Depuis les années 1980, les questions de droits humains, notamment économiques, sociaux et culturels, se sont progressivement imposées dans l'étude des causes de la pauvreté et des mesures qui permettraient de la réduire. Pourtant, force est de constater que les cas de non-respect, dénis et violations des droits humains n'ont pas sensiblement diminué. Les abus entraînés par le phénomène des acquisitions massives de terres agricoles dans les pays les plus pauvres de la planète en fournissent une bonne illustration. Dans ce contexte, les limites des principes volontaires sautent aux yeux, mais la revendication et la protection d'un droit contraignant, tel le droit à l'alimentation, offre des opportunités plus intéressantes pour les communautés locales et les acteurs qui les soutiennent.

La situation de la Russie a beaucoup évolué depuis l'époque de l'URSS et à la suite des réformes socioéconomiques menées en Russie au cours des vingt dernières années. Le système paternaliste étatique a été remplacé par un régime libéral dans lequel l'implication sociale de l'Etat est minime. Alors qu'à l'époque soviétique, l'écart était faible entre les plus hauts et les plus bas salaires et revenus, les inégalités sont aujourd'hui criantes et beaucoup plus accentuées que dans les autres pays européens. La pauvreté a également considérablement augmenté. Le minimum vital et les allocations sociales prévues par la législation sont aujourd'hui insuffisantes pour lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités.

La pauvreté est un phénomène qui se pose avec acuité au Royaume-Uni, berceau de la révolution industrielle, du Welfare State et de la contre-révolution néolibérale thatchérienne. L'article examine les approches utilisées pour mesurer la pauvreté, dresse un profil des populations les plus touchées, pour ensuite s'intéresser aux principales conséquences et aux réponses apportées par les pouvoirs publics depuis une quinzaine d'années. Plus récemment, la mise en œuvre d'un plan d'austérité draconienne sous le gouvernement de David Cameron accentue le phénomène de paupérisation en entraînant une augmentation de l'endettement des ménages les plus démunis. Cette situation a suscité un réveil des mouvements contestataires qui placent la lutte contre la pauvreté au cœur de leurs revendications.

Cet article se fonde sur l'ouvrage La disqualification sociale publié en 1991 et évalue les transformations majeures intervenues depuis cette date dans le champ de la pauvreté et de la précarité. Trois évolutions sont prises en compte : 1) le phénomène de la pauvreté touche désormais non plus seulement les personnes éloignées du marché de l'emploi et prises en charge au titre de l'assistance, mais aussi les salariés précaires dont il convient d'analyser la situation au regard des transformations des formes de l'intégration professionnelle ; 2) le rapport social à la pauvreté a aussi considérablement changé. Alors qu'il existait dans les années 1980 et 1990 un consensus sur l'impératif de s'acquitter de la dette nationale à l'égard des plus pauvres, les années 2000 ont été marquées par la montée de l'intolérance à l'égard des assistés, souvent considérés comme des paresseux et des profiteurs des aides sociales ; 3) la transformation du RMI en RSA a contribué enfin à instaurer ce que l'on peut appeler un nouveau régime de précarité assistée. En dépit de ces changements, il est possible de conclure que la pauvreté disqualifiante est désormais en France, comme dans d'autres pays européens, une configuration sociale durable.

Depuis la décennie 1980 et plus encore durant les années 1990, la transformation du champ de la lutte contre la pauvreté et l'affirmation de la société civile et des organisations non-gouvernementales (ONG) comme figures privilégiées de l'aide au développement a eu un impact significatif sur les objectifs poursuivis, les stratégies empruntées et les répertoires d'action des acteurs du développement. A partir d'une étude de ses promoteurs et de ses relais, cette contribution se propose d'explorer la rationalité politique du recours aux ONG et à la société civile comme double formule de développement et de démocratisation.

Malgré la montée en puissance de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud sur la scène internationale, et de leur catégorisation comme puissances émergentes, la lutte contre la pauvreté reste une priorité nationale dans chacun de ces pays. Dans ce cadre, plusieurs politiques et initiatives sont mises en oeuvre à la fois au niveau national et international : le forum IBSA qui regroupe ces trois émergents en est un exemple. Né en 2003, cette nouvelle coopération Sud-Sud (Inde, Brésil, Afrique du Sud) se fait le relais des priorités nationales et des intérêts communs de ses membres pour la résorption de la pauvreté au niveau interne mais aussi international. Leur coopération passe par des échanges trilatéraux et la conduite de projets de développement communs dans d'autres pays en développement via le fonds IBAS pour la lutte contre la faim et la pauvreté. Malgré ses limites, elle participe à l'affirmation et à la quête d'autonomie et à la légitimation de ses membres comme nouvelles puissances.

