Visualiser les «choix nucléaires»

L’Atelier de cartographie de Sciences Po a conçu quelques planches graphiques pour illustrer le livre de Benoît Pelopidas (Repenser les choix nucléaires, la séduction de l’impossible) paru aux Presses de Sciences Po en janvier 2022.

Proposer un contre-discours sur le nucléaire

Benoît Pelopidas déconstruit les arguments qui mènent à l’illusion des politiques nucléaires contemporaines – elles seraient les meilleures ou les seules possibles –, il propose ensuite des justifications à ces politiques puis il fournit des options alternatives. 

L’auteur apporte un diagnostic inédit sur ces arguments dominants, en France notamment : la prolifération nucléaire serait inévitable, le pays aurait su prévenir toute explosion nucléaire accidentelle grâce à son contrôle parfait des arsenaux, les populations soutiendraient cette politique (le fameux “consensus français sur la dissuasion nucléaire”) ou, encore, les experts auraient proposé des alternatives crédibles si elles existaient.

La volonté d’indépendance de l’auteur est remarquable : son programme Nuclear Knowledges (Ceri-Sciences Po) refuse depuis sa création le financement des acteurs pro-nucléaires (ministères de la Défense des États dotés, industrie de l’armement) comme anti-nucléaires (associations abolitionnistes) et n’est financé que sur la base de l’évaluation par les pairs et de l’excellence académique. 

Pour étayer ce “contre-discours nucléaire », le livre contient quelques visualisations (graphiques, schémas, cartes, etc.) que ce billet propose de commenter brièvement.

Réfuter mythes et contre-vérités

Benoît Pelopidas montre l’obsolescence de certaines observations, telle celle du “nouvel État doté tous les cinq ans”, seulement valide jusqu’à la fin des années 1970, et déconstruit des mythes comme celui de “l’État qui développe automatiquement un programme nucléaire dès qu’il en a les moyens”. Dans les deux cas, des graphiques apportent une contribution utile à la démonstration (respectivement des courbes et des bubble timelines).

Affiner les catégories

À partir d’un travail de compilation et de vérification des travaux académiques, Benoît Pelopidas dresse un état des lieux mondial de tous les programmes nucléaires militaires depuis 1945. Cette exhaustivité se double d’une réflexion sur la pertinence des critères retenus.

Par exemple, considérer les seuls “États dotés” ne permet pas d’envisager les risques que présentent le nucléaire militaire (explosions, vols, menace terrorisme, etc.). Ainsi, un diagnostic judicieux considère aussi les programmes menés ainsi que les États hôtes des armes nucléaires de leurs alliés – cinq pays européens sont dans cette dernière situation en 2022. En raisonnant de la sorte, le nucléaire militaire a connu une apogée pendant la Guerre froide et n’a cessé de diminuer/stagner depuis le début des années 1990.

De la même manière, cette “prolifération horizontale” (comprendre : la multiplication du nombre d’États dotés) s’est opérée grâce à l’aide des cinq États membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu ainsi que du Pakistan ; ce que montre bien une modeste matrice ordonnable (c’est-à-dire quelques cases bien agencées).

Proposer une typologie inédite

Prendre en compte ces nuances en matière de nucléaire militaire (doté, programme mené, hôte) sur l’ensemble de la période depuis 1945 permet d’établir une typologie inédite qui dépasse les catégories traditionnelles mais restrictives issues des paradigmes de la prolifération et du désarmement. En effet, ceux-ci excluent, de facto, la majorité des États, ceux qui ont renoncé aux armes nucléaires et développé des stratégies non-nucléaire de sécurité.

Ainsi, une approche vraiment globale permet de considérer l’ensemble des choix des États face au nucléaire militaire, dont celui majoritaire (au moins 143 États sur 194) de n’avoir jamais montré d’intérêt pour l’arme nucléaire. Cette catégorie des États qui ont renoncé (teintes vertes) représente aujourd’hui presque trois quarts des États.

Traduire des arguments en images

Au-delà de ces quelques exemples, le texte de Benoît Pelopidas mobilise fréquemment des cas historiques ou des comparaisons factuelles… qui auraient pu être transformées en (data)visualisations. Dès l’introduction (p.16), l’auteur met en exergue un paradoxe de “temporalités extrêmes” ; signalant au passage que ce choix du nucléaire militaire en France engage des dépenses colossales sur plusieurs générations et ne fait l’objet d’aucun débat démocratique. 

Données, visualisations et nucléaire

Le sujet du nucléaire a fait l’objet de nombreuses cartes et visualisations de données. 

D’abord, en matière de données, les centres de recherche spécialisés tiennent à jour des estimations des capacités nucléaires des États (The Military balance, Nuclear notebook ou Sipri yearbook). Ensuite et sur le volet plus géographique, certains aspects stratégiques sont bien montrés grâce à des cartes montrant des courbes dites « isochrones » pour délimiter la portée de missiles ou les zones affectées (détruites, irradiées) par de possibles explosions nucléaires. 

À l’instar des travaux de Benoît Pelopidas, d’autres travaux indépendants utilisent des visualisations graphiques. On pense au notoire Nuclear war atlas du géographe Bill Bunge de 1982, qui alertait sur les ravages que provoquerait un conflit nucléaire sur le territoire états-unien ; ou aux World nuclear industry status report annuels, où les graphiques d’Agnès Stienne illustrent l’évolution des centrales nucléaires dans le monde (constructions, fermetures, vieillissement généralisé des installations, etc.). 

Enfin, le volet plus politique de la coopération internationale sur le nucléaire a aussi été mis en images. Ainsi, des travaux récents du Groupe de recherche sur l’action multilatérale (Gram) ont par exemple abordé le vote historique à l’Assemblée générale de l’Onu, en 2017, qui a abouti à la création du Traité d’interdiction des armes nucléaires :

Tiré de Devin, Martin et Saiget, “De quoi parle-t-on à l’AG de l’Onu ?”, in Devin et al.,
L’Assemblée générale de l’Onu, Presses de Sciences Po, 2020. 

Liens


Entretiens :

  • écrit, par Myriam Périer (Ceri, mai 2022) 
  • vidéo, par Fabien Escalona (Mediapart, avril 2022)
  • audio, dans The Flares (janvier 2022)

Recensions :