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NEWSLETTER

7 juin 2013

Sciences Po | Ceri - CNRS  
     
 

Édito

  Où va Turquie ?  
     
 

Par Riva Kastoryano, directrice de recherche au CERI

Depuis une vingtaine de jours, les jeunes occupent le parc Gezi à Taksim. La contestation, d’abord écologique et pacifique, contre la construction d’une caserne, d’un grand centre commercial et d’une résidence de luxe avec sa vue imprenable sur la Corne d’Or et le Bosphore, s’est vite transformée en une mobilisation massive des jeunes qui expriment leur rage, leur frustration et leur révolte, en réaction à la violence des forces de l’ordre. Ils étaient venus montrer leur consternation vis-à-vis des politiques qui ne reconnaissent aucune initiative citoyenne, qui n’autorisent aucune contestation, qui imposent un mode de vie, un style de famille, un mode de consommation et le choix des loisirs comme des promenades dans les centres commerciaux au détriment des parcs publics. Ils étaient venus exprimer leur attachement à leur liberté : liberté d’expression, liberté de croyance, liberté de vivre sa vie comme on l’entend. De la protection des arbres d’un des rares parcs du centre-ville, le mot d’ordre est devenu "Erdogan démission" et, plus tard, "le gouvernement démission".

Le Parlement européen blâme le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan d’utiliser les forces de l’ordre et la violence policière contre les manifestants. Son intransigeance, son entêtement et ses ultimatums pour libérer les lieux sont vécus comme de la provocation, alors que les membres de son parti avaient cherché à le faire revenir à la raison et le poussent à des déclarations conciliantes. Le Président Abdullah Gül avait trouvé les mots justes pour réconforter les jeunes et apaiser l’opinion ; le Vice-premier ministre Bülent Arinç avait présenté des excuses publiques. Le Premier ministre, quant à lui, mobilise son électorat comme pour créer un fossé entre ses partisans et ses opposants, les premiers habitués à la confrontation, les deuxièmes, le jeunes de Gezi, novices dans leur aventure politique dans leur grande majorité.

Les forces de l’ordre continuent leurs interventions en couvrant le ciel d’Istanbul de fumée de gaz lacrymogènes. Les manifestants, eux, courent dans la ville avec des masques préparés pour l’occasion, décidés à revenir à Taksim dès que les forces de l’ordre auraient quitté ces lieux devenus champ de bataille. La résistance des deux camps se traduit par la détermination des manifestants et celle d’un Premier ministre qui s’accroche au fil du pouvoir en utilisant la violence dont lui seul a la légitimité.

Ces réactions remettent en cause tout le chemin vers la démocratie que la Turquie avait parcouru ces dernières années grâce à ses dynamiques internes et externes, notamment dans ses efforts d’adhésion à l’Union européenne. Pour la Turquie, l’Europe, d’abord un levier du développement économique, sert aujourd’hui de levier à la vie politique, économique et sociale, voire culturelle, du pays. Relations sociales, valeurs nationales, culture politique évoluent sous le regard normatif de l’Union européenne et de ses institutions. Une société civile s’affirme grâce aux associations en effervescence, actives dans tous les domaines, et pèse de plus en plus sur la vie politique. Les critères imposés par le traité de Copenhague – tout particulièrement en matière de droits de l’Homme, de droits des minorités, de liberté d’expression, de liberté religieuse – trouvent un écho à la fois dans la société civile et dans la classe politique. Tous ensemble, ils donnaient l’impression de conduire la Turquie vers le chemin de la démocratisation et de l’européanisation. Face à cette épreuve, la Turquie ferait-elle marche arrière avec des arrestations et l’usage de la violence tous azimuts ?

Le Premier ministre qui avait le plus rapproché la Turquie de l’adhésion s’oppose aux déclarations normatives des institutions européennes. La désobéissance civile conduit Recep Tayyip Erdogan à la désobéissance aux valeurs européennes. Il reproche aux médias européens et américains de donner une image de la Turquie qui, d’après lui, ne correspond pas à la réalité. Tout serait "une mise en scène" de leur part pour "déstabiliser" la Turquie. Il se retourne vers son électorat et lui donne rendez-vous aux urnes, avec des discours qui cherchent à diviser la nation entre ses partisans et ses opposants, il s’approprie le monopole du patriotisme et de l’islam. Il semble sûr des résultats qui glorifieraient encore une fois son parti, l’AKP, et feraient peut-être de lui le premier président de la République turc élu au suffrage universel. Cela serait, pour Erdogan, qui déjà a annoncé sa candidature, le seul moyen pour rester au pouvoir. Mais avant les présidentielles, les élections municipales : l’AKP réussira-t-elle à garder Istanbul, la méga-ville, qu’Erdogan lui-même avait dirigée de 1994 à 1998 et où lui ont succédé des maires de la même sensibilité politique. La conquête des villes n’avait-elle pas été la voie pour la conquête du pouvoir national pour le parti islamiste ?

