Les canaux de transmission de la crise de 2009 en Amérique latine

Écrit par Bénédicte Baduel

La crise financière internationale qui a commencé par la crise des subprimes aux Etats-Unis pendant l'été 2007 s'est amplifiée avec la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008. A l'heure où presque toutes les économies du globe sont en récession, l'Amérique latine n'est bien sûr pas indemne. La région a pourtant fait preuve d'une bonne résistance dans la première phase de la crise : malgré la volatilité accrue des marchés internationaux, les pays latino-américains n'ont pas subi de graves troubles monétaires et financiers et les économies ont continué de croitre à des rythmes soutenus jusqu'au troisième trimestre de 2008.  Mais, avec l'aggravation de la crise financière, l'entrée en récession des grands pays industrialisés et le ralentissement des économies asiatiques, la région a à son tour accusé une décélération brutale qui met fin à un cycle de six années de croissance forte.

La crise s'est transmise aux économies latino-américaines à travers plusieurs canaux. Un premier vecteur de transmission, en particulier pour les économies émergentes, est le canal financier. L'assèchement de la liquidité internationale entraîne des difficultés d'accès et une hausse du coût des financements externes, d'autant plus fortes pour ces pays qu'ils subissent de plein fouet la montée de l'aversion au risque émergent. Le flight to quality des capitaux vers les pays industrialisés jugés moins risqués que les économies en développement peut alors entraîner d'importants déséquilibres monétaires et financiers pour les pays qui sont confrontés à de fortes et soudaines sorties de capitaux. Dans le cadre de la crise actuelle, l'instabilité des marchés financiers depuis l'éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis a surtout affecté l'Amérique latine après la faillite de Lehman Brothers. Les monnaies latino-américaines, qui suivaient une tendance à l'appréciation depuis plusieurs mois se sont alors fortement dépréciées. De même, les bourses ont chuté et les spreads[1] des euro-obligations souveraines ont explosé rendant plus difficiles et plus couteuses les possibilités de financement sur les marchés internationaux.

 

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Cependant, malgré l'exacerbation de la volatilité des variables financières, aucun pays de la région n'a été confronté à des attaques spéculatives ou n'a du faire face à une crise de liquidité. Contrairement à d'autres pays émergents (Islande, Ukraine, Pakistan, Roumanie plus récemment...) ou à des crises passées (tequila, asiatique...), aucun pays d'Amérique latine n'a du recourir en catastrophe à l'aide du Fonds Monétaire International[2]. Cette situation -à plusieurs égards inédite-, s'explique par le fait que le cycle de forte croissance de 2003-2008 s'est accompagné d'une réduction de la vulnérabilité financière des pays de la région. D'une part, contrairement à d'autres épisodes de croissance soutenue, ce cycle n'a pas été caractérisé par des déséquilibres externes. Ainsi, malgré le dynamisme de la demande interne (qui implique la hausse des importations) la région a bénéficié de l'évolution favorable de ses termes de l'échange[3] (sauf pour les petites économies d'Amérique centrale, importatrices nettes de matières premières) et d'entrées de capitaux (investissements directs à l'étranger notamment) ce qui a permis à bon nombre de pays de dégager des excédents courants. D'autre part, la gestion macroéconomique a été dans l'ensemble plus rigoureuse conduisant à l'assainissement des finances publiques : les économies latino-américaines ont dégagé des excédents budgétaires, réduit leur dette externe (graphique) et accumulé d'importantes réserves de change. Tous ces éléments ont limité les besoins de financement à court terme et ont donc contribué à l'amélioration de la perception du risque financier dans la région, relayée d'ailleurs par les agences de qualification qui ont augmenté les notes de plusieurs pays latino-américains. Par exemple, le Brésil et le Pérou ont accédé au statut d'Investment grade, jusqu'alors seulement détenu par le Chili et le Mexique.

 

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Tout de même, si l'on relève une tendance commune d'évolution de ces variables à l'échelle de la région, l'ampleur de la volatilité varie selon les pays. Ainsi, les actions de certains Etats, perçues comme défavorables au marché ont été plus sanctionnées. C'est le cas de l'Argentine (qui a nationalisé les fonds de pensions privés en octobre 2008) ou de l'Equateur (qui s'est déclaré en défaut sur sa dette « illégitime » en décembre 2008) pour lesquels les spreads ont plus augmenté et les notes de risque-pays ont été downgradées. Enfin, si la demande mondiale demeure durablement atone et se conjugue à une forte baisse des flux de capitaux les besoins de financements non satisfaits pourraient augmenter et les équilibres macroéconomiques se dégrader en 2009 et 2010 pour l'ensemble des pays.