Les programmes sociaux de transferts monétaires conditionnels ont modifié la politique sociale du Brésil. Cet article analyse l'évolution des politiques publiques contre la pauvreté ainsi que les défis que devra affronter le pays à l'avenir. La première décennie du XXIe siècle a été marquée par la diminution de l'inégalité et de la pauvreté ; il est désormais essentiel d'améliorer la qualité des services publics pour que les bénéfices de la croissance du Brésil profitent à tous les Brésiliens.

Cette contribution propose une visite guidée des principaux axes de la recherche économique sur les relations entre éducation, inégalités et pauvreté: la théorie du capital humain comme cadre analytique et les principales estimations empiriques auxquelles elle a donné lieu; les inégalités constatées dans l'accès à l'éducation et les problèmes de discrimination; le rôle du marché du travail et enfin, le lien entre éducation et croissance économique. Les exemples que nous utilisons sont tirés principalement de l'expérience des pays en développement et des pays dits émergents. Une bibliographie relativement fournie permet de poursuivre l'exploration de cette question.

Tous les indicateurs socio-économiques de ces dernières années montrent que la pauvreté aux Etats-Unis n'est plus un phénomène qui touche essentiellement les minorités et les mères célibataires, confinées dans des ghettos urbains. Beaucoup de familles, paisiblement installées dans les banlieues huppées, se sont retrouvées marginalisées par le chômage et la saisie immobilière. La politique sociale, dont les orientations globales avaient été définies par le président Clinton (par la réforme de 1996) et par le président W. Bush (avec ses Faith-Based Intitatives), est aujourd'hui incapable de faire face à des problèmes sociaux d'une ampleur sans précédent depuis les années 1930. Le président Obama, de son côté, s'est attaqué à la question du chômage, des saisies immobilières et de la santé mais les mesures qu'il a prises ont un effet plutôt marginal sur la nature et l'étendue de la pauvreté. Par ailleurs, les pauvres ont disparu du discours officiel laissant accroire qu' Obama, par peur de perdre l'électorat blanc, ne souhaite pas devenir le candidat des pauvres et des Africains Américains.

Les enjeux liés à la politique de cohésion se sont multipliés ces dernières années. Cet article s'attache à montrer la contribution du Fonds social européen à la cohésion européenne mais également ses limites. Il analyse en effet dans quelle mesure l'Union européenne peut peser et accompagner le développement social inclusif des territoires alors même que les compétences en matière sociale relève du niveau national et que la construction de l'Union s'est avant tout fondée sur des considérations économiques. Le texte interroge la valeur ajoutée du Fonds social européen et la question de la gouvernance entre les différents niveaux d'intervention.

La mise sur agenda de la lutte contre la pauvreté à la Banque mondiale et au PNUD s'inscrit dans le temps long des politiques de coopération depuis les années 1970. Après deux décennies d'ajustements structurels et de programmes de désendettement (1996 et 1999), l'efficacité de l'aide a été amplement remise en cause. En réaction, les Objectifs du millénaire et l'insistance des bailleurs de fonds pour une plus grande efficacité de l'aide ont transformé les programmes de développement en programmes de lutte contre la pauvreté. Cet article analyse le développement des indicateurs, instruments d'analyses et modèles entourant les programmes de lutte contre la pauvreté. L'émergence de ces instruments techniques n'a pas marqué de réelle rupture dans l'élaboration des politiques mises en œuvre. Les soi-disants fondements démocratiques aux programmes ne favorisent guère le débat politique sur les causes de la pauvreté et des inégalités.

Ce texte analyse les dynamiques des mouvements sociaux dans les revendications liées à la lutte contre la pauvreté en Afrique. Il montre comment l'accroissement de l'activisme des organisations n'a eu qu'un impact direct limité au cours de ces dernières décennies sur la lutte contre la pauvreté. L'internationalisation de des revendications des mouvements sociaux a fait progressivement émerger une société civile internationale extrêmement active sur le terrain de la lutte contre la pauvreté et à laquelle les organisations africaines ont pris une part de plus en plus grande. Cette participation renouvelle les idées et les modes d'action sur les terrains d'intervention à l'échelle locale. L'article établit un état des lieux du militantisme des mouvements sociaux, s'intéresse à la lutte contre la pauvreté, thème qui émerge que lentement au sein de ces organisations à la faveur du déplacement et du renouvellement des terrains en lien direct avec leur implication dans les luttes qui prennent forme dans les arènes internationales.

