|
Édito
|
Où va Turquie ? |
|
|
|
|
|
Par Riva Kastoryano, directrice de recherche au CERI
Depuis une vingtaine de jours, les jeunes
occupent le parc Gezi à Taksim. La contestation, d’abord écologique et
pacifique, contre la construction d’une caserne, d’un grand centre commercial
et d’une résidence de luxe avec sa vue imprenable sur la Corne d’Or et le
Bosphore, s’est vite transformée en une mobilisation massive des jeunes qui
expriment leur rage, leur frustration et leur révolte, en réaction à la
violence des forces de l’ordre. Ils étaient venus montrer leur consternation
vis-à-vis des politiques qui ne reconnaissent aucune initiative citoyenne, qui
n’autorisent aucune contestation, qui imposent un mode de vie, un style de
famille, un mode de consommation et le choix des loisirs comme des promenades
dans les centres commerciaux au détriment des parcs publics. Ils étaient venus
exprimer leur attachement à leur liberté : liberté d’expression, liberté
de croyance, liberté de vivre sa vie comme on l’entend. De la protection des
arbres d’un des rares parcs du centre-ville, le mot d’ordre est devenu "Erdogan démission" et, plus tard, "le gouvernement
démission".
Le Parlement européen blâme le Premier ministre
Recep Tayyip Erdogan d’utiliser les forces de l’ordre et la violence policière
contre les manifestants. Son intransigeance, son entêtement et ses ultimatums
pour libérer les lieux sont vécus comme de la provocation, alors que les
membres de son parti avaient cherché à le faire revenir à la raison et le
poussent à des déclarations conciliantes. Le Président Abdullah Gül avait trouvé
les mots justes pour réconforter les jeunes et apaiser l’opinion ; le Vice-premier
ministre Bülent Arinç avait présenté des excuses publiques. Le Premier ministre,
quant à lui, mobilise son électorat comme pour créer un fossé entre ses
partisans et ses opposants, les premiers habitués à la confrontation, les deuxièmes,
le jeunes de Gezi, novices dans leur aventure politique dans leur grande
majorité.
Les forces de
l’ordre continuent leurs interventions en couvrant le ciel d’Istanbul de fumée de
gaz lacrymogènes. Les manifestants, eux, courent dans la ville avec des masques
préparés pour l’occasion, décidés à revenir à Taksim dès que les forces de
l’ordre auraient quitté ces lieux devenus champ de bataille. La résistance des
deux camps se traduit par la détermination des manifestants et celle d’un
Premier ministre qui s’accroche au fil du pouvoir en utilisant la violence dont
lui seul a la légitimité.
Ces réactions
remettent en cause tout le chemin vers la démocratie que la Turquie avait
parcouru ces dernières années grâce à ses dynamiques internes et externes,
notamment dans ses efforts d’adhésion à l’Union européenne. Pour la Turquie,
l’Europe, d’abord un levier du développement économique, sert aujourd’hui de
levier à la vie politique, économique et sociale, voire culturelle, du pays. Relations
sociales, valeurs nationales, culture politique évoluent sous le regard
normatif de l’Union européenne et de ses institutions. Une société civile
s’affirme grâce aux associations en effervescence, actives dans tous les
domaines, et pèse de plus en plus sur la vie politique. Les critères imposés
par le traité de Copenhague – tout particulièrement en matière de droits de
l’Homme, de droits des minorités, de liberté d’expression, de liberté
religieuse – trouvent un écho à la fois dans la société civile et dans la classe
politique. Tous ensemble, ils donnaient l’impression de conduire la Turquie
vers le chemin de la démocratisation et de l’européanisation. Face à cette
épreuve, la Turquie ferait-elle marche arrière avec des arrestations et l’usage
de la violence tous azimuts ?
Le Premier ministre qui avait le plus
rapproché la Turquie de l’adhésion s’oppose aux déclarations normatives des
institutions européennes. La désobéissance civile conduit Recep Tayyip Erdogan
à la désobéissance aux valeurs européennes. Il reproche aux médias européens et
américains de donner une image de la Turquie qui, d’après lui, ne correspond
pas à la réalité. Tout serait "une mise en scène" de leur part pour
"déstabiliser" la Turquie. Il se retourne vers son électorat et lui
donne rendez-vous aux urnes, avec des discours qui cherchent à diviser la
nation entre ses partisans et ses opposants, il s’approprie le monopole du
patriotisme et de l’islam. Il semble sûr des résultats qui glorifieraient
encore une fois son parti, l’AKP, et feraient peut-être de lui le premier président
de la République turc élu au suffrage universel. Cela serait, pour Erdogan, qui
déjà a annoncé sa candidature, le seul moyen pour rester au pouvoir. Mais avant
les présidentielles, les élections municipales : l’AKP réussira-t-elle à
garder Istanbul, la méga-ville, qu’Erdogan lui-même avait dirigée de 1994 à
1998 et où lui ont succédé des maires de la même sensibilité politique. La
conquête des villes n’avait-elle pas été la voie pour la conquête du pouvoir
national pour le parti islamiste ?
