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Édito
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Le mouvement des parapluies à Hong Kong : l’affirmation d’une identité politique |
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Par Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite (CNRS) au CERI
Du 28 septembre au 15 décembre 2014, un
mouvement massif de désobéissance civile a secoué la Région administrative
spéciale de Hong Kong alors que la direction chinoise arrivée au pouvoir en
novembre 2012 réprimait rapidement toute expression de mécontentement social
sur le continent. Comment expliquer cette divergence ?
En inventant en 1979 la formule "un
pays, deux systèmes", qui a permis le retour pacifique de la colonie dans
le giron de la mère-patrie, Deng Xiaoping avait sans doute parié sur la
convergence entre les deux entités. En promettant à Hong Kong de conserver son
système capitaliste pendant cinquante ans, et en s’engageant à mettre en place
l’élection au suffrage universel direct du chef de l’exécutif (équivalent du
gouverneur) et de l’assemblée législative (LegCo), il avait bien sûr pris le risque de voir
s’affirmer les différences entre les deux rives de la rivière Shenzhen.
Pourtant, comme la légitimité du retour du territoire à la Chine n’avait jamais
été remise en question, on pouvait penser que les Hongkongais finiraient par s’identifier à la République populaire. Mais c’est le contraire qui s’est passé.
Chaque fois que les chefs de l’exécutif, tous choisis
par des forces favorables à Pékin avec la bénédiction du Parti communiste
chinois (PCC), ont cherché à imposer des décisions qui remettaient quelque peu
en question le système hongkongais, ils ont essuyé un échec. En 2003, quand
Tung Chee-Hwa a voulu faire adopter l’article 23 de la Loi fondamentale contre
la subversion, plus d’un demi-million de personnes (sur un total de 6,5
millions d’habitants) sont descendus dans la rue pour protester contre ce
qu’elles considéraient comme une restriction des libertés civiques. Tung et ses
mentors de Pékin ont dû retirer le projet et Tung a démissionné l’année
suivante.
En 2012, lorsque les autorités ont cherché à
imposer un cours d’éducation patriotique (guomin
jiaoyu), plus d’une centaine de milliers de lycéens ont manifesté devant le
siège du gouvernement et obtenu que le projet soit retiré. Ces manifestations,
dont les animateurs avaient 16 ans, ont signalé l’arrivée sur la scène d’une
nouvelle génération qui refuse que Hong Kong devienne une "autre ville
chinoise". Au cours des cinq dernières années, les mouvements en faveur
de la protection du patrimoine, les explosions de colère contre la présence
envahissante des touristes venus du continent ont montré que l’identité
hongkongaise se renforçait dans la jeunesse. On a même vu des jeunes gens
agiter le drapeau colonial et d’autres refuser de se rendre à la veillée
annuelle du 4 juin, qui commémore le
massacre des démocrates de Pékin en 1989 et représente un marqueur de
l’identité des démocrates de Hong Kong, tout comme l’élection du chef de
l’exécutif au suffrage universel, enjeu central de la politique hongkongaise.
En janvier 2013, devant l’impuissance
croissante des partis démocrates, trois personnalités (1) ont lancé un mouvement de désobéissance civile qui devait déboucher sur une
occupation du centre de la ville (Occupy Central) pour obtenir du gouvernement
l’instauration d’une véritable élection démocratique. En juin 2014, ce
mouvement a organisé sur Internet un référendum au cours duquel 800 000 personnes se sont prononcées pour que les
citoyens puissent nommer eux-mêmes les candidats au poste de chef de
l’exécutif. Un grand nombre de jeunes ont participé à ce scrutin officieux.
Aussi, lorsqu’ils ont appris la décision du
comité permanent de l’Assemblée populaire nationale (APN) stipulant que seuls
pourraient se présenter "deux ou trois candidats" ayant obtenu les
voix de plus de 50% des membres d’un comité de nomination largement favorable à
Pékin et excluant de fait tout candidat démocrate, les étudiants ont été
scandalisés : cette décision a été vécue à la fois comme une rupture de la
promesse faite par la Chine de tenir une véritable élection directe en 2017 et
comme une trahison de la part du chef de l’exécutif qui avait adressé à l’APN
un rapport dans lequel il affirmait qu’une majorité de la population était
favorable à une limitation du nombre de candidats sans même mentionner le
référendum.