Erigée en « championne des Objectifs du millénaire pour le développement » de par sa contribution majeure au recul de l'effectif de population en situation de grande pauvreté dans le monde, la Chine est plus que jamais confrontée à d'importants défis sociaux : chômage, condition des migrants ruraux, application de standards minimaux de travail décent, mise en place d'un système de protection sociale couvrant l'ensemble de la population... Il y a trente ans, « permettre à quelques-uns de s'enrichir en premier » avait été encouragé dans l'espoir de créer un effet d'entraînement susceptible de produire les conditions d'une prospérité générale. Face à l'aggravation des inégalités, l'accent a été mis sur le rééquilibrage du modèle de développement chinois et la « construction d'une société harmonieuse », passant notamment par la mise en œuvre de nouvelles politiques sociales, voire par la collaboration entre les autorités locales et le « tiers secteur ».

Les deux dernières décennies ont marqué l'extension d'un débat public global sur la pauvreté qui a fait naître de nouvelles définitions et constructions politiques et sociales. Ce texte aborde cette discussion en considérant la dimension géopolitique de la pauvreté et de la construction de programmes alternatifs et de résistances. Il analyse notamment le concept de souveraineté alimentaire, sa viabilité et sa visibilité rendue possible par l'internationalisation croissante des mouvements sociaux paysans, principaux acteurs dans ce processus.

L'Inde est à la fois un des pays où le taux de croissance est le plus élevé au monde et celui où le nombre de pauvres est le plus important. Ce paradoxe - dont les termes varient suivant les critères que l'on adopte pour définir la ligne de pauvreté - s'explique par le caractère très inégalitaire d'une trajectoire en forme de croissance sans développement. Cette pauvreté de masse frappe moins les villes (où les musulmans en sont toutefois parmi les premières victimes) que les campagnes en général et les Dalits (ex-intouchables) et les Adivasis (aborigènes) en particulier, notamment dans une vaste zone située au Nord et à l'Est de l'Inde. Dans cette région, lorsqu'en,outre, les aborigènes sont victimes de l'exploitation des ressources minérales dont regorgent leurs territoires, le mouvement maoïste s'étend. A ce titre - entre autre - la pauvreté constitue un immense défi politique pour la démocratie indienne.

Les révoltes qui secouent le monde arabe depuis la fin 2010 illustrent le sentiment d'injustice au sein des sociétés de cette partie du monde. Alors que leur population a triplé lors du dernier demi siècle, les pays du Maghreb, pétroliers ou non, ont été incapables de produire un système politique susceptible de prendre en charge les doléances sociales. Avec la fermeture des frontières, l'émigration ne peut plus remplir sa fonction d'exutoire, aussi les plus jeunes - diplômés ou non - sont contraints pour améliorer leur sort de prendre la parole et de dénoncer la concentration des richesses au profit d'une minorité, la corruption et la précarité dans laquelle ils se trouvent. La question sociale constitue au Maghreb un enjeu politique fondamental et la victoire des partis islamistes confirme le besoin, dans la région, d'une plus grande attention aux doléances sociales.

Pourquoi partent-ils ? A cette question, tout un chacun répond généralement parce qu'ils sont pauvres et/ou qu'ils n'ont pas de travail. La pauvreté joue sans doute un rôle déterminant dans les migrations internationales mais est loin de suffire à les expliquer. Par ailleurs, l'importance des montants des transferts de fonds émanant des émigrés vers leur pays d'origine laisse à penser aux institutions internationales et aux Etats qu'ils pourraient participer au développement. L'exemple des ressortissants maliens en France analysé dans cet article appelle à repenser les notions de pauvreté et de richesse au-delà de leur acception économique.

Les campagnes françaises sont aujourd'hui très majoritairement peuplées d'actifs peu qualifiés ouvriers et employés (7% d'agriculteurs seulement) et de non actifs modestes. Le taux de pauvreté rurale dépasse 15% dans plus du tiers des départements. Compte tenu de services sociaux et de transports déficitaires, la recherche d'emploi y est très difficile, notamment pour les jeunes et les femmes ; de véritables « trappes à pauvreté » et « zones de relégation » apparaissent. Le développement rural n'est guère favorisé par l'arrivée à la campagne de nombreux ménages modestes ou pauvres, rejetés hors zones urbaines notamment par le coût du logement.

En Colombie, l'élection présidentielle de 2010 a suscité une polémique sur l'effet des programmes sociaux sur le comportement électoral. Des voix venues de l'opposition et de la société civile ont accusé le gouvernement d'utiliser ces programmes de manière clientéliste au profit du candidat soutenu par le président sortant (et vainqueur du scrutin), Juan Manuel Santos. L'hypothèse d'un biais introduit par le programme Familias en Acción au profit de Santos peut être soutenue mais celui-ci n'a cependant pas été déterminant au point d'expliquer le résultat final de l'élection présidentielle. Il n'en reste pas moins que ce type de politiques publiques d'aide sociale conditionnée, de plus en plus populaires en Amérique latine, doit être sérieusement encadré pour éviter son utilisation à des fins électorales.

