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10.03.2020

Khalid | Entrepreneur, Paramedic

Khalid El Guitti - Du talent à revendre !

Portrait paru dans le numéro 18 (Hiver 2019-2020) du magazine Émile - trimestriel édité par Sciences Po Alumni, l'association des diplômés de Sciences Po Paris.

 

Khalid El Guitti (promo 13, Master finance et stratégie) incarne le profil type d’une success-story « made in Sciences Po ». Originaire de La Courneuve, entré rue Saint-Guillaume via la voie CEP, il crée sa première start-up en 2012, au sein de l’incubateur de l’école. Trois ans plus tard, à l’aube d’une levée de fonds de 10 millions d’euros, elle est rachetée par Booking.com. Toujours à l’affût de nouveaux projets, le jeune entrepreneur a lancé, en janvier 2019, une deuxième start-up, Paramedic, qui met en relation les ambulanciers et les établissements de santé. Il raconte à Émile son parcours.

Propos recueillis par Sandra Elouarghi, Yasmine Laaroussi et Maïna Marjany (promo 14, journaliste)

 

Du 93 à Sciences Po

Khalid El Guitti dans les locaux de sa start-up Paramedic. (Crédits : Maïna Marjany)

Khalid El Guitti dans les locaux de sa start-up Paramedic. (Crédits : Maïna Marjany)

Je préparais un bac ES et je n’avais jamais pensé faire Sciences Po jusqu’à la toute fin de ma classe de première, tout simplement parce que je ne savais pas ce que c’était. Je venais de faire une croix sur mon projet de devenir chirurgien – les 12 à 15 ans d’études me semblaient interminables – lorsque mon professeur de français m’a inscrit à un atelier pour préparer le concours de Sciences Po. Il avait lui-même étudié rue Saint-Guillaume et venait de créer l’atelier au sein de mon lycée. Je ne sais pas pourquoi il m’a choisi, il pensait certainement que j’avais le profil… Et il ne s’est pas trompé car ça m’a beaucoup plu ! Après mon bac ES, j’ai donc passé le concours via la voie CEP et je suis rentré sur le campus de Paris.

Je faisais partie de la toute première promotion du lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers à avoir préparé le concours de Sciences Po. Nous étions quatre à l’avoir réussi, dont deux qui sont partis sur le campus de Menton. Mes amis du collège et du lycée ont, quant à eux, suivi des routes complètement différentes, mais je n’ai pas eu le temps de me sentir seul à Sciences Po. Dès la semaine d’intégration, j’ai sympathisé avec plusieurs étudiants – deux venaient de la région parisienne et un autre de Metz – et nous sommes restés amis tout au long de nos études. Ce qui est drôle, c’est qu’ils venaient eux aussi de la procédure CEP, pourtant, on ne le savait pas quand on s’est rencontrés.

L’intégration s’est donc très bien passée. Mais là où j’ai ressenti un vrai fossé, c’est au niveau du travail. En termes de quantité, mais aussi de méthode. J’ai eu l’impression de basculer dans un monde complètement différent ! J’ai dû apprendre à faire un exposé en 10 minutes – un format que je ne connaissais pas du tout –, à présenter un dossier, à faire des références à des auteurs… Sans parler des deux parties et deux sous-parties réglementaires  !

Do you speak english ?

La matière qui m’a donné le plus de fil à retordre, c’est l’anglais. Je suis arrivé à Sciences Po avec un niveau quasi inexistant. L’histoire est un peu particulière : je n’ai pas eu de cours d’anglais pendant presque toute ma scolarité au collège. La professeure avait été poignardée et jamais remplacée. C’est hallucinant que ça ait pu durer des années. Quand je suis arrivé au lycée, ils étaient au courant de mon problème et m’ont assuré qu’ils trouveraient une solution. Mais à la fin de ma première, ils n’avaient rien à me proposer. J’ai eu 3/20 en anglais au bac… Heureusement, les autres matières ont rattrapé le coup et j’ai quand même réussi à obtenir la mention « Bien ».

Après avoir été accepté à Sciences Po, j’ai passé un entretien d’anglais pour savoir quel était mon niveau. La dame m’a dit : « Vous n’êtes même pas au niveau 1, mais je ne peux pas créer une classe spécifique pour vous ! » Je suis donc allé en niveau 1. Les autres élèves avaient certes des difficultés, mais ils prenaient des cours depuis des années, ils savaient ce qu’était un verbe en « ing ». Pas moi ! Je savais que le seul moyen de m’améliorer vraiment était de passer ma troisième année dans un pays anglophone.

