L’enseignement scolaire de l’histoire
L’ENSEIGNEMENT SCOLAIRE DE L’HISTOIRE
ENSEIGNER LA GUERRE
Pour cette 12ème année du séminaire du Centre d’histoire de Sciences Po, consacré à la transmission scolaire de l’histoire, le thème retenu est directement en lien avec l’actualité. Réfléchir à « Enseigner la guerre » dans un contexte d’embrasement militaire meurtrier au cœur de l’Europe relève d’une forme de défi intellectuel, de mise à distance critique et d’évaluation de ce qui se joue, en classe, à propos d’un thème si sensible.
Trois dimensions sont abordées à l’occasion de cette année de séminaire. D’abord l’aspect politique de l’enseignement de l’histoire, dans une discipline où les finalités portent « naturellement » ou spontanément, sur le « Le plus jamais ça ». Les enjeux citoyens sont saillants, renvoient aux finalités même de l’histoire (« à quoi ça sert de faire de l’histoire si c’est pour ne rien empêcher de la violence des hommes ? »). En quoi l’histoire enseignée permet de comprendre le présent et permet d’anticiper les formes de résolutions des conflits passés et en cours ?
La seconde dimension a à voir avec la didactique proprement dite. Entre épistémologie et pratiques les plus quotidiennes, la didactique offre un cadre d’analyses variées visant à comprendre comment, dans l’intimité d’une classe, s’organisent les transferts de savoirs, les représentations des élèves et les acquis de connaissance.
Enfin, dernière dimension, celle historique. Le séminaire accorde traditionnellement une ouverture à l’histoire de l’enseignement de l’histoire. Ici, sur la question de la guerre, les travaux sont nombreux, notamment sur la manière dont l’École a porté le souvenir de la Grande guerre. Dire comment l’École a traité la Grande guerre [1], la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d’Algérie, c’est donner la profondeur de champ d’un sujet déjà connu, déjà expérimenté par l’institution scolaire.
- Le thème de la guerre et de sa transmission scolaire a été très couru ces dernières années. La Mission du centenaire de la Grande guerre en a porté hautes les exigences intellectuelles. Parallèlement, la transmission scolaire de la Guerre d’Algérie (nous sommes en 2022, 60ème anniversaire de la guerre d’Indépendance algérienne) a fait l’objet de nombreux travaux et de nombreuses publications montrant l’évolution de la prise en charge scolaire de cette question controversée, question vive de la didactique de l’histoire [2].
- Or, la guerre a une histoire dans l’histoire de l’enseignement de l’histoire. Une histoire centrale même, qui s’origine dès le XIXème siècle et les programmes Duruy de 1867. Cette histoire va suivre les avancées historiographiques et les évolutions sociétales de la France et de ses institutions à l’égard de l’institution militaire et des mutations sociales.
- Historiquement, c’est l’histoire bataille qui domine. Elle dit la grande France, elle dit la nation, celle qui défend, de Vercingétorix à Gambetta, et celle qui conquiert, de Jacques Cartier à Bugeaud. Les mêmes observations peuvent être faites en géographie scolaire lorsqu’elle s’installe en classe par la notion de frontière, des cartes d’état-major et de l’empire affichées sur une carte Vidal-Lablache au mur de la communale.
- Cette histoire bataille, on l’ignore souvent, est aussi liée à la culture classique (grecque et latine) que porte l’école. Jusqu’aux années 1950, on apprend, pour le Certificat d’études, les guerres médiques, le conflit entre Sparte et Athènes, en parallèle du siège de La Rochelle où Richelieu observe, calme et princier, les flots agités. Rocroi, les traités de Westphalie font partie de la culture du Certif’.
- Se développe progressivement, dès la fin des années 1950 (et parfois avant au profit des courants de Célestin Freinet ou de Roger Cousinet) une histoire plus tournée vers les mentalités, les environnements locaux et l’histoire (y compris guerrière) de la commune. L’histoire culturelle trouve sa place également. Les arts, les sciences, laissant progressivement la guerre aux repères attendus, mais moins centraux. Même si la Grande guerre et Verdun restent les monuments patrimoniaux de référence pour les classes du premier et du second degré.
