Christophe Jaffrelot et Nicolas Belorgey
L’inde a engagé en 2009 un programme d’identification biométrique de sa population. Il s’agissait à l’origine d’un projet né au sein des entreprises informatiques basées à Bangalore, et son principal architecte, Nandan Nilekani, était d’ailleurs le patron d’une de ces grandes firmes. Leur dessein était d’utiliser les techniques du numérique et les données qu’elles permettent de recueillir à des fins économiques. Mais pour enregistrer l’ensemble de la population indienne, il fallait convaincre l’Etat de s’investir dans l’opération. L’argument qui emporta l’adhésion du gouvernement fut financier : ce programme, nommé Aadhaar, permettrait de distribuer les fonds d’aide aux pauvres en minimisant les pertes liées notamment à la corruption et à l’existence de doublons parmi les bénéficiaires. Or être identifié par Aadhaar est devenu peu à peu nécessaire pour réaliser de multiples opérations de la vie courante, y compris pour payer ses impôts. Saisie, la Cour suprême a tardé à se prononcer et n’a pas cherché à protéger la vie privée des personnes d’une manière convaincante. Aadhaar n’a pas non plus préservé la qualité des services rendus aux pauvres – loin de là – et son impact économique est encore à prouver, même si les opérateurs qui croient que data is the new oil se situent dans une perspective de long terme.