À nous deux, New York !

À l’époque, mes camarades branchés business et marketing aimaient bien une boîte qui s’appelait Euro RSCG, devenue Havas Worldwide. J’ai postulé à une annonce de stage trouvée à Sciences Po Avenir. Pour me préparer à l’entretien téléphonique, j’ai écrit en français toutes les questions potentielles qui pourraient m’être posées, du style : « Pourquoi choisir New York ? » ; « Pourquoi une agence de pub ? » ; « Qu’est-ce que vous vous voyez faire dans cinq ans ? »… Ensuite, avec des amis, j’ai traduit en anglais les réponses. Pendant l’entretien, je ne comprenais pas tout à fait la question, mais j’arrivais à la raccrocher à l’une de celles que j’avais préparées, puis je lisais ma réponse. C’était drôle parce que parfois la recruteuse me disait « oui, très bien », et moi je continuais de lire, je voulais finir ce que j’avais écrit !

Une fois arrivé à l’agence à New York, je me suis retrouvé dans une situation un peu loufoque. Ils se demandaient ce que je faisais là et comment j’avais réussi à décrocher le stage. Ils n’étaient même pas sûrs que c’était moi qui avais passé l’entretien ! Mais finalement, c’était génial, j’étais dans un environnement qui ne parlait pas du tout français, je n’ai pas eu le choix, j’ai appris énormément. Et comme je suis assez sociable, je me suis rapidement fait des potes à la salle de sport, au foot, etc. J’ai donc appris l’anglais sur le tas, avec eux, et l’avantage c’est que j’ai assimilé l’accent américain en même temps que j’apprenais la langue.

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Khalid El Guitti dans les locaux de sa start-up Paramedic. (Crédits : Maïna Marjany)

“En revenant de New York, j’ai intégré le Master Finance et Stratégie. Mon projet à l’époque, c’était de bosser dans une banque d’affaires, mais après six mois de stage à La Défense, j’étais vacciné !”

Tout quitter pour entreprendre

En revenant de New York, j’ai intégré le Master Finance et Stratégie, dans la section International Business. Mon projet à l’époque, c’était de bosser dans une banque d’affaires, mais après six mois de stage à La Défense, j’étais vacciné ! Entre mon M1 et mon M2, j’ai fait une année de césure pour réaliser des stages. Le premier s’est passé au siège de la Société Générale. L’ambiance de l’esplanade de La Défense est très particulière. À huit heures du matin, des milliers de salariés sortent tous en même temps des transports. Les bruits de talons, les costumes… C’était la déprime. Je comprends que ce soit intéressant pour certains, mais ce n’est pas mon cas.

Je devais enchaîner avec un deuxième stage chez J.P. Morgan, à New York. Et là, un de mes amis, Arthur, qui était également en césure et faisait un stage chez Goldman Sachs, me dit qu’il veut démissionner, que ce n’est pas fait pour lui et qu’il veut se lancer dans l’entrepreneuriat. Il me propose de me lancer avec lui. Nous avons cette discussion un soir, après le boulot, dans un café de La Défense. Je me dis que c’est le bon moment, qu’on n’a pas grand-chose à perdre. Je refuse donc mon stage chez J.P. Morgan et j’appelle Maxime Marzin, le directeur de l’incubateur de Sciences Po, pour lui parler de notre projet.

PriceMatch, la naissance d’une pépite

Nous avons pensé à appliquer le système du revenue management au domaine hôtelier. Pour faire simple, le revenue management c’est, par exemple, ce que font les compagnies aériennes lorsqu’elles changent le prix du billet en fonction de la demande. Cela devient vraiment intéressant quand on est capable d’anticiper la demande et non pas de réagir sur le coup.

Ce que nous avons proposé avec PriceMatch, c’est un algorithme capable de proposer aux hôteliers le meilleur prix pour tous leurs types de chambres sur les 365 nuits à venir. Pour parvenir à ce résultat, nous avons récupéré énormément de données : l’algorithme prenait en compte l’historique des quatre dernières années concernant notamment la météo, la concurrence, tous les évènements ponctuels ou récurrents aux alentours. L’idée était de s’inspirer de ce que font déjà les hôteliers pour calculer le prix de leurs chambres, mais avec une démarche scientifique. On pitche notre projet à l’incubateur de Sciences Po en 2012. À ce moment-là, nous sommes quatre, dont un qui a fait Polytechnique.