- Cet effacement mémoriel relatif rencontre, dès les années 1990 le « tournant mémoriel » qu’évoque et analyse François Dosse. En didactique, il prend le terme de questions socialement vives (QSV), de questions sensibles de l’histoire, notamment lorsque s’installent dans les classes de France la question difficile de la Seconde Guerre mondiale et du rôle de la France pendant cette période. L’Algérie émerge à la faveur des années 2000, comme un refoulé de l’histoire qui ne savait nommer cette guerre : événements, révolte, guerre d’indépendance. David El Kenz réunit même un ouvrage sur Le massacre objet d’histoire [3], particulièrement utile pour l’étude du XXème siècle.
- Quels enjeux s’offrent à nous ? Au fond, qu’est-ce qu’ « enseigner la guerre [4]» aujourd’hui ? Qu’est-ce que dire la guerre et sa tragédie dans un contexte de guerre inédit au cœur même du continent européen ? Quel sens donner en classe, face aux élèves, aux titres de la presse comme ce « Dans l’enfer de Bakhmout, le Verdun ukrainien5]» ? Comme l’indique Tristan Lecoq[6], l’analyse qui est faite en classe, mais aussi dans les programmes et les manuels, a à voir avec la question de l’État et du monopole de la violence légitime, mais aussi du droit international. C’est aussi une question économique, aux répercussions sociales massives, y compris dans les pays non-belligérants, mais c’est encore son impact sur les populations civiles. Les notions de « brutalisations », de « culture de guerre », et de violences de guerre que l’historiographie ont vu surgir dans les années 1990-2000 trouvent une actualisation en temps réel.
Le séminaire a pour objectif de voir en quoi, si la bataille reste un objet d’histoire, elle est encore un objet d’enseignement pour elle-même, au-delà du repère chronologique obligé. En variant les focales et les échelles, le séminaire vise aussi à interroger les guerres moins conventionnelles, les plus récentes (même si l’Ukraine sonne de ce point de vue comme un retour en arrière) : les guerres modernes, la guerre froide, la guerre d’Algérie, mais aussi d’autres formes de conflictualités comme le terrorisme, l’intifada. Comment les classer ? et comment l’École en parle ?
Dans une chronologie large, et en envisageant tous les vecteurs de diffusion scolaires (du manuel scolaire à la BD), le séminaire s’intéresse à ce thème de la guerre et de son enseignement dans un contexte où se pose une question majeure en termes de culture de guerre précisément (ou de culture de paix) : comment évoquer la guerre dans un enseignement national, dont le pays prescripteur, la France, n’a pas connu la guerre, en métropole et sur ses terres ultramarines depuis 1945, soit 77 ans ?
[1] On se réfèrera notamment au dernier ouvrage collectif issu d'un colloque : Michèle Verdelhan Bourgade & Sylvie Desachy (s/dir.), 1918 : tourner la page ?, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2021.
[2] Par exemple : G. Fabiano et A. Moumen (s/dir.), Algérie coloniale, Traces, mémoires et transmissions, Le Cavalier bleu, Paris, 2022 ; voir le numéro spécial de la revue Mémoires en jeu, n° 15_16, "mémoires contemporaines de la guerre d'Algérie", hiver 2021/2022, p. 121-125.
[3] D. El Kenz, Le massacre objet d'histoire, Gallimard, "Folio", Paris, 2005.
[4] T. Lecoq, "Enseigner l'histoire de la guerre, enseigner la guerre dans l'histoire, enseigner la guerre au présent", Revue Défense Nationale, n° 828, mars 2020, p. 33-43.
[5] Hebdomadaire Le Point. 4 janvier 2023, https://www.lepoint.fr/video/dans-l-enfer-de-bakhmout-le-verdun-ukrainien-04-01-2023-2503705_738.php, consulté le 3 février 2023.
