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21.03.2024

Penser l’éducation à la sexualité sur Internet

Étudiantes du Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques
Clémence, Julie, Astrid et Sara à Sciences Po (crédits : Sciences Po)

Au semestre de printemps, les étudiantes et étudiants du Certificat Égalité femmes-hommes et politiques publiques de Sciences Po réalisent un projet de groupe avec une organisation partenaire. Cette année, Clémence Carel, Julie Loye, Astrid van de Blankevoort et Sara Vicinanza identifient et analysent, avec le Conseil national du numérique, des initiatives de la société civile qui participent à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Elles racontent.

En quoi consiste la mission qui vous a été confiée par le Conseil national du numérique ?

Sara : Notre mission vise à soutenir le Conseil national du numérique dans l’exploration de voies d’amélioration de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) en utilisant les ressources et les contenus en ligne proposés par des acteurs et actrices de la société civile. On a pu constater qu’il existe de nombreux contenus et initiatives dans le contexte numérique actuel qui offrent des perspectives nouvelles et enrichissantes sur des thèmes qui dépassent l'approche traditionnelle réductrice, axée sur les aspects biologiques et les risques, de l'éducation sexuelle en milieu scolaire. Par exemple, on aborde des sujets tels que l'identité de genre, l'orientation sexuelle, le consentement, les violences sexistes et sexuelles (VSS) et les pratiques relationnelles, souvent négligés dans les programmes scolaires. 
Dans ce contexte, nous menons une série d’auditions avec une variété de participantes et participants, y compris des chercheurs et chercheuses, des gynécologues, des institutions publiques telles que le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), le Planning Familial, la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), et des créateurs et créatrices  de contenus, dans le but de recueillir des idées et des recommandations sur la manière de favoriser la mutualisation des ressources et des apprentissages numériques avec l'Éducation nationale. Naturellement, nous prenons également en compte le fait que les réseaux sociaux présentent des défis en termes de régulation des discours masculinistes discriminatoires et de propagation de la désinformation. Le projet aboutira à la rédaction d'un rapport qui synthétisera les problèmes identifiés, les solutions proposées et les contributions des diverses initiatives de la société civile.

Vous participez au cycle d’auditions mené par le Conseil sur ce sujet, et le 8 mars vous avez travaillé sur le cyberharcèlement et l’exposition à la pornographie. Quelles ont été les conclusions-clés de ces échanges ?

Astrid : Nous avons interrogé divers acteurs et actrices du milieu. Les auditions ont été jusqu'ici très enrichissantes et nous avons pu récolter différents points de vue sur la situation. Un de nos premiers constats est que le numérique s’avère être un lieu de socialisation et de découverte pour les jeunes. Il leur permet de façonner leur identité, tant sur le plan affectif et relationnel. Il y a donc une réelle nécessité de réguler les réseaux sociaux, mais aussi d’apprendre aux plus jeunes à s’en servir. Cela pourrait s’ancrer dans une réflexion autour de l’éducation aux médias à l’école, notamment sur la question des fausses informations et de faire en sorte que les jeunes puissent développer un esprit critique. Cependant, il y a un réel manque d’éducation à la sexualité à l’école. Les trois heures par an sont souvent très peu respectées. Le numérique pourrait donc s’avérer être complémentaire dans cette éducation. Dans le cadre institutionnel, l’éducation à la sexualité s’avère être très hétéronormée et aborde peu d’alternatives. Internet peut être un lieu où des communautés et les minorités peuvent partager leurs opinions et leurs conseils.

En effet, lors de notre interview collective du 8 mars, il a été question de la solution du numérique comme mise en lumière des contre-discours. Les intervenantes ont souligné le fait qu’il fallait déconstruire les narratifs dominants. Il faut fournir des ressources positives aux plus jeunes, car il parait impossible d’interdire l’accès à la pornographie. L’éducation à la sexualité sur internet doit être pensée avec les enjeux de respect d’intégrité physique, de consentement, de prévention et de sensibilisation.

Vous allez organiser d’autres discussions de ce type ?