Les réactions aux mobilisations spontanées ont révélé les divisions, les convergences et les fractions au sein même de la majorité, où toute déclaration, toute initiative politique et toute action renvoient précisément aux élections de 2014 : les municipales en mars et les présidentielles en août qui, fait inédit dans l’histoire de la République, se dérouleront au suffrage universel. La démocratie électorale, qui a porté l’AKP au pouvoir trois fois de suite, ne trouve pas sur son chemin d’autres partis politiques en situation d’opposition crédible. Le vrai enjeu semble ainsi être la reconfiguration de la classe politique prise dans une dynamique interne de partage de pouvoir qui définirait de nouvelles oppositions, non pas idéologiques mais de gouvernance.

 
 

 

VIENT DE PARAÎTRE

         
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Revue Critique Internationale, n°59, avril-juin 2013

Dossier "Circulation des savoirs et champs internationaux" coordonné par Antoine Vauchez.

 
         
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Elsa Tulmets, Le transfert d’expérience de l’Europe centrale et orientale vers le voisinage européen : rhétorique ou réalité ? Les cas polonais et tchèque

Les Etudes du CERI, n° 193, mai 2013

 
         
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Raphaelle Mathey, Mutations sociales et identitaires en Azerbaïdjan : les évolutions du rituel de deuil

Les Etudes du CERI, n° 194, juin 2013

 
         
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Kathy Rousselet, Sécularisation et orthodoxie dans la Russie contemporaine : pour une hypothèse continuiste ?

CERI, Questions de Recherche, n° 42, mai 2013.

 
         
   

Jean-François Bayart, Laicidad e Islam

Mexico, Instituto de Investigaciones juridicas, 2013,  61 p. Version pdf en ligne.

 
         
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Béatrice Hibou (dir), La bureaucratisation néolibérale

Paris, La Découverte, 2013, 313 p.

 
         
   

Niagalé Bagayoko, Frédéric Ramel (dir.), Francophonie et profondeur stratégique

Paris, Etudes de l'Irsem, 26, 2013, 215 p.

 
         
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Maurice Vaïsse et Jean-Louis Dufour, La guerre au vingtième siècle

Paris, Hachette, 2013, troisième édition.

 
         
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Catherine Wihtol de Wenden (dir.), "Droit de vote des étrangers"

Revue Migrations Société, vol. 25, N° 146, mars-avril 2013.

 
         
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Mohamed-Ali Adraoui, Du Golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé

Paris, PUF, collection Proche Orient, 2013, 233 p.

 
         
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Pascal Bonnard, Le gouvernement de l’ethnicité en Europe post-soviétique : minorités et pouvoir en Lettonie

Paris, Dalloz, collection Nouvelle bibliothèque de thèses - science politique, 2013.

 
         
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Sébastien Mazoyer, Jérôme de Lespinos, Emmanuel Goffi, Grégory Boutherin, Christophe Pajon, Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche globale

Paris, La Documentation française, 2013, 708 p.

 

COUP D'ŒIL

  When Authoritarianism Fails in the Arab World (WAFAW)  
     
 

Le projet collectif WAFAW, financé par le European Research Council (ERC) et porté par François Burgat, s’est fixé comme objectif de mobiliser, en les adaptant chaque fois que nécessaire, les méthodes et les concepts des sciences sociales pour rendre compte des profonds changements initiés par le “printemps arabe”.  Ce programme de quatre ans débutera en septembre 2013 et sera dirigé depuis l’IREMAM d’Aix-en-Provence, en collaboration avec le CERI, où Laurent Bonnefoy, deputy principal investigator du projet, mènera une partie des activités de recherche. Dans ce cadre, un post-doc sera affecté au CERI chaque année.

Depuis décembre 2010, les vagues de protestation qui émanent des sociétés du monde arabe laissent entrevoir, plus sérieusement que par le passé, la possibilité réelle d’une sortie de la longue période d’autoritarisme qui caractérisait la région. Les mobilisations protestataires ont affecté directement (en Tunisie, Egypte, Libye, Syrie, au Yémen et au Bahreïn) ou indirectement, ne serait-ce que par anticipation (en Arabie Saoudite, au Maroc, en Palestine), les fondements de tous les systèmes politiques de la région – et continuent de le faire. Forte de ce constat, deux dimensions seront étudiées attentivement par l’équipe WAFAW : les recompositions des scènes politiques arabes d’une part, tenant compte de l’émergence de nouveaux acteurs mais aussi de la capacité de résilience des anciens régimes, et d’autre part, des dynamiques internationales induites notamment par la meilleure prise en compte, par des dirigeants élus, des certaines aspirations nationalistes de leurs populations ou par l’émergence de nouvelles diplomaties.