[6] T. Lecoq, op.cit.
Calendrier 2022-2023
- 28/09/2022 | Vincent Bervas (ONACVG) et Kamel Chabane (Académie de Paris)
Enseigner la guerre d'Algérie avec des témoins. - 09/11/2022 | Emmanuel Saint-Fuscien, Directeur d'études à l'EHESS
Le hors programme imposé ? Transmettre la guerre en salle de classe en janvier et novembre 2015. - 07/12/2022 | Vincent Duclert, Chercheur au Centre Raymond Aron (CESPRA, EHESS-CNRS), enseignant à Sciences Po, président de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (2019-2021)
Enseigner les génocides et les processus génocidaires. Guerre d'extermination, guerre dans la guerre, guerre aux génocides, XIXe-XXIe siècle. - 04/01/2023 | Laurent Carroué, Géographe, Inspecteur général - IGESR, directeur de recherche à l'Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)
Enseigner la géopolitique. Approches conceptuelles et épistémologiques. - 01/02/2023 | Valérie Opériol, Formatrice en didactique de l'histoire à l'Université de Genève
Enseigner l'histoire des guerres sous l'angle du genre. - 08/03/2023 | Nicolas Lepoutre, Lycée Guy de Maupassant de Colombes
Enseigner le conflit palestinien dans le secondaire. - 05/04/2023 | Brigitte Morand, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, didactique de l'histoire, INSPE Clermont-Auvergne / Laboraoire ACTé, Université Clermont Auvergne
La guerre froide dans les manuels scolaires français d'hier et d'aujourd'hui. ▸ S'inscrire - 10/05/2023 | Vincent Marie, Docteur en histoire contemporaine et agrégé d'histoire-géographie. Université de Montpellier 3.
Traits de mémoire. Bandes dessinées et Seconde Guerre mondiale. - 07/06/2023 | Paul Vo-Ha, Université Paris I
Enseigner l'histoire des guerres de l'époque moderne dans le secondaire et le supérieur : comment transmettre les acquis de six décennies de recherche ? - 16/06/2023 | Clôture séminaire (15h-18h)
Calendrier 2021-2022
- 06/10/2021 | Ouverture du séminaire annuel. Benoît Falaize (CHSP),
La place du religieux dans l'enseignement scolaire de l'histoire à l'école élémentaire (de 1860 à nos jours). - 10/11/2021 | Isabelle Saint-Martin (EPHE, PSL),
L'enseignement laïque des faits religieux et leur déclinaison en histoire. -
08/12/2021 | Dominique Avon (EPHE, PSL),
La place de l’islam dans les manuels scolaires d’histoire de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc, de l’Egypte, de la Syrie, de la Turquie et de la Russie. - 12/01/2022 | Abderahmen Moumen (Telemme-Aix-Marseille université / ONACVG),
La place des dimensions religieuses dans l’enseignement de la guerre d’Algérie. - 02/02/2022 | Louis Hourmant (IREL-EPHE, PSL), Benoît Falaize (CHSP)
Et les polythéismes, alors ?! Quel enseignement ? - 09/03/2022 | Julien Cohen-Lacassagne, (Lycée international A. Dumas, Alger),
L'enseignement de l'histoire en Israël et la place de du judaïsme dans la construction nationale (de l’après Seconde Guerre Mondiale à nos jours). - 06/04/2022 | Edina Kömüves, (Université Eötvös Lorànt, Budapest),
La construction chrétienne de la nation hongroise dans l'Entre-Deux-Guerres. - 11/05/2022 | Delphine Dussert-Galinat, (CNRS/GSRL EPHE, PSL),
Le religieux dans l’enseignement du proche-et Moyen Orient. - 08/06/2022 | SÉANCE MODIFIÉE
François Lantheaume étant contrainte d'annuler sa participation au séminaire, nous consacrerons cette séance à un bilan d'année.
