Crédit : Benoît Martin, 2019.


Carnet de recherche

Cartographier les discours sur l’Indo Pacifique

Benoît Martin
Publié le 18/12/2019

Cet article relate les travaux menés en 2018-2019 par un étudiant du Master de relations internationales de l’École doctorale de Sciences Po, Thibault Fournol. À l’initiative de Delphine Allès, dans son cours « l’Asie et les relations internationales », Thibault a analysé des discours officiels pour dévoiler les différentes visions stratégiques de cet « espace Indo Pacifique ». L’Atelier de cartographie l’a accompagné dans son travail.


Transformer des discours en cartes

Sept acteurs mobilisent le concept d’Indo-Pacifique : l’Australie, les États-Unis, la France, l’Inde, l’Indonésie, le Japon et, plus récemment en 2019, l’Asean. Pour Thibault, ce concept « relève jusqu’à présent d’un slogan politique flou et ambigu » ; d’où sa volonté d’en dresser des contours (plus) précis… en le cartographiant.

Les sources rassemblées se composent de discours tenus par des représentants officiels : allocutions de chefs d’État, de gouvernement, de ministres des Affaires étrangères ou de la Défense. D’autres documents officiels (rapports, brochures ou livres blancs) viennent parfois compléter ce corpus. Un échantillon de trois discours est ensuite retenu pour chacun des 6 États étudiés selon un double critère : chronologique (en privilégiant les plus récents) et d’exhaustivité (en recherchant le panorama sur l’Indo Pacifique affiché par l’État).

Thibault réalise alors, manuellement, une série de cartes pour illustrer chacune des visions stratégiques de cet espace Indo Pacifique.

Collage à partir des réalisations de Thibault Fournol.

Par la suite, l’approche comparative est préférée à celle monographique : révéler les similitudes et les différences entre ces 6 visions stratégiques plutôt que de les étudier séparément. Cette démarche nécessite d’utiliser une grille commune, élaborée à partir d’un balayage de l’ensemble du corpus. Quatre dimensions émergent alors des discours : l’établissement de partenariats bilatéraux, la coopération régionale, l’identification des menaces déstabilisatrices pour la région et, enfin, la formulation d’un concept, souvent sous forme de slogan.

Collage à partir des réalisations de Thibault Fournol.

Une typologie des visions de l’Indo Pacifique

En relevant ainsi les informations factuelles contenues dans les discours, puis en les cartographiant, Thibault Fournol distingue trois types de « visions » qu’il présente ainsi :

  1. une vision projective, portée par les États-Unis et le Japon, qui s’appuie sur la promotion de valeurs (liberté, prospérité, ouverture, etc.) et la projection de leur influence dans cet espace. Le Japon a récemment remplacé le concept de « Arch of freedom and prosperity » par celui de « Free and open Indo-Pacific (FOIP) » . Il s’agit avant tout d’une diplomatie axée sur le partage de valeurs communes et la consolidation de ses partenariats, notamment avec les membres du « diamant de la sécurité ». L’idée de FOIP a été ensuite reprise par les États-Unis qui envisagent l’Indo Pacifique comme une grande toile de partenariats stratégiques bilatéraux dont la solidité repose sur l’affirmation de sa présence militaire dans la région.
  2. une vision inclusive, celle de l’Inde et de l’Indonésie, qui promeuvent un discours inclusif et régionaliste. L’objectif affiché par l’Inde de construire une région de dialogue, ouverte et inclusive reflète l’importante place occupée par la coopération régionale au sein de la vision indienne, tout en faisant de son partenariat avec le Japon l’une des pierres angulaires de « l’Act East Policy » visant à approfondir les liens entre l’Inde et son voisinage oriental. L’Indonésie, qui se considère comme « pivot maritime global » est également le tenant d’une approche régionaliste reposant largement sur le cadre coopératif déjà offert par l’Asean, destiné à devenir l’élément moteur de l’architecture indopacifique.
  3. une vision mixte, adoptée par l’Australie et la France, situé entre le renforcement de la coopération régionale et la projection d’influence. « L’arc stratégique » indopacifique sert à l’Australie pour élaborer un réseau de coopération régionale (centré sur l’Asean et des structures élargies), tout en diversifiant ses partenariats et en maintenant une relation étroite avec les États-Unis mais aussi l’Inde et l’Indonésie (« triangle indopacifique »). Cette approche est aussi celle de la France qui, avec des territoires dans les deux océans, s’appuie à la fois sur le renforcement de partenariats stratégiques bilatéraux (entre autres, « l’axe indopacifique Paris/New Delhi/Canberra ») et sur la promotion d’un dialogue régional multilatéral (tout en insistant sur la sécurité maritime et environnementale).

Crédit : Benoît Martin, 2019