BRÈVES

  Le Prix Albert Thibaudet 2013 attribué à Frédéric Ramel  
     
 

Le Prix Albert Thibaudet porte le nom d’un écrivain (1874-1936) connu pour ses travaux de critique littéraire, d’histoire des idées politiques et de relations internationales, auteur notamment de La campagne avec Thucydide (1922), comparaison entre la Grande Guerre et la Guerre du Péloponnèse. Le Prix qui l’honore est remis à l'auteur d'un ouvrage récent en langue française, consacré aux relations internationales.

Frédéric Ramel, professeur à Sciences Po et chercheur au CERI, a été distingué pour son ouvrage L’attraction mondiale, publié en 2012 aux Presses de Sciences Po.

  Soutenances de thèse  
     
 

- Amandine Barb, "Les dilemmes de l'Etat laïque : les politiques des accommodements religieux aux Etats-Unis des années 1960 à nos jours", sous la direction de Denis Lacorne (18 juin 2013) ;

- Merve Ozdemirkiran, "Construire un Etat, briser des tabous : les hommes d'affaires de Turquie entre la construction étatique du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et la politique étrangère de la Turquie", sous la direction de Riva Kastoryano (26 juin 2013) ;

- Ari Varon, "Islam and Europe: Reflections on Religion-State Relations by European Muslim Intellectuals", sous la direction de Riva Kastoryano, en cotutelle avec l’Université de Tel-Aviv (28 juin 2013) ;

- Kévin Parthenay, "L'intégration régionale en Amérique centrale : une sociologie politique du changement (1991-2012)", sous la direction d’Olivier Dabène (11 juillet 2013).

  Hommage à Nathanaël Dupré La Tour  
     
 

Avec une immense tristesse, nous avons appris le décès accidentel, le 20 mai 2013 à 35 ans, de Nathanaël Dupré La Tour, enseignant à l’Ecole normale supérieure de Lyon, dont la thèse de doctorat en science politique a été réalisée au CERI sous la direction de Jacques Rupnik et au CEFRES de Prague dirigé à l’époque par Christian Lequesne. Les recherches de Nathanaël Dupré La Tour portaient sur l'histoire des intellectuels, l'idée d'Europe au 20e siècle, la phénoménologie et le marxisme centre-européens, et la dissidence tchèque et slovaque. Il a notamment publié, aux Editions du Félin, « Au seuil du monde » (2013) et « L'Instinct de conservation » (2011).

ÉVÉNEMENTS

 

Séminaire général du CERI

Séminaire de recherche.
20 juin  2013, 12h30-14h30

 
 

 
 

IFEAC : une reprise des activités sur fond de crise politique au Kirghizstan

Séminaire de recherche.
19 juin  2013, 12h-14h

 
 

 
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Christophe Jamin, master chef de l'Ecole de Droit

Professeur des Universités et directeur de l'Ecole de Droit de Sciences Po, Christophe Jamin, 50 ans, publie ce mois-ci "La cuisine du DROIT - L'Ecole de Droit de Sciences Po : une expérimentation française" aux éditions Lextenso.
 
 

 
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The War to End War

Séminaire de recherche.
25 juin  2013, 17h-19h

 
 

 
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Quel avenir politique pour l'Ukraine ?

Débat.
26 juin  2013, 18h15-19h30

 
 

+ d'infos

 
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The Great Unraveling: Iraq, Syria, Turkey and the Kurdish Question

Séminaire de recherche.
27 juin  2013, 17h-19h

 
 

 
 

Migrations : from global to local level through the State

Séminaire de recherche.
27 juin  2013, 17h-19h

 
 

 
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Relations between a Nuclear Iran and the West: a Post-Elections Reassessment

Débat.
28 juin  2013, 16h-19h

 
 

 
 

India’s Approach to the World in the Post Cold War Period

Séminaire de recherche.
2 juillet 2013, 17h-19h

 
 

 
 

Intégration économique et conflit de souveraineté : peut-on circonscrire le politique ?

Séminaire de recherche.
8 juillet 2013, 16h-19h

 
 

 

PUBLICATIONS

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