Le texte propose tout d'abord une description du positionnement du Nordeste dans les inégalités nationales. Les Etats qui composent cette région présentent les indicateurs de pauvreté les plus élevés, les plus faibles niveaux de développemen et les inégalités les plus importantes au sein du Brésil. La suite de l'article est consacrée à l'analyse du positionnement du Nordeste dans les rapports de pouvoir, les équilibres économiques nationaux, les circulations humaines et les imaginaires nationaux brésiliens. L'attention est portée, dans un premier temps, au processus de construction historique de la position périphérique de cette région, marquée, d'une part, par la force des oligarchies conservatrices et une riche histoire de mobilisations contestataires et d'autre part, par les politiques d'aménagement du territoire menées depuis la capitale fédérale. Dans un second temps sont abordées les continuités et transformations des rapports de domination propres à cette région, avec une mise au point sur les politiques actuelles de lutte contre la pauvreté et quelques éléments de débats sur la redéfinition participative des politiques de développement.

Deux catégories de population pauvre existent en Chine : celle des zones rurales, la plus démunie et la plus vaste, et celle des villes, constituée principalement de migrants. Ceux-ci, paysans venus chercher du travail et une opportunité d'améliorer leurs conditions de vie en zone urbaine, représentent aujourd'hui entre un quart et un tiers de la population des grandes villes chinoises et près de 20% de la population totale du pays. Les différences de revenu et de mode de vie existent dans toutes les sociétés urbaines, développées ou en développement. Mais le cas chinois est particulièrement marquant pour deux raisons : l'ampleur du décalage et le nombre de personnes concernées. Les migrants constituent une part significative de la population active et vivent différemment des autres citadins. Avec eux émerge une nouvelle catégorie sociale qui n'existe nulle part ailleurs, résultat d'un exode rural massif dans le pays le plus peuplé du monde.

L'article rappelle d'abord les méthodes de mesure des inégalités économiques dans le monde. Il donne ensuite les principaux résultats des recherches les plus récentes visant à mesurer ces inégalités et leur évolution. Puis il pose les termes du débat qui se déploie depuis vingt ans sur les liens entre la globalisation, la pauvreté et les inégalités. Pour finir, il aborde plus en détail la question de la désindustrialisation en Europe et de ses effets inégalitaires

L'article parcourt six décennies d'aide au développement et de lutte contre la pauvreté, montrant le passage d'une appréhension globale des « pays pauvres » à une prise de conscience croissante des disparités entre pays et des stratifications et inégalités sociales au sein de chacun d'entre eux. Sont couvertes des périodes aussi différentes que les débuts de la guerre froide et de la décolonisation, les grandes décennies du développement des années 1960 et 1970, sous influence des idées keynésiennes, jusqu'à l'hégémonie du néolibéralisme et finalement la proclamation des Objectifs du millénaire pour le développement en 2000. Cette lecture révèle la récurrence de débats sur le volume de l'aide, son efficacité, ses critères de ciblage, les effets d'opportunisme des pays donateurs comme des bénéficiaires et le maintien dans la dépendance des pays « en développement ». Ce parcours conduit à s'interroger sur la fonction de l'aide au développement dans les relations internationales : instrument performant de lutte contre la pauvreté ou de contrôle de menaces réelles ou imaginaires en provenance des pays pauvres et ainsi du maintien de la paix et du statu quo entre puissants ?

Cet article s'intéresse à la façon dont la pauvreté a été historiquement abordée par les sciences sociales. Il apparaît que les recherches existantes peuvent se classer selon quatre types d'approches. Il s'agit d'abord de définir la pauvreté. Savoir qui est pauvre est une question théorique et politique de première importance. Ensuite, l'analyse de la pauvreté semble intimement liée à celle de l'assistance. Toutes deux ont souvent été étudiées de concert. Le troisième type d'approche, plus débattu, observe la pauvreté sous le prisme de la culture qu'elle engendre et qui l'engendrerait. Enfin, la sociologie de la pauvreté s'accompagne toujours d'une sociologie générale et d'une théorie du rapport entre les groupes sociaux.