Les réactions aux mobilisations spontanées ont
révélé les divisions, les convergences et les fractions au sein même de la
majorité, où toute déclaration, toute initiative politique et toute action
renvoient précisément aux élections de 2014 : les municipales en mars et les
présidentielles en août qui, fait inédit dans l’histoire de la République, se
dérouleront au suffrage universel. La démocratie électorale, qui a porté l’AKP
au pouvoir trois fois de suite, ne trouve pas sur son chemin d’autres partis
politiques en situation d’opposition crédible. Le vrai enjeu semble ainsi être
la reconfiguration de la classe politique prise dans une dynamique interne de
partage de pouvoir qui définirait de nouvelles oppositions, non pas
idéologiques mais de gouvernance.
|
|
|
|
|
|
|
|
VIENT DE PARAÎTRE
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Revue Critique Internationale, n°59, avril-juin 2013
Dossier "Circulation des savoirs et champs internationaux" coordonné par Antoine Vauchez.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Elsa Tulmets, Le transfert d’expérience de l’Europe centrale et orientale vers le voisinage européen : rhétorique ou réalité ? Les cas polonais et tchèque
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Raphaelle Mathey, Mutations sociales et identitaires en Azerbaïdjan : les évolutions du rituel de deuil
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Kathy Rousselet, Sécularisation et orthodoxie dans la Russie contemporaine : pour une hypothèse continuiste ?
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Jean-François Bayart, Laicidad e Islam
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Béatrice Hibou (dir), La bureaucratisation néolibérale
Paris, La Découverte, 2013, 313 p.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Niagalé Bagayoko, Frédéric Ramel (dir.), Francophonie et profondeur stratégique
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Maurice Vaïsse et Jean-Louis Dufour, La guerre au vingtième siècle
Paris, Hachette, 2013, troisième édition.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Catherine Wihtol de Wenden (dir.), "Droit de vote des étrangers"
Revue Migrations Société, vol. 25, N° 146, mars-avril 2013.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Mohamed-Ali Adraoui, Du Golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé
Paris, PUF, collection Proche Orient, 2013, 233 p.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Pascal Bonnard, Le gouvernement de l’ethnicité en Europe post-soviétique : minorités et pouvoir en Lettonie
Paris, Dalloz, collection Nouvelle bibliothèque de thèses - science politique, 2013.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Sébastien Mazoyer, Jérôme de Lespinos, Emmanuel Goffi, Grégory Boutherin, Christophe Pajon, Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche globale
Paris, La Documentation française, 2013, 708 p.
|
|
|
|
|
|
|
|
COUP D'ŒIL
|
|
|
|
|
When Authoritarianism Fails in the Arab World (WAFAW) |
|
|
|
|
|
Le projet collectif WAFAW, financé par le European
Research Council (ERC) et porté par François Burgat, s’est fixé comme objectif
de mobiliser, en les adaptant chaque fois que nécessaire, les méthodes et les
concepts des sciences sociales pour rendre compte des profonds changements
initiés par le “printemps arabe”. Ce
programme de quatre ans débutera en septembre 2013 et sera dirigé depuis
l’IREMAM d’Aix-en-Provence, en collaboration avec le CERI, où Laurent Bonnefoy,
deputy principal investigator du projet, mènera une partie des activités de
recherche. Dans ce cadre, un post-doc sera affecté au CERI chaque année.
Depuis décembre 2010, les vagues de protestation qui
émanent des sociétés du monde arabe laissent entrevoir, plus sérieusement que
par le passé, la possibilité réelle d’une sortie de la longue période
d’autoritarisme qui caractérisait la région. Les mobilisations protestataires
ont affecté directement (en Tunisie, Egypte, Libye, Syrie, au Yémen et au
Bahreïn) ou indirectement, ne serait-ce que par anticipation (en Arabie
Saoudite, au Maroc, en Palestine), les fondements de tous les systèmes
politiques de la région – et continuent de le faire. Forte de ce constat, deux
dimensions seront étudiées attentivement par l’équipe WAFAW : les
recompositions des scènes politiques arabes d’une part, tenant compte de
l’émergence de nouveaux acteurs mais aussi de la capacité de résilience des
anciens régimes, et d’autre part, des dynamiques internationales induites
notamment par la meilleure prise en compte, par des dirigeants élus, des
certaines aspirations nationalistes de leurs populations ou par l’émergence de
nouvelles diplomaties.