Dès le début, le projet démarre sur les chapeaux de roue. Déjà parce que l’entrée à l’incubateur nous donne des moyens supplémentaires : des bureaux rue de Grenelle, un comptable et un avocat que nous pouvons consulter gratuitement. On reçoit également une subvention de 30 000 euros. Et nous avons accès au vivier Sciences Po, ce qui nous permet de recruter des stagiaires. Le premier été, beaucoup vont faire du porte-à-porte dans tous les hôtels parisiens pour présenter notre projet. Petit à petit, on se développe, puis un fonds d’investissement vient nous voir. On réalise alors notre première levée de fonds, qui s’établit à un million et demi.

En parallèle, on s’agrandit, on recrute et on ouvre des bureaux à l’étranger : Rome, San Francisco, Amsterdam, Barcelone puis le Brésil. Dans chacun d’entre eux, on a plusieurs commerciaux qui démarchent les acteurs de l’hôtellerie sur place. Mon job à ce moment-là est d’entrer en contact avec nos salariés partout dans le monde pour que le cycle de vente soit en constante progression.

De la start-up au grand groupe

En 2015, on prépare notre deuxième levée de fonds d’un montant de 10 millions d’euros et on recrute pas mal, on n’est pas loin de 90 personnes au sein de PriceMatch. Au moment de signer les papiers de la levée de fonds, Booking.com débarque. On leur présente notre projet, une discussion s’entame et ils proposent de nous racheter. Deux mois plus tard, la vente est finalisée [le montant est tenu secret, NDLR]. C’est hyper rapide.

Après le rachat, on se retrouve à travailler dans les locaux de Booking.com situés à Amsterdam. Cela s’appelle un vesting : lorsqu’une entreprise rachète une start-up, elle acquiert les fondateurs avec. Contractuellement, on était liés pour trois ans. Mon boulot est alors de former les équipes de Booking.com à vendre notre produit. Au final, j’ai bien aimé passer du statut de patron à celui d’employé, j’avais enfin des horaires ! J’ai beaucoup voyagé parce que j’étais responsable de la partie Europe, Moyen-Orient, Afrique. Le point négatif d’une grosse entreprise, ce sont les process. Nous avions beaucoup trop de réunions. Avec mon manager, par exemple, on se forçait à faire des points hebdomadaires même quand ce n’était pas indispensable. Trois ans, c’était vraiment suffisant.

Start-up un jour, start-up toujours 

Khalid El Guitti dans les locaux de sa start-up Paramedic. (Crédits : Maïna Marjany)

Khalid El Guitti dans les locaux de sa start-up Paramedic. (© Maïna Marjany)

Je n’ai pas pensé immédiatement à un nouveau projet de start-up, mais forcément ça m’a travaillé ! À partir de 2018, je rentre plus régulièrement à Paris le week-end et j’en profite pour passer du temps avec mes proches. Un de mes amis d’enfance a créé une société d’ambulance et quand je suis avec lui, son téléphone sonne en permanence : les hôpitaux et les cliniques l’appellent pour savoir s’il peut transporter tel ou tel patient. À chaque fois, il regarde son carnet, les engagements déjà pris et calcule si c’est rentable ou non de prendre la course.

J’en parle alors à Sameh, un ami ingénieur diplômé de Polytechnique, qui travaillait avant dans la cybersécurité pour le gouvernement singapourien et vient de rentrer en France. Je lui dis qu’il devrait développer une application pour les ambulanciers afin de les aider à organiser leurs trajets. À l’été 2018, on rencontre des établissements de santé et on constate que le problème se situe aussi à leur niveau. Sameh commence ensuite à développer l’application, qui se veut une plateforme de mise en relation entre les ambulanciers et les établissements de santé.