Malgré les progrès des statistiques internationales et la priorité affichée des organisations internationales à lutter contre la pauvreté, la quantification de la pauvreté demeure difficile. Cet article étudie la composition des principaux indicateurs relatifs à la pauvreté, analyse le contexte de leur élaboration et compare leur pertinence. Les fréquents usages détournés des indicateurs les plus notoires (PIB et RNB, IDH) masquent leur véritable nature : des comptes ou des valeurs moyennes calculées au niveau de l'habitant qui ne donnent qu'une évaluation trop partielle. Par ailleurs, des indicateurs plus spécifiques sont élaborés : certains ne retiennent que la composante monétaire (seuils de pauvreté, absolus ou relatifs) tandis que d'autres tentent de synthétiser en un seul indicateur les multiples dimensions des privations (IPM). Les tableaux de bord d'indicateurs distincts (ou dashboards dont les OMD s'inspirent), s'ils permettent de conserver l'exhaustivité des nuances de la pauvreté, rendent difficiles toute vision globale et toute interprétation.

Introduction du Ceriscope Pauvreté, publication scientifique en ligne du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) réalisée en partenariat avec l’Atelier de cartographie de Sciences Po.

Le sionisme a été fondamentalement un projet de recentrement géographique mais, qui, longtemps, a ignoré la question des frontières. Cette dernière ne s'est véritablement posée qu'avec la nécessité de défendre le territoire national fixé par la guerre de 1948. Un nouveau conflit, celui de 1967, devait la rouvrir, brutalement. Si certaines frontières ont été stabilisées depuis, il reste à tracer une limite politique avec le futur État palestinien. Son avènement marquerait du même coup l'achèvement étatique d'Israël.

Introduction du Ceriscope Frontières, publication scientifique en ligne du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) réalisée en partenariat avec l’Atelier de cartographie de Sciences Po.

La scène frontalière contemporaine est bien plus animée que les discours sur l'état d'un monde aplati par la globalisation le laissent entendre. L'inscription territoriale des phénomènes politiques et géopolitiques, économiques et démographiques s'accentue de sorte que les frontières politiques deviennent plus nombreuses, plus visibles et en plein règlement. Les contentieux persistent et on observe un recours croissant aux instances juridiques pour la gestion des différends. Les régimes de contrôle frontaliers se font plus stricts même s'ils s'avèrent plus dispersés. Bref les phénomènes de cloisonnement vont de pair avec la généralisation de l'ouverture aux flux de toutes natures.

Les savoirs sur la frontière relèvent de diverses disciplines mais, spontanément, la frontière est associée au territoire, à la souveraineté, à l'État, à la sécurité. Cet article vise à rendre compte des approches classiques de la frontière, de ce qui fait leur force et leur unité. Il vise aussi à décoloniser et décloisonner ces savoirs et présente une série d'approches alternatives où la frontière n'est pas l'enveloppe territoriale. La frontière, dans ce cas, ne serait-elle pas la mise en sens rétroactive, dans un monde fluide, des différences de perspectives entre groupes hétérogènes sur la mobilité et son contrôle et la légitimation de ces pratiques ?

La frontière, en tant que principe organisateur des relations internationales, a une histoire. Il faut tenir compte de celle-ci pour comprendre pourquoi, vu d'Europe, la notion de « dépassement des frontières » peut sembler une sorte d'idéal politique à atteindre, alors que vu d'ailleurs ce n'est pas nécessairement le cas. Le contraste des perceptions est, en l'occurrence, particulièrement net entre les anciennes puissances impériales européennes et les nations qui ont subi la domination de ces dernières. La signification de la souveraineté n'est historiquement pas la même chez les unes et les autres. L'homogénéité du discours sur le « village global » ou le « monde sans frontières » tend à faire perdre de vue cette différence fondamentale entre les trajectoires nationales. Elle n'en pèse pas moins dans la façon dont les Etats, européens et non-européens, se positionnent face à la mondialisation contemporaine.

La notion de frontière se confond avec l'histoire de l'humanité et ses acceptions sont multiples. Frontière-ligne, frontière-zone, confins, limite entre la civilisation et son contraire, le sauvage, le désert. La frontière se situe au point d'équilibre de trois données sociologiques : le territoire, l'État et la Nation. Marquant les contours d'un espace homogène, elle participe au fondement de l'État-Nation. Héritage de l'Histoire, son abornement est source de conflits lorsque frontière et fondements ethniques, religieux ou culturels des peuples résidants ne se recoupent pas comme dans le cas de la décolonisation en Afrique ou de la dissolution des anciens pays du bloc de l'Est. Compromis, équilibre instable et sujet à évolutions, il semble évident qu'il ne peut exister aucune frontière idéale.