|
|
|
|
|
BRÈVES
|
|
|
|
|
Le Prix Albert Thibaudet 2013 attribué à Frédéric Ramel |
|
|
|
|
|
Le Prix Albert Thibaudet porte le nom d’un écrivain
(1874-1936) connu pour ses travaux de critique littéraire, d’histoire des idées
politiques et de relations internationales, auteur notamment de La campagne
avec Thucydide (1922), comparaison entre la Grande Guerre et la Guerre du
Péloponnèse. Le Prix qui l’honore est remis à l'auteur d'un ouvrage récent
en langue française, consacré aux relations internationales.
Frédéric Ramel, professeur à Sciences Po et chercheur
au CERI, a été distingué pour son ouvrage L’attraction mondiale, publié en 2012
aux Presses de Sciences Po.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Soutenances de thèse |
|
|
|
|
|
- Amandine Barb, "Les dilemmes de l'Etat laïque : les
politiques des accommodements religieux aux Etats-Unis des années 1960 à nos
jours", sous la direction de Denis Lacorne (18 juin 2013) ;
- Merve Ozdemirkiran, "Construire un Etat, briser des tabous : les
hommes d'affaires de Turquie entre la construction étatique du Gouvernement
régional du Kurdistan (GRK) et la politique étrangère de la Turquie",
sous la direction de Riva
Kastoryano (26 juin 2013) ;
- Ari Varon, "Islam and Europe: Reflections on Religion-State Relations by European Muslim Intellectuals", sous la direction de Riva
Kastoryano, en cotutelle avec l’Université de Tel-Aviv (28 juin 2013) ;
- Kévin Parthenay, "L'intégration régionale en Amérique centrale
: une sociologie politique du changement (1991-2012)", sous la direction
d’Olivier Dabène (11 juillet 2013).
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Hommage à Nathanaël Dupré La Tour |
|
|
|
|
|
Avec une immense tristesse, nous avons
appris le décès accidentel, le 20 mai 2013 à 35 ans, de Nathanaël Dupré
La
Tour, enseignant à l’Ecole normale supérieure de Lyon, dont la thèse de
doctorat en science politique a été réalisée au CERI sous la direction
de
Jacques Rupnik et au CEFRES de Prague dirigé à l’époque par Christian
Lequesne.
Les recherches de Nathanaël Dupré La Tour portaient sur l'histoire des
intellectuels, l'idée d'Europe au 20e siècle, la phénoménologie et le
marxisme centre-européens, et la dissidence tchèque et slovaque. Il a
notamment publié, aux Editions du Félin, « Au seuil du monde » (2013) et
« L'Instinct
de conservation » (2011).
|
|
|
|
|
|
|
ÉVÉNEMENTS
|
|
|
|
Séminaire général du CERI
Séminaire de recherche. 20 juin 2013, 12h30-14h30
|
|
|
|
|
|
|
|
|
IFEAC : une reprise des activités sur fond de crise politique au Kirghizstan
Séminaire de recherche. 19 juin 2013, 12h-14h
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Christophe Jamin, master chef de l'Ecole de Droit
Professeur des Universités et directeur de l'Ecole de Droit de Sciences Po, Christophe Jamin, 50 ans, publie ce mois-ci "La cuisine du DROIT - L'Ecole de Droit de Sciences Po : une expérimentation française" aux éditions Lextenso.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
The War to End War
Séminaire de recherche. 25 juin 2013, 17h-19h
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Quel avenir politique pour l'Ukraine ?
Débat. 26 juin 2013, 18h15-19h30
|
|
|
+ d'infos
|
|
|
|
|
|
The Great Unraveling: Iraq, Syria, Turkey and the Kurdish Question
Séminaire de recherche. 27 juin 2013, 17h-19h
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Migrations : from global to local level through the State
Séminaire de recherche. 27 juin 2013, 17h-19h
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Relations between a Nuclear Iran and the West: a Post-Elections Reassessment
Débat. 28 juin 2013, 16h-19h
|
|
|
|
|
|
|
|
|
India’s Approach to the World in the Post Cold War Period
Séminaire de recherche. 2 juillet 2013, 17h-19h
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Intégration économique et conflit de souveraineté : peut-on circonscrire le politique ?
Séminaire de recherche. 8 juillet 2013, 16h-19h
|
|
|
|
|
PUBLICATIONS
|
|