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16.10.2023

La culture comme soft power

Marina Chiche et Eva Nguyen Binh (crédits : Laurence Laborie (M. Chiche), Le Studio Nomade (E. Nguyen Binh))

Article rédigé par Mélinda Artal, étudiante de la spécialité Culture à l'École d'affaires publiques

Le 29 mars 2023, les portes de Sciences Po se sont ouvertes afin d’accueillir une Masterclasse en présence de deux femmes inspirantes : la violoniste Marina Chiche et la Présidente de l'Institut Français Eva Nguyen Binh. Leur discussion s'est centrée sur un sujet aussi passionnant que fondamental : la culture comme soft power