Clémence : Oui, cette première audition collective s’inscrit dans un cycle. Jeudi 21 mars, nous en avons animé une seconde, tournée quant à elle sur les ponts pouvant être imaginés entre l’éducation à la sexualité et celle aux médias et à l’information (EMI), qui apprend à décrypter l’information, notamment à savoir faire la part entre contenus émancipateurs et informations toxiques, fausses ou stéréotypées. Pour cela, nous accueillons Jean-Baptiste Lusignan (responsable prévention santé au Centre régional d'information et de prévention du sida (Crips) Ile-de-France), Séverin Ledru-Milon (professeur d'histoire-géographie et formateur CLEMI) et Karen Prévost-Sorbe (référente académique en Éducation aux Médias et à l’Information de l’académie d’Orléans-Tours et coordinatrice CLEMI). Le but est d’identifier des méthodes d’usage du numérique favorisant le développement d’un esprit critique par rapport aux contenus en ligne, pour apprendre à se repérer dans un espace informationnel en ébullition. Nous cherchons à coordonner les deux formes d’éducation : notre travail d’état des lieux préalable a montré qu’une transversalité pédagogique correspondrait davantage aux besoins réels, et les acteurs se rejoignent en de nombreuses problématiques. Un troisième rendez-vous aura ensuite lieu jeudi 4 avril 2024.

Trouvez-vous ce projet de groupe complémentaire des cours que vous suivez dans le Certificat égalité et dans votre cursus universitaire plus généralement ?

Astrid : J’ai réalisé la Certification “Genre et égalité” au Collège universitaire, puis je me suis inscrite en première année de master au Certificat égalité femmes-hommes et politiques publiques. Ce sont des problématiques qui me tiennent à cœur. Je pense que ces opportunités m’ont permis de développer mes connaissances théoriques que ce soit de sociologie du genre ou sur l’aspect de mise en place de politiques publiques. Le projet avec le Conseil national du numérique m’a permis de mettre mes connaissances à profit et s’inscrit réellement dans mes enseignements dans le Certificat et plus généralement à Sciences Po.

Sara : J'ai eu plusieurs occasions d'aborder les questions de genre, tant dans ma vie personnelle qu’académique, mais ce projet me permet de réinvestir pour la première fois mes connaissances dans la rédaction d'un rapport qui pourrait améliorer un aspect tellement essentiel pour l’avancée de l’égalité de genre. Ainsi, je peux enfin confronter les sujets étudiés à la réalité, en apprenant à formuler des recommandations concrètes, à identifier les initiatives déjà sur le terrain et à échanger directement avec les personnes impliquées. C'est enrichissant de voir à quel point les sujets discutés dans le cadre du Certificat existent et sont pertinents dans la pratique quotidienne, et de découvrir l'ampleur du travail réalisé par différentes personnes dans divers domaines ! Plus généralement, pour moi, étudiante dans le master International Governance and Diplomacy, ce projet m'offre un aperçu du processus de création des politiques publiques d’un angle plus local et national. C'est aussi l'occasion d'acquérir de nouvelles connaissances sur le fonctionnement des institutions en France et d'interagir avec elles.

Julie : Les enseignements théoriques axés sur le genre ont toujours fait partie de mon cursus à Sciences Po. Aussi, pour la confection de mon Grand écrit l’année dernière, j’avais choisi le thème “Démocratie paritaire et universalisme réaliste : les vertus démocratiques d’une application des mécanismes favorisant la parité en France”. Lorsque je me suis inscrite en master à l’École d’affaires publiques en spécialité Administration publique, participer au Certificat égalité femmes-hommes a été pour moi une évidence. Ce projet en collaboration avec le Conseil national du numérique est une occasion précieuse d’enfin mettre en pratique les connaissances et savoirs-faire acquis tout au long de ma scolarité pour servir un pré-requis primordial à une réelle égalité entre les femmes et les hommes : l’éducation sexuelle, sentimentale et affective.

Clémence : En bachelor sur le campus de Menton, j’ai senti que le point aveugle de ma formation se trouvait dans les perspectives de genre, que nous n’étudiions pas. C’est lors de ma troisième année à l’étranger, que j’ai choisi de me confronter à des cours inhérents au master de gender studies avec des cours de lecture critique de la littérature italienne. A mon retour, je souhaitais acquérir les outils nécessaires pour analyser l’efficience des politiques publiques déjà mises en place et celles à l’étude de nos jours. J’apprécie la complémentarité des cours du Certificat avec ce projet avec le Conseil national du numérique qui, tout en nous donnant à approcher un angle de recherche – exercice plutôt rare dans mon Master politiques publiques – nous amenant à discuter avec un large panel d’acteurs de terrain, nous engage à creuser un sujet fondamental pour notre génération : l’EVARS en ligne. Je vois également dans ce projet un signe d’évolution des mœurs académiques : il traite la lutte pour l'égalité femmes-hommes dans un cadre plus spécifique mais aussi plus sensible ; rappelant que, derrière des actes pour obtenir l’égalité dans les faits et donc des démarches très concrètes, économiques et politiques, est sous-tendue toute une relecture et déconstruction d’un système patriarcal diffus dans les outils quotidiens de communication et d’information.

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