Les étudiants se sont immédiatement mobilisés
et le 22 septembre 2014, 10 000 d’entre eux lançaient un mot d’ordre de grève
très suivi. Après six jours au cours desquels des professeurs soutenant le
mouvement ont donné leurs cours dans un parc du centre ville, le gouvernement a
exigé l’évacuation du lieu. Les étudiants se sont retrouvés dans la rue, et ont
décidé d’organiser un sit in. Ils ont
alors convaincu les animateurs du mouvement Occupy Central de lancer
l’occupation. Le 28 septembre, la police a recouru aux grenades lacrymogènes
pour les évacuer, les étudiants ont alors ouvert leurs parapluies pour se
protéger.
La répression a choqué la population et des
milliers de citoyens sont venus soutenir le mouvement. Le 1er
octobre, jour de la fête nationale, plus de cent mille personnes se sont
rendues sur les sites occupés pour apporter leur appui au mouvement.
L’occupation s’est déroulée dans une atmosphère de grande fraternité,
permettant à des milliers de simples citoyens d’exprimer leurs opinions sur la
politique mais aussi sur les problèmes sociaux telle que la polarisation
sociale qui mine la colonie. Sur les murs d’Admiralty, de Mongkok et de
Causeway Bay, des dizaines de milliers de post-its exprimaient le mécontentement des citoyens et leur désir de démocratie. Les
manifestants ont géré au mieux leur occupation des lieux, ramassant et triant
eux-mêmes leurs déchets. Pendant les 79 jours qu’a duré le mouvement, aucun
incident n’a été recensé, pas une vitre brisée, pas un vol. Le parapluie,
instrument de défense symbole de non-violence, est devenu l’emblème du
mouvement.
Les participants se sont retrouvés autour
d’une même exigence: "Nous voulons un véritable suffrage
universel". Ils n’ont cessé d’exiger le retrait de la décision du comité
permanent de l’APN, et la démission du chef de l’exécutif Leung Chun Ying.
Revendications irréalistes ? Certes. Le dialogue qui a eu lieu entre cinq
représentants étudiants et cinq représentants du gouvernement (le numéro un n’y
a pas participé) n’a débouché sur aucune concession du pouvoir. Pékin a
réaffirmé qu’il ne reviendrait pas sur la décision de l’APN sans toutefois exiger
du gouvernement de la Région administrative spéciale qu’il réprime du
mouvement.
Le pouvoir a alors décidé de jouer le
pourrissement. Cette stratégie a été couronnée de succès puisqu’en décembre,
une large majorité de la population s’est prononcée pour la fin de l’occupation
à la différence des jeunes de moins de 25 ans qui, eux, n’ont jamais cessé de
la soutenir. La fin de l’occupation a témoigné de la maturité d’un mouvement
qui n’a pourtant jamais eu de réels dirigeants : la Fédération des
étudiants ou le groupe lycéen Scholarism ont fait davantage office de
porte-paroles que de véritables leaders. Quant aux démocrates ou aux trois
initiateurs d’Occupy Central, ils n’ont guère eu d’influence sur son évolution.
Aujourd’hui, la circulation a repris à
Admiralty. Apparemment, rien n’a changé, et la décision de l’APN ne sera sans
doute pas amendée. Toutefois, le gouvernement a perdu une grande partie du peu
de légitimité qui lui restait. Comme il ne dispose pas au LegCo de la majorité
des deux tiers indispensable à l’adoption de la réforme, il aura du mal à la
faire passer. Le mouvement d’occupation
a renforcé la méfiance de la jeunesse à l’égard du pouvoir ; il a montré que
les manifestations restaient le meilleur
moyen pour la population de faire entendre sa voix et mis en évidence les
profondes divisions de la société hongkongaise. Après 79 jours d’occupation il sera très
difficile à un gouvernement pris entre les exigences du peuple et Pékin qui
refuse d’assouplir sa position, de négocier la mise en œuvre de la réforme
politique.
1. Benny Tai, professeur de droit à l’Université de Hong Kong ; Chan
Kin-man, professeur de sociologie à l’Université chinoise de Hong Kong et Chu
Yiu-Ming, pasteur baptiste.
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VIENT DE PARAÎTRE
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Les Etudes du CERI en open access
Depuis le 1 janvier 2015, Les Etudes du CERI sont disponibles en version exclusivement électronique et gratuite, en libre accès sur notre site web.
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Jean-Pierre Pagé (dir.), Tableau de bord des pays d’Europe centrale et orientale et d’Eurasie 2014
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Elise Massicard, A Decade of AKP Power in Turkey: Towards a Reconfiguration of Modes of Government?
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Marion Carrel et Catherine Neveu (dir.), Citoyennetés ordinaires. Pour une approche renouvelée des pratiques citoyennes
Karthala, collection "Recherches internationales", 2014, 328 p.
