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15.04.2024

Masterclass 2 : La Fabrique des transitions écologiques et sociales

Au deuxième semestre, les étudiants du Master Cycle d’urbanisme ont l’opportunité de suivre une série de masterclass intitulée « La Fabrique des transitions écologiques et sociales ». Ces masterclass sont spécialement conçues pour explorer des sujets peu ou moins abordés dans le reste du cursus académique et répondent ainsi aux attentes des étudiants qui souhaitent approfondir leur compréhension des enjeux émergents et des solutions novatrices dans les domaines de l'écologie et des transitions sociales.  

Dans le cadre de ces sessions, les étudiants doivent produire des compte-rendu qui incluent notamment des interviews des intervenants. En documentant ces échanges avec des experts, les élèves contribuent à la mission du Lab de l’École urbaine, à savoir la co-production et la de diffusion de connaissance publiques pour les villes, les territoires, et leurs acteurs. 

Masterclass 2 : « La planification territoriale, un outil ressuscité par la transition écologique ? » Par Hélène PESKINE, Secrétaire permanente du PUCA

   

Hélène Peskine est une architecte et urbaniste de l'État, actuellement Secrétaire permanente du Plan urbanisme construction architecture, un service interministériel de recherche et d'expérimentation des ministères de la transition écologique, de la cohésion des territoires, des relations avec les collectivités territoriales, et de la culture. Auparavant, elle a occupé divers postes au sein du gouvernement, notamment en tant que directrice adjointe de Cabinet auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, et conseillère en charge de la transition énergétique, du climat, de l'écomobilité et du bâtiment durable. Elle a également été conseillère pour le développement durable, les transports, le logement, et l'énergie au Cabinet du président de l'Assemblée nationale. Avec une expérience de près de vingt ans au ministère de la transition écologique, elle a contribué à des projets majeurs tels que le réseau de transport du Grand Paris et l'aménagement de la région parisienne. En 2018, elle a fondé la plate-forme PEPS, un groupe de réflexion réunissant des professionnels et experts du secteur public et privé, qui produit régulièrement des notes de propositions thématiques à destination des décideurs.

Quelle est l'indépendance du PUCA par rapport au ministère dans son activité, notamment dans le choix des sujets traités et en termes de gestion de la recherche ? 

Le PUCA est un service interministériel de recherche et d’innovation sous l’autorité des ministres en charge de la transition écologique, de la culture, et de la recherche. A ce titre, il s’inscrit dans l’accompagnement des politiques publiques nationales, et dans les dynamiques portées par le gouvernement. C’est par exemple le cas sur le dossier « ZAN », sur lequel le PUCA a piloté le programme d’expérimentation des territoires pilotes de sobriété foncière. 

Néanmoins, la mission du PUCA (inscrite dans ses statuts) est d’éclairer l’action publique et l’activité professionnelle dans ses champs de compétence (urbanisme, construction, architecture). Il s’agit notamment d’identifier des questions émergentes qui n’ont pas encore été intégrées dans des cadres d’action nationaux, d’identifier d’éventuelles contradictions ou impasses dans l’application des normes, d’évaluer par l’observation scientifique des projets et stratégies, ou encore de tester des solutions non encore éprouvées. Cette forme d’intervention peut donc se trouver en avance de phase par rapport aux politiques publiques. Notre rôle est d’en tirer des enseignements, qui pourront ou non nourrir les projets de réformes et les pratiques professionnelles. 

La difficulté réside dans la capacité du PUCA à saisir les questions émergentes et signaux faibles. Il est pour cela entouré d’un puissant réseau académique, de collectivités locales engagées, et d’acteurs opérationnels, avec lesquels il échange en continu. Ils sont réunis tous les ans lors du comité des parties prenantes. 

Bien que plus acceptable socialement et plus simple à mettre en place politiquement, comment une approche pas à pas pourrait-elle permettre de répondre au caractère urgent de la crise climatique ? 

Tout d’abord, même en cherchant à convaincre « pas à pas », il n’est pas simple de mettre en place des changements de paradigme dans l’aménagement, pour répondre aux défis environnementaux et sociaux. Comme j’aime à le dire, l’étape la plus difficile à traverser est la première, celle du renoncement (à un modèle obsolète mais connu), avant d’envisager le consentement, l’appropriation ou encore la coopération active. 

