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04.12.2025
Narcotrafic : l’éclairage des chercheurs du Centre d’études européennes et de politique comparée
Les trafics de stupéfiants et le crime organisé sont des préoccupations grandissantes, en France comme en Europe. Le marché des drogues illicites a triplé en France hexagonale entre 2010 et 2023 et le marché de la cocaïne dépasse désormais, en valeur, celui du cannabis selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). En une décennie, les saisies de cocaïne ont quadruplé en Europe selon la European Union Drug Agency (EUDA). Blanchiment, corruption, violence déstabilisent les États et les sociétés confrontés au narcotrafic (voir par exemple le World Drug Report 2025).
Les travaux de nos chercheurs apportent un éclairage scientifique, comparatif et fondé empiriquement sur les dynamiques du narcotrafic et du crime organisé en France et en Europe.
Comment la cocaïne arrive en France
Gabriel Feltran, directeur de recherche CNRS en sociologie au CEE, étudie la chaîne de valeur du trafic de cocaïne vers la France hexagonale. Dans ce cadre, il a enquêté dans les ports du Havre et Rotterdam (projet financé par la MILDECA), ainsi qu’en Guyane, en partenariat avec la Direction des services pénitentiaires d'outre-mer (DSPOM).
Un premier résultat, intitulé « Les factions criminelles brésiliennes en Guyane », approfondit la connaissance des dynamiques du narcotrafic en Guyane, à la croisée des violences locales et des mutations globales du marché de la drogue.
2 constats majeurs :
- La violence visible en Guyane (conflits locaux entre factions brésiliennes et guyanaise) masque une économie criminelle bien plus vaste, transnationale, lucrative et structurée.
- Le marché de gros de la cocaïne fonctionne de plus en plus comme une économie de plateforme, connectant producteurs, transporteurs et revendeurs dans un modèle décentralisé et en pleine croissance.
Dans cet entretien vidéo, Gabriel Feltran revient sur les enseignements de cette enquête de terrain, menée notamment en milieu carcéral.
Retrouvez aussi ces recherches dans CNRS le Journal : Du Brésil à l’Europe, les nouvelles routes de la cocaïne (1er décembre 2025).
Trafic de drogue, réseaux criminels et violence
Paolo Campana, professeur de criminologie à l’Université de Cambridge et chercheur associé au CEE, a beaucoup travaillé sur la modélisation des réseaux criminels, notamment à partir de données provenant des services de police au Royaume-Uni (Londres, Liverpool, comté de Cambridge…).
En matière de diffusion du crime organisé, il a ainsi montré que l’existence de marchés locaux de la drogue rendent les quartiers attrayants pour l’installation d’autres types d’activités de criminalité organisée. D’autre part, les groupes criminels organisés semblent cibler des territoires aux caractéristiques socio-démographiques similaires à leur territoire d’origine lorsqu'ils étendent leurs activités.
Par ailleurs, le trafic de stupéfiants apparaît comme un facteur déterminant dans la coopération entre groupes criminels organisés, contrairement aux autres types d’activités criminelles (vols, fraudes, cambriolages, braquages). Or, ces connexions créent des groupes plus forts et plus enracinés. En outre, les groupes les plus connectés sont aussi les plus violents, la violence émergeant typiquement en cas de rupture de la coopération.
Le triptyque production, commerce, gouvernance : un nouveau cadre d’analyse du crime organisé
Depuis des décennies, la criminalité organisée a été abordée comme le fait de groupes hiérarchiques et durables. Une vision incomplète et inopérante pour la lutte contre le crime organisé, d’après les recherches de Federico Varese, professeur des universités en sociologie au CEE.
Dans son projet CrimGov, financé par une prestigieuse bourse du Conseil européen de la recherche (ERC), il envisage la criminalité organisée comme un ensemble de services : la production (de biens illégaux), le commerce (circulation de biens et de personnes) et la gouvernance (le contrôle de marchés et de territoires).
Ce cadre d’analyse a d’ailleurs été repris dans le dernier rapport mondial sur les drogues de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
Cette distinction est cruciale en matière de lutte contre le crime organisé, dont le narcotrafic. Si les politiques se concentrent uniquement sur les groupes et non sur les activités, elles risquent de manquer leur cible. Chaque type de service exige en effet des outils de lutte spécifiques.
- La production suppose une régulation industrielle et environnementale, le traçage des précurseurs et le ciblage financier.
- Le commerce requiert une coopération douanière, une surveillance maritime et des sanctions ciblées sur les facilitateurs.
- La gouvernance appelle un renseignement policier territorialisé mais aussi une action sociale et une rénovation urbaine car la gouvernance criminelle est plus susceptible d'émerger lorsque les services publics sont peu accessibles ou de moindre qualité.
Aller plus loin
"Une tactique courante de la mafia sicilienne" : après l’assassinat de Mehdi Kessaci, le regard de Federico Varese*, L’Express, 20 novembre 2025
Narcotrafic : la France, terre d’expansion du PCC, redoutable groupe criminel brésilien*, Le Monde, 26 février 2025, avec Gabriel Feltran
Rapport “Filières atlantiques. Le PCC et le commerce de la cocaïne entre le Brésil et l'Afrique de l'Ouest”, Gabriel Feltran, Isabela Vianna Pinho, Lucia Bird Ruiz Benitez de Lugo, Global Initiative against Transnational Organised Crime, août 2023
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(crédits : David Huamani Bedoya)