En dépit de la Convention de Montego Bay régulant les différents espaces maritimes, force est de constater que les différends territoriaux concernent régulièrement les frontières maritimes. De nouvelles revendications territoriales voient actuellement le jour, en raison des enjeux économiques liés à l'appropriation de nouvelles ressources naturelles ou induits par le réchauffement climatique (cf. Arctique). La volonté de certains États d'affirmer leur puissance régionale peut également se traduire par une stratégie de « juridiction rampante » sur des zones maritimes voisines (cf. Mer de Chine). La nécessité de garantir la sûreté en mer se traduit, par ailleurs, par la surveillance du franchissement illicite des frontières maritimes (cf. immigration par mer) et par la lutte contre la criminalité exploitant les défaillances de certains espaces maritimes (cf. narcotrafic, piraterie).

Tandis que certains annoncent la « globalisation » du monde, l' « Europe » se cherche une frontière extérieure à laquelle ses États-membres seraient susceptibles d'articuler leurs mécanismes de contrôle et de surveillance des individus mobiles. Établissement d'une frontière et ancrage de l'Europe dans une modernité politique dépassée par les flux transnationaux, ou traçabilité des individus au moyen d'outils techniques déterritorialisés qui rendent la frontière-ligne géographique obsolète ? C'est là l'aporie face à laquelle se trouve aujourd'hui l' « Europe » - et, avec elle, les États-nations de l'ère de la modernité politique. Une aporie que nous nous proposons de discuter en explorant les pratiques de frontiérisation et leurs effets.

Marie-Laure Basilien-Gainche

A la suite du printemps arabe qui a marqué le début de cette année 2011, quelque 30 000 Nord-Africains ont débarqué sur les côtes italiennes et ainsi ravivé les peurs d'une Europe en crise de croissance et d'identité. Dénonciation d'un manque de solidarité entre Etats membres de l'Union dans le partage du « fardeau » de l'accueil des migrants par les uns, accusation d'un manque de vigilance dans les contrôles aux frontières extérieures de l'Union par d'autres, les tensions se sont avivées entre l'Italie et la France ; entre les Etats méditerranéens et les autres ; entre certains Etats membres et l'Union ; entre le Conseil et la Commission. Le débat sur une remise en cause des accords de Schengen met en évidence combien les fondamentaux de cet espace sont aujourd'hui malmenés, qu'il s'agisse de la libre circulation des personnes ou de la confiance mutuelle entre Etats membres.

Thomas Perrin

L'institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe est le produit de l'action combinée des principaux acteurs publics de la gouvernance communautaire à de multiples niveaux : les deux principales organisations européennes – Conseil de l'Europe et Union européenne ; les autorités territoriales et les États. Or, si cette action a eu pour résultat commun l'émergence et la multiplication d'espaces et d'organisations transfrontalières, communément désignées comme « eurorégions », cela ne va pas sans soulever de contradictions, à commencer par celle d'une « institutionnalisation sans institution », alors même que le droit européen ouvre de nouvelles perspectives de structuration juridique pour de telles organisations.

Géraldine Chatelard et Mohamed Kamel Doraï

L'émigration des Irakiens, qui remonte aux années 1990, s'inscrit dans la longue liste des migrations forcées qui marquent la région du Moyen-Orient à chaque nouvelle crise géopolitique. Elle est aussi le fruit de relations migratoires plus longues, qui s'appuient sur des logiques plurielles, contribuant à redéfinir les frontières entre l'Irak, la Syrie et la Jordanie. Ces deux derniers pays accueillent aujourd'hui l'essentiel des Irakiens qui quittent leur pays depuis le changement de régime, et jouent un rôle central dans l'architecture actuelle de la diaspora irakienne. Après avoir retracé les différentes phases d'arrivées des Irakiens dans ces deux pays, la question de la gestion de ce flux migratoire est traitée en montrant les convergences et les spécificités propres des politiques d'accueil mises en place.

Frédéric Lasserre

Deux grandes questions politico-juridiques structurent les relations des pays riverains de l'océan Arctique. La question du statut des passages arctiques diffère de la question des frontières maritimes dans l'Arctique, dont il sera question ici. Les médias relayent aujourd'hui, de façon récurrente, l'idée d'une course à la conquête des espaces maritimes arctiques. Cela fait plusieurs années que les pays riverains de l'Arctique préparent leurs dossiers destinés à étayer leurs arguments géologiques pour revendiquer des plateaux continentaux étendus. Ce n'est qu'en 2007 qu'une fièvre médiatique s'en est emparée, accréditant l'idée d'une course effrénée, alimentée par les changements climatiques pour la conquête des ressources naturelles de la région : une représentation très exagérée et peu conforme à la réalité tant historique que juridique.