Calendrier 2020-2021
- 14/10/2020 | Ouverture du séminaire. Alexandre Lafon, Ancien responsable pédagogique de la Mission centenaire :"La crise sanitaire, un temps de (Grande) guerre pour l'Ecole ?", Benoît Falaize (Sciences Po, CHSP) :"Crise sanitaire et crise de société dans les manuels primaires français de 1919 à nos jours".
- 04/11/2020 | Alain Lamassoure, Ancien député européen avec Ann-Laure Liéval (Professeure d'histoire-géographie, Euroclio) et Thierry Chopin (Université catholique de Lille, Institut Jacques Delors), "La crise de l'enseignement de l'histoire en Europe face à la montée des populismes et des nationalismes (projet HOPE)"
- 09/12/2020 | Ewa Tartakowsky, Institut des sciences sociales du Politique, "L'enseignement de l'histoire en Pologne : un témoin de la crise de la démocratie".
- 06/01/2021 | Rainer Bendick, Conseiller pédagogique au Service de l'Entretien des Sépultures Militaires Allemandes (SESMA), Régionale de Brunswick, "Enseigner aujourd'hui l'histoire en Allemagne : Comment prévenir au mépris de la démocratie ?"
- 03/02/21 | Antoine Karam, Sénateur : "L'enseignement de l'histoire en Guyane aux prises avec les enjeux démocratiques"
- 03/03/21 | Sébastien Ledoux, Paris-1 Sorbonne, Centre d'histoire sociale des mondes contemporains, "Les enseignants d'histoire face aux attentats de 2015-2016 en France"
- 07/04/21 | Juliette Fontaine, Université de Louvain, GIRSEF, "Transformer les programmes d'histoire sous Vichy : un enjeu pour les traditionalistes".
- 05/05/21 | Eric Mutabazi, Université catholique de l'Ouest à Angers, "Limites et erreurs dans l'enseignement de l'histoire du Rwanda avant le génocide commis contre les Tutsi"
- 09/06/21 | Marie Salaün, Université de Paris, "Décoloniser l'histoire ? Expériences calédoniennes depuis 1988."
Calendrier 2019-2020
L’enseignement scolaire de l’histoire envisage, toujours dans une dynamique européenne, la question de l’enseignement scolaire de l’histoire des démocraties et de leurs crises. Le fait que les démocraties soient fragiles, faillibles et vulnérables est au cœur de la problématique envisagée. Il s'agit aussi d'un enjeu d'actualité : dans quelle mesure les démocraties d'aujourd'hui transmettent (et avec quelle pertinence) ce que longtemps le credo scolaire a désigné comme "les leçons du passé", à savoir la façon dont les démocraties basculaient dans les formes autoritaires de gouvernement, avec les désastres qui les accompagnent. Comment enseigne-t-on les crises démocratiques qui sont au programme scolaire ? Comment donne t-on aux élèves les moyens de comprendre les fragilités démocratiques ? De quelle manière arme-t-on les élèves à comprendre les "montées des périls" ?
- 02/10/2019 | "La cité n'est pas morte à Chéronée" : le mythe de la décadence démocratique au IVe siècle av. J.-C.”
- 13/11/2019 | ”La démocratie comme crise. Enseigner l’EMC*”
- 11/12/2019 | ”Construire les fragilités démocratiques dans les manuels scolaires”
- 15/01/2020 | Les géopolitiques du quotidien : une possible géo-histoire des micro-conflits spatiaux ?”
- 05/02/2020 | ”Au Camp des Milles, comment muséographier la fragile démocratie ?”
- 11/03/2020 | ”République et démocratie : une tension française”
- 22/04/2020 | ”L'enseignement de l'histoire en Pologne : un témoin de la crise de la démocratie.”
- 06/05/2020 | “Les professeurs d’histoire saisis par les attentats de 2015 : une crise de la démocratie ?”
- 03/06/2020 | “Une démocratie en crise : Enseigner aujourd’hui l’histoire de la République de Weimar en Allemagne. “