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Ariane Zambiras, La politique inspirée. Controverses publiques et religion aux États-Unis
Karthala, collection "Recherches internationales", 2015, 368 p.
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Jean-Marie Bouissou, Géopolitique du Japon. Une ile face au monde
Presses Universitaires de France, 2015, 208 p.
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Stéphane Lacroix et Bernard Rougier, L'Egypte en révolutions
Presses Universitaires de France, 2015, 244 p.
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Stéphane Lacroix, Thomas Hegghammer, Bernard Haykel, Saudi Arabia in Transition: Insights on Social, Political, Economic and Religious Change
Cambridge
University Press, 2015, 352 p.
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Sandrine Revet, Sophie Houdart, Vanessa Manceron (dir.), La mesure du danger
Dossier spécial, revue Ethnologie française, janvier 2015, tome XLV, n° 1
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André Grjebine, La dette publique. Comment s'en débarrasser
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Delphine Lecombe, "Nous sommes tous en faveur des victimes" : la diffusion de la justice transitionnelle en Colombie
Institut Universitaire Varenne, LGDJ, Paris, 2014, 428 p.
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COUP D'ŒIL
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Ceriscope 4 - Environnement et relations internationales |
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La collection Ceriscope,
publication en ligne réalisée par le CERI et l’Atelier de cartographie de
Sciences Po, s’enrichit d’un nouveau numéro sur le thème "Environnement
et relations internationales".
Cette quatrième édition du Ceriscope
entend rendre compte de la diversité et de la pluralité des recherches en
relations internationales de l’environnement dans la sphère académique
francophone. Elle associe, sous la responsabilité scientifique de François
Gemenne, des spécialistes français et étrangers, chercheurs confirmés comme de
jeunes doctorants. La plupart des auteurs sont des internationalistes, mais
cette nouvelle livraison du Ceriscope inclut aussi des contributions de
philosophes, d’économistes, de sociologues et d’historiens. Ensemble, ils donnent
un aperçu des enjeux et des questions soulevées par les nouvelles politiques de
la Terre.
Si la question du changement
climatique domine aujourd’hui l’agenda international, et occupe logiquement une
place de choix dans cette édition, une large place est consacrée à
d’autres enjeux environnementaux comme la biodiversité, l’eau ou les forêts. Le
Ceriscope "Environnement et relations internationales" comprend
plus de vingt articles inédits, des cartes, des statistiques et d’autres
éléments d’analyse et d’information. Pour le consulter, rendez-vous sur : http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement.
Signalons aussi la parution du numéro spécial de la
revue Alternatives Internationales, "Quel monde en 2015" (n° 16,
janvier 2015) qui, dans le cadre de son partenariat avec le CERI, publie cette
année quelques "bonnes feuilles" du Ceriscope.
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BRÈVES
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Soutenances de thèses |
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- Benjamin Bruce, Gouverner l'islam à l'étranger
: les champs religieux musulmans turc et
marocain en France et en Allemagne, sous la direction de Catherine Wihtol de Wenden (15 janvier 2015).
- Daphna
Elfersy, Ethique musulmane civile et laïcité
harmonieuse : l'Islam en France et aux
Pays-Bas, en cotutelle avec l'Université de Tel Aviv, sous la direction d'Alberto
Spektorowski et Catherine
Wihtol de Wenden.
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ÉVÉNEMENTS
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La sociologie du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – une analyse des réseaux sociaux
Séminaire de recherche. 29 janvier 2015, 17h-19h
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Violences extrêmes en Amérique latine et dans les Balkans
Séminaire de recherche. 29 janvier 2015, 17h-19h
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Economic Elites in Developing Countries
Colloque. 30 janvier 2015, 8h30-19h00
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Enquêter sur la justice ordinaire en Chine
Séminaire de recherche. 2 février 2015, 12h30-14h30
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Constraints on Conflict in the China-US Relationship: Contesting Power Transition Theory
Séminaire de recherche. 10 février 2015, 17h-19h
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+ d'infos
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Le Yuan législatif taiwanais : une perspective comparée avec l’Assemblée nationale française
Séminaire de recherche. 11 février 2015, 17h-19h
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Les grandes questions internationales en 2015
Débat. 12 février 2015, 17h-19h30
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+ d'infos
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Les organisations internationales à l'heure d'Internet
Séminaire de recherche. 12 février 2015, 17h-19h
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La coopération internationale en matière de changement climatique
Séminaire de recherche. 25 février 2015, 17h-19h
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PUBLICATIONS
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