La question des frontières reste d'une brûlante actualité dans toute l'Asie du Sud, notamment entre l'Inde et le Pakistan, deux pays nés en même temps qu'une partition sanglante en 1947. Le principal litige frontalier qui les oppose se situe au Cachemire, théâtre d'une guerre qui a donné lieu en 1948 à une ligne de cessez-le-feu qui a été rebaptisée « line of control » en 1972 mais dont le statut n'est toujours pas celui d'une frontière internationale. L'enjeu du Cachemire est quasiment existentiel pour les deux pays. Pour l'Inde, garder dans son giron sa seule province à majorité musulmane est essentiel à sa qualité multiculturelle. Pour le Pakistan, tenir cette région dans ses frontières validerait sa prétention à servir de « homeland » aux Musulmans de l'Asie du Sud.

Justine Guichard

La division des deux Corées est souvent considérée comme le dernier vestige de la guerre froide, vingt ans après l'effondrement de l'URSS et la fin de sa rivalité avec les États-Unis. Si l'antagonisme entre les deux blocs a indéniablement contribué à l'enracinement et au maintien de la division, cette dernière a aussi été structurée par des forces et des logiques qui, sans être étrangères à la guerre froide, la dépassaient et continuent aujourd'hui de s'exercer. Comprendre la frontière coréenne revient donc à s'aventurer par-delà la guerre froide, non seulement sur le plan chronologique mais également du point de vue de l'analyse afin de restituer le rôle des acteurs de premier plan que sont les deux Corées elles-mêmes et les autres puissances d'un ordre régional désormais multipolaire.

Avec l'avènement de la république populaire de Chine le 1er octobre 1949 et le repli concomitant des institutions de la république de Chine à Taiwan, la frontière sino-taiwanaise est, depuis lors, l'objet d'un contentieux multiforme, tant en ce qui concerne son tracé que son statut. Bien que Pékin ne soit pas parvenu à exercer son contrôle sur l'île de Taiwan, la frontière sino-taiwanaise n'est pas reconnue comme une frontière interétatique, ni par le régime chinois, ni par la communauté internationale. Pour autant, si le maintien du statu quo reste l'objectif prioritaire des dirigeants taiwanais, quel que soit le parti au pouvoir, les clivages partisans s'ordonnent autour de l'alternative réunification/indépendance. En outre, le vaste mouvement de délocalisation de l'industrie taiwanaise sur le continent a engendré un processus complexe d'ouverture de la frontière mais qui va de pair avec sa militarisation croissante.

Tristan Bruslé

La frontière indo-népalaise est des plus perméables. Chaque jour, elle est librement franchie par des milliers de Népalais et d'Indiens pour qui elle n'existe finalement que sur le papier. Les flux d'hommes et de marchandises, différentiellement régulés par des traités depuis 1950, sont ininterrompus de sorte que les deux pays sont intrinsèquement liés l'un à l'autre. Mais ces échanges se font principalement au bénéfice de l'Inde, qui par ce biais assoit sa domination sur le Népal. Dans la continuité de la politique himalayenne de l'Empire britannique, l'Inde considère en effet son voisin comme garant de sa propre sécurité. Dans ce contexte, l'ouverture des frontières va de pair avec une dépendance économique et politique du Népal vis-à-vis de son « grand frère » sud-asiatique.

Contrairement à l'opinion commune, les conflits de frontière ont été relativement rares sur le continent africain depuis les indépendances. Le conflit entre Érythrée et Éthiopie est de ce point de vue paradoxal. La question frontalière n'était qu'une des causes du conflit mais la médiation internationale en a fait la raison centrale. Ce conflit vise également pour certains à séparer, dans des structures étatiques, différentes un même groupe ethnique. Le conflit de frontière apparaît surtout comme un moment endogène de la construction étatique, même s'il met en lumière des dynamiques régionales.

Le conflit du Sahara Occidental apparaît comme le principal facteur de blocage dans la construction d'une intégration régionale. Pour la monarchie marocaine, il lui a permis de s'approprier le sentiment nationaliste alors porté par le mouvement de l'Istiqlal qui faisait de la cause du grand Maroc l'un de ses combats politiques. Pour le régime algérien, il a représenté un moyen de justifier le pouvoir d'une armée et d'entretenir le sentiment nationaliste. L'avantage du conflit saharien était évident : l'instauration, sous couvert d'un sentiment nationaliste, de régimes politiques autoritaires. Depuis une décennie, ce conflit « gelé » est bloqué à la fois par « le statut avancé » du Maroc avec l'UE, qui n'ose aborder ce problème et le retour de l'abondance financière en Algérie qui alimente son intransigeance sur le dossier.

