les débats autour de l’écriture inclusive sont les mêmes dans tous les pays francophones ?

Bien que notre enquête se soit majoritairement concentrée sur la France, nous avons élargi le champ de nos recherches aux différents pays francophones et nous avons en effet remarqué que les débats n’en sont pas au même stade. Force est de constater que l’inclusivité dans la langue est un champ de recherche investi depuis bien plus de temps au Québec et en Suisse qu’en France. Nous avons enfin essayé d’observer quelles étaient les autres formes d’écriture inclusive à travers le monde et, selon les langues, nous remarquons des mécanismes communs. Vous pouvez retrouver quelques exemples dans la rubrique “Francophonie et autres langues” de notre site web.

Ce travail a-t-il changé la façon dont vous écrivez désormais ?

Nous ne doutions pas de l’importance de cette question dans le débat public, mais nous étions loin d’imaginer tous les enjeux qu’elle soulevait et surtout toutes les possibilités déjà existantes pour écrire et parler en inclusif ! Nous avons dû faire des choix, et il a d’ailleurs été assez compliqué de rédiger cette cartographie car la manière dont nous allions écrire la restitution de l’enquête est le cœur même de la controverse. En ne nous basant pas uniquement sur des prises de positions médiatiques et politiques, mais plutôt en nous tournant vers des savoirs spécialisés, ce travail nous aura permis d’avoir une opinion étayée sur le sujet. En approfondissant cette problématique, notre regard a forcément évolué et je pense que nous pouvons dire que nous portons une plus grande vigilance à nos façons d’écrire et de parler !

Ces quelques mois d’enquête auront été trop courts pour trouver des réponses aux débats, mais nous ne partions pas avec cet objectif. Nous avions conscience que l’écriture inclusive était une thématique en cours d’étude, de réflexion et d’analyse. Par conséquent, la controverse qui l’entoure est en perpétuel mouvement, tenter de la figer aurait été vain et obsolète ! De nombreux  rebondissements suivront et nous sommes curieux et curieuses de voir comment le débat va évoluer au fil des mois et des années.

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