Coup de chance, cela coïncide avec l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2018, d’une nouvelle loi sur le financement de la Sécurité sociale. Son article 80 vient redistribuer les cartes dans le secteur. Avant, la Sécurité sociale payait 100 % des transports de patients inter et intra hospitaliers, mais désormais, une partie des frais sera à la charge des établissements de santé. Ils doivent donc mieux gérer leurs flux pour limiter les coûts, ce qui est une aubaine pour nous. À ce moment-là, on voit apparaître des concurrents, c’est le signe que l’on ne s’est pas trompé. En novembre 2018, je démissionne de mon poste à Amsterdam, ça faisait trois ans. Je rentre à Paris, on lance le projet Paramedic en janvier 2019 et l’entreprise est légalement créée en mai. Aujourd’hui, plus de 350 transporteurs sanitaires (ambulanciers, taxis conventionnés, véhicules sanitaires légers et transports de personnes à mobilité réduite) sont présents sur la plateforme et une soixantaine d’établissements de santé en Île-de-France (hôpitaux, cliniques et Ehpad). Nous venons également de réaliser notre première levée de fonds, d’un montant de trois millions d’euros. Notre projet est ensuite de continuer à nous développer et d’envisager une nouvelle levée de fonds, dans un an et demi, d’un montant encore plus élevé, 10 millions d’euros par exemple, pour s’internationaliser.

La consécration au Gala de sciences Po ?

J’étais invité, le 7 octobre dernier, au gala de Sciences Po pour présenter mon parcours. C’était un super-moment, d’autant qu’il s’agissait aussi pour moi d’une sorte d’hommage à Richard Descoings, qui a été mon tuteur en première année [un système de mentorat est mis en place pour les étudiants issus des CEP, NDLR]. Après, je ne parlerai pas de consécration, parce que je n’ai pas l’impression d’être arrivé à un sommet et je pense qu’il reste encore beaucoup à faire avec Sciences Po.

Finalement, je me suis plutôt bien amusé au gala. J’ai eu l’occasion d’échanger avec Ali Baddou ou encore Édouard Philippe, qui fait de la boxe, comme moi – même si j’ai préféré ne pas combattre avec lui, à côté de ses gardes du corps, c’était risqué ! Avec PriceMatch, j’ai eu l’occasion de m’exprimer en public de très nombreuses fois, devant des dizaines voire des centaines de personnes. Et puis j’ai vécu tout un tas de petites expériences, plus ou moins drôles, qui viennent relativiser les choses quand je m’exprime dans un gala en présence de personnalités. Vous savez quand vous faites une bourde face à la reine d’Angleterre, vous n’avez plus peur de rien ! [rires]

« J’ai pitché la reine d’Angleterre »

En 2014, le marché aux fleurs à Paris a été rebaptisé au nom de la reine Elizabeth II. Pour l’inauguration, des représentants de plusieurs professions ont été invités. On m’a proposé d’incarner les entrepreneurs. On nous a expliqué que la reine et le président français seraient présents. Une formation de deux heures pour apprendre à saluer la reine a été organisée, mais je n’ai pas pu m’y rendre. J’avais promis de regarder comment faire. Bien sûr, j’ai tout oublié sur le moment et j’ai fait la seule chose qu’il ne fallait pas : lui tendre la main ! C’était un réflexe pour moi… Et elle m’a quand même serré la main. Je me suis présenté et je lui ai dit que j’étais le fondateur de PriceMatch. Dans un français impeccable, elle m’a demandé de quoi il s’agissait, je lui ai expliqué notre concept. On a ainsi eu une discussion de 40 secondes et, autour de nous, tout le monde s’est demandé de quoi on parlait. Ensuite, j’ai échangé avec François Hollande qui me disait que notre concept était super et qu’il avait déjà entendu parler de la boîte, mais je pense que c’était faux [rires]. En y repensant, je me suis amusé de cet épisode en me disant que j’avais pitché la reine d’Angleterre !

Le 93 gravé dans le marbre de Boutmy

Avant la soirée de gala, je n’avais pas pensé à participer à l’opération de levée de fonds de Sciences Po « Gardez votre siège en Boutmy ». Quand le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, a présenté le projet, je me suis dit qu’avec un parcours comme le mien, parti de La Courneuve, ce serait symboliquement stylé d’inscrire mon nom pendant 99 ans sur les chaises de Boutmy. Ça m’amuse d’imaginer que dans quelque temps, un étudiant viendra s’assoir sur le siège et se demandera « c’est qui ce gars-là ? ». Je ne suis pas sûr qu’il trouvera des informations sur moi, mais je veux juste qu’il se pose la question. Pour que la symbolique soit encore plus forte, j’ai choisi le siège 93. J’ai hésité avec le numéro 1 ou le numéro 10, mais ils étaient au premier rang, alors que je ne me suis jamais assis tout devant. Le 93, c’est mon département, là où j’ai grandi, où je me suis construit, c’est beaucoup plus parlant.