Il est vrai que le PUCA, en tous cas en matière d’expérimentation, agit plutôt en cherchant à mobiliser le plus largement possible, quitte à accepter de ne pas aller assez vite ou de ne pas emprunter strictement la trajectoire optimale d’un point de vue environnemental. C’est une posture de facilitation plutôt que de radicalité, qui correspond à notre mission de service public auprès d’un monde professionnel « cible », mais qui ne nous empêche pas de publier des ouvrages de recherche plus engagés. Nous défendons une position critique plutôt constructive. Prenons l’exemple des travaux sur les nouveaux modèles de l’aménagement : nous questionnons les outils de pilotage et les bilans des opérations qui ne tiennent pas compte du vivant ni de la gestion de ressources qui s’épuisent, mais cherchons davantage à les réorienter qu’à les bannir. 

Par ailleurs, la convergence entre enjeux sociaux, économiques et environnementaux est rarement évidente. Nos travaux sur le logement abordable en temps de Zan le montrent bien. L’intérêt de l’approche pas à pas est de décrire les arbitrages nécessaires in itinere pour garder les ambitions sociales de nos politiques publiques sans en rabattre sur les urgences environnementales. En complément, pour s’assurer d’avoir des opérateurs (publics et privés) prêts à modifier leur manière d’agir, il faut des modèles économiques. Ceux-ci peuvent être convertis en instaurant des outils financiers favorables à la transition (bonus, malus, subventions, fiscalité incitative…). C’est l’idée du fonds friches qui a permis de solvabiliser des opérations de recyclage urbain dans des villes où le marché immobilier (prix de sortie) ne permettait pas de financer les coûts de réhabilitation. C’est une question que nous soulevons également dans nos travaux sur les modèles d’affaires des services urbains (eau, énergie, déchets, mobilité) face au défi de la sobriété. Comment équilibrer financièrement une délégation de distribution d’eau si on doit baisser les consommations ? Là aussi ce sont des outils économiques qui sont convoqués (tarification progressive qui différencie les tarifs des premiers volumes distribués - biens essentiels - de ceux qui seraient « superflus »). 

Sans méconnaitre l’accélération des effets du changement climatique, ni la situation dramatique dans laquelle nous entraine rapidement l’inaction de nombreux acteurs, nous plaçons notre rôle plutôt dans la diffusion de solutions appropriables par le plus grand nombre d’intervenants. D’autres structures mises en place par l’Etat, comme le haut conseil pour le climat ou de nombreux think tanks indépendants (shift project par exemple) proposent des options plus radicales qui sont utiles à la réflexion collective. 
Vous avez raison de pointer le caractère insuffisant de cette posture « pragmatique ». Heureusement certains élus, leurs opérateurs et certains acteurs économiques cherchent à progresser plus vite et peuvent servir d’aiguillon. Nous soutenons par exemple le manifeste de la frugalité heureuse qui cherche à diffuser des solutions low tech dans l’architecture et la construction. 

Comment la planification écologique intègre-t-elle les disparités sociales et environnementales des territoires - notamment du point de vue de l’opposition entre logiques de court et long terme (« fin du mois/fin du monde ») ? 

L’exercice conduit depuis un an par le secrétariat général à la planification écologique a ceci de très novateur qu’il donne à voir les responsabilités relatives de chacun pour réussir la trajectoire de décarbonation qui incombe à la France pour s’inscrire dans la trajectoire de l’accord de Paris, et progressivement également la trajectoire de protection de la nature et des ressources. 
C’est un exercice encore très théorique mais il a été traduit dans un certain nombre de politiques publiques (prime à la rénovation des logements, plan eau, trajectoire Zan, décarbonation de 50 sites industriels majeurs etc… mais pas dans les politiques agricoles). 

La mise en mouvement des citoyens, des entreprises, des territoires, demande une appropriation beaucoup plus directe et personnalisée des options alternatives à celles du monde d’hier (mobilité douce, énergies renouvelables et sobriété dans tous les domaines …). Et cette appropriation est très largement dépendante des coûts et bénéfices induits par ces changements (et ressentis comme tels par les acteurs, à court et moyen terme). 