Autre voie de transmission de la crise, le canal commercial a joué à deux niveaux pour les économies de la région. D'abord, les exportations ont diminué en volume du fait de la baisse de la demande mondiale suite au ralentissement des économies américaine et européennes. Le Mexique ainsi que les pays centroaméricains, très dépendants de la demande des Etats-Unis ont été particulièrement touchés par ce canal (graphique). D'autres pays, comme le Brésil ou le Chili qui ont des exportations plus diversifiées géographiquement ont résisté plus longtemps mais ont été affectés lorsque les  demandes asiatique et régionale ont-elles aussi fléchies. Ensuite, il y a eu également un fort « effet valeur » qui a pesé sur les exportations d'un certain nombre d'économies de la région après le retournement des prix des commodities à partir de mi-2008. Les pays les plus touchés ont donc été les pays exportateurs d'énergie (Mexique, Bolivie, Equateur, Venezuela), de produits miniers (Chili, Pérou) ou de produits agricoles (Argentine). Du fait du maintien du dynamisme de la demande interne jusque fin 2008, les excédents commerciaux de la plupart des pays se sont fortement réduits. De plus, la baisse du prix des matières premières qui constituent une importante source de revenus fiscaux (pétrole pour le Mexique et le Venezuela, soja pour l'Argentine) devrait entrainer des déséquilibres budgétaires en 2009-2010 contrastant donc avec la période d'excédents qui a précédé la crise.

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Enfin, d'autres vecteurs de contagion apparaissent non négligeables pour le cas de l'Amérique latine. D'abord, les ressources financières de diverses natures devraient se tarir. C'est le cas des recettes liées au tourisme qui subissent de plein fouet la récession mondiale et ont déjà fortement diminué dans la deuxième moitié de 2008. Ce canal est important dans le cas du Mexique par exemple. Par ailleurs, la baisse attendue des transferts de migrants devrait peser sur de nombreuses économies de la région. Pour la première fois depuis le début de leur comptabilité en 2001 par la Banque Interaméricaine de Développement, les transferts de migrants vont diminuer en 2009. Cette tendance qui a été perceptible dès le dernier trimestre de l'année passée devrait s'accélérer dans les premiers mois de 2009. Ceci s'explique par le fait que les émigrés subissent de plein fouet la contraction de l'activité dans les pays industrialisés, en particulier des secteurs tels que la construction dans lesquels ils étaient employés. Même si l'appréciation du dollar vis-à-vis des monnaies latino-américaines ces derniers mois a permis, dans une certaine mesure, de préserver le pouvoir d'achat des récepteurs de remesas, l'impact de la baisse devrait être important en 2009. Les transferts de migrants qui offrent un complément de revenu à une partie des populations jouent en effet un rôle significatif dans la réduction de la pauvreté et leur diminution soulève la question de la vulnérabilité des couches sociales les plus basses à l'heure où la crise va impliquer une hausse du chômage dans une région où les systèmes de protection sociale sont limités.

 

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Ensuite, les entrées de capitaux devraient aussi se contracter fortement lié à la baisse des financements internationaux et à la hausse du coût du crédit. Les investissements de portefeuille et les investissements directs à l'étranger, qui avaient connu un boom dans la deuxième moitié de la décennie ont d'ores et déjà commencé à fléchir depuis fin 2008. Or, ces flux représentent également une source importante de financement pour de nombreux pays (autour de 5% du PIB pour les IDE au Chili et au Pérou). La Colombie, pour qui les investissements directs dans le secteur énergétique ont constitué une source importante de financement externe ces dernières années sera également affectée par le recul de ces flux.

Ainsi les vecteurs de transmission de la crise internationale à l'Amérique latine sont nombreux. Bien sûr, tous les pays ne sont pas touchés par les mêmes canaux et pas non plus dans la même ampleur. Le Mexique apparait comme l'une des économies les plus fragilisées de par son exposition à tous les canaux de transmission et lié à sa très forte dépendance vis-à-vis de la conjoncture nord-américaine. D'autres pays comme le Pérou semblent pouvoir s'appuyer sur une demande domestique demeurée solide pour éviter la récession. Tout de même, bien que la région soit dans une meilleure position que par le passé, les économies latino-américaines vont être mises à mal en 2009. Dans ce contexte, la question de l'impact de la crise sur les économies réelles et celle de la gestion de ses conséquences sociales sont un enjeu majeur pour les gouvernements qui seront confrontés dans un certain nombre de pays à des échéances électorales au cours de cette année et en 2010.

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[1] Les spreads mesurent la différence entre le taux d'une obligation émise par un Etat et celui d'un actif jugé sans risque, en général un bond du trésor américain. Plus le spread est élevé, plus la prime demandée en rémunération contre l'achat de ce titre est grande. Le spread donne donc une indication de la perception du risque d'un pays par les marchés obligataires.

[2] Le Mexique et la Colombie viennent néanmoins de solliciter, de manière préventive, une ligne de crédit auprès de l'institution pour un montant de 47 milliards et 10,4 milliards de dollars respectivement.

[3] Les termes de l'échange mesurent le rapport entre le prix des produits exportés par un pays et celui des produits importés. En d'autres termes, il renseigne sur le pouvoir d'achat des exportations. Des termes de l'échange favorables signifient que la valeur des produits exportés par une économie est élevée en comparaison avec la valeur des biens qu'elle importe.

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