Laurent Lacroix et Laetitia Perrier-Bruslé

En avril 2009, la Bolivie et le Paraguay signent un traité de démarcation frontalière qui met fin à un contentieux frontalier né de la guerre du Chaco (1932-1935). Pour les deux seuls pays enclavés du continent américain, l'enjeu consiste désormais à réhabiliter une région frontalière qui a longtemps constitué un glacis. Malgré les projets d'intégration économique et de coopération bilatérale, la frontière reste un thème sensible, à l'origine de quelques tensions diplomatiques et militaires. Les deux pays devront outrepasser ces contretemps liés à la mémoire collective encore marquée par le conflit armé qui les a opposés. Sans quoi, le Chaco pourrait bien demeurer un angle mort dans les mégaprojets définis dans le cadre de l'intégration de la région sud-américaine (IIRSA) et rester un espace idéal pour les contrebandiers et les trafiquants.

Michel Bruneau

Une diaspora est une construction communautaire et identitaire particulière, issue de plusieurs phases de dispersion, ou de différents types de migrations et de la combinaison de plusieurs identités, liées aux différents pays d'accueil et au pays d'origine. Elle a une existence propre, en dehors de tout État, s'enracine dans une culture forte (religion, langue…) et des temps longs. Le modèle hybride a-centré de la diaspora noire des Amériques n'a pas de noyau dur identitaire ni de continuité ou de tradition, mais des formations variables, en rupture, obéissant à une logique du métissage. On voit aujourd'hui apparaître de nouvelles formes de territorialités transnationales qui obéissent à d'autres logiques. Ce sont les communautés transnationales qui sont nées, dans la seconde moitié du XXe siècle, de la migration de travailleurs conservant leurs bases familiales dans leur État-nation d'origine et circulant entre cette base et un ou plusieurs pays d'installation.

Adeline Braux

Le grand mouvement d'échanges migratoires qui a eu lieu dans la période ayant immédiatement suivi la disparition de l'URSS a conduit à la constitution, sur le sol russe, de ce qu'on appelle désormais des « diasporas ». Pour les communautés immigrées arménienne, azerbaïdjanaise et géorgienne, le petit commerce demeure une voie d'intégration économique privilégiée, suscitant souvent des réactions d'hostilité dans la société russe. À bien des égards, elles font figure désormais de minorités intermédiaires, sortes de « tampons » entre les élites et les masses, d'autant plus que, depuis les années 2000, le curseur des griefs faits habituellement aux immigrés, semble s'être déplacé vers les migrants originaires d'Asie centrale. Contrairement à ces derniers, les ressortissants des pays du Sud-Caucase peuvent toutefois compter sur l'appui de leurs pays d'origine qui ont développé, à des degrés divers, des politiques à destination de leurs émigrés.

Avec la mondialisation des migrations et les politiques de contrôle renforcé des frontières mises en place par la plupart des pays d'arrivée, de nombreux flux migratoires sont devenus illégaux. Les causes en sont multiples : difficulté des pays d'accueil à reconnaître qu'ils manquent de main-d'oeuvre dans les secteurs non qualifiés, souvent pourvus par des sans papiers, crise du droit d'asile où 80% des demandeurs sont aujourd'hui déboutés, laissant dans la clandestinité le plus grand nombre, envie d'ailleurs de nombreux jeunes scolarisés, informés et sans emploi au sud dont la traversée clandestine passe pour une odyssée. Aussi, la distinction des migrations entre flux légaux et illégaux est-elle devenue particulièrement pertinente car du statut découlent les conditions de circulation, d'installation et d'entrée sur le marché du travail.

Après avoir illustré comment la science économique envisage l'enjeu spatial, on analyse l'innovation majeure apportée par la globalisation : là où le commerce international se heurtait à un « effet-frontière » relativement identifiable et linéaire (un tarif douanier), il est avant tout confronté aujourd'hui à des obstacles territoriaux. Ainsi, accroître les échanges internationaux demande de négocier sur les règles du jeu internes à chaque économie : droit de la concurrence, du travail, de la consommation, de l'environnement, etc. De fait, ceci met en question la construction progressive de ces économies et de leur armature institutionnelle, sur les décennies et parfois les siècles passés. C'est la rencontre de l'histoire et de la géographie. Et parce que redessiner les frontières demande donc de renégocier la constitution civile des marchés, au plan interne, l'économie politique de la libéralisation devient elle-même beaucoup plus complexe. Après avoir analysé la réponse européenne à ce dilemme régulation interne / ouverture externe, on identifie trois principes génériques de coordination par lesquels envisager la renégociation des frontières : le traité international, la reconnaissance mutuelle des normes, et l'hégémonie.

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