Les chocs brutaux ont l’avantage d’accélérer la prise de conscience. On l’a vu avec la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, et les évènements climatiques extrêmes de ces dernières années. Ces crises permettent de mettre à l’épreuve ce que les normes ESG européennes appellent la double matérialité des défis environnementaux : on ne peut plus se contenter de réduire son impact sur l’environnement (ponction sur les ressources, pollution, …) mais on doit prendre désormais en compte aussi, à l’inverse, l’impact de l’évolution rapide de notre environnement (canicules, inondations, sécheresses, pénuries d’eau, d’énergie bon marché, de blé ou de sable…) sur notre bien-être et nos modes de vie (ou notre business model). C’est ce qu’on appelle l’adaptation. Et l’accélération des crises (plus rapide encore que ce que les scientifiques avaient modélisé) nous pousse à renforcer notre capacité d’adaptation. 

Reste néanmoins à anticiper et réguler les impacts socio-économiques de ces processus d’adaptation. Les logements qui ont été inondés 4 fois en trois mois dans le Pas de Calais seront ils assurables demain ? Comment gérer la « réparation » financière d’évènements qui ne se sont jamais produits ? On ne rencontre plus aucun interlocuteur (en France en tous cas) qui ne croit pas au changement climatique. Mais faire des arbitrages financiers sur le temps long reste contre-intuitif. 

Payer beaucoup plus cher son carburant aujourd’hui a du sens pour réorienter les comportements et se projeter. Mais s’il n’existe pas de solution alternative à la voiture pour son rendre au travail ou faire ses courses, ce n’est pas une option tenable. Adapter la planification écologique aux situations sociales et territoriales est indispensable. Cela veut dire se faire confiance, entre Etat et collectivités, entre pouvoirs publics et acteurs privés, entre monde associatif et institutionnels, en s’appuyant sur des données scientifiques traduites localement (sociales, économiques et environnementales).  

Vous semblez établir une « opposition » entre deux voies pour appréhender les questions de transition : une planification qui suppose une intervention forte de l’état face à une approche de co-construction avec les territoires locaux. Existent-ils d’autres modèles ?

Je n’oppose pas ces deux options, je les considère complémentaires. Mais elles demandent une certaine confiance entre acteurs. En France, pays très centralisé, cette confiance n’existe pas vraiment. Il y a une tradition de norme nationale égalitaire. On considère souvent que si celle-ci convient à la grande majorité des situations, elle conviendra à toutes. Et la flexibilité est très peu autorisée. En matière de transition écologique, c’est très compliqué: le littoral ou la montagne n’évoluent pas de la même manière que d’autres territoires. Les zones inondables ou les vallées industrielles n’ont pas les mêmes enjeux d’adaptation et de décarbonation que les plaines agricoles ou les massifs forestiers. Une partie de ces questions est traitée par des lois ou stratégies spécifiques (trait de côte, loi littoral, loi montagne, industrie verte ou affirmation des métropoles …) qui cherchent à introduire de la différenciation. Mais alors elles créent aussi souvent de l’opposition, car aucune souplesse n’est possible en fonction des réalités locales et le dialogue entre autorités et porteurs de projets est difficile. Cette rigidité pourrait être corrigée avec des textes de lois moins bavards, plus stratégiques, et des déclinaisons locales concertées, qui peuvent aussi être régulées au travers du contentieux local. Respecter l’esprit de la loi littoral par exemple, nécessite de mettre en priorité la protection des écosystèmes marins et littoraux et d’éviter tout mitage. Si un projet ne respecte pas cette ambition, il peut être attaqué, ou discuté localement. Or la loi prend le parti d’interdire, de manière stricte et descendante, toute extension de hameaux dans les communes littorales. Ce n’es pas une manière très constructive de penser le développement durable. 

Il me semble que ce qui manque encore en France c’est une forme de reconnaissance, notamment par la planification écologique, de la contribution effective des actions de tiers sur la trajectoire nationale. Ce n’est pas que du discours mais bien un outil de mesure ou d’intégration des actions menées par d’autres que l’Etat (élus, citoyens, entreprises) et leur valorisation (y compris monétaire). 

C’est très différent dans des pays plus fédéraux. En Suisse par exemple, une votation citoyenne peut modifier dans un canton l’application d‘une règle d’occupation du sol, pour préserver, par exemple, la souveraineté industrielle, agricole, les sols vivants ou même le paysage. En Allemagne la transition énergétique est largement financée par les banques régionales d’investissement des Länder, qui ne sont pas soumises aux règles de Maastricht (3%). Au Royaume Uni, presque tout est négociable…

Propos recueillis par les étudiants du Master Cycle d’urbanisme : Anna Chiambaretta, Lea Fernandes, Zoé Gryspeert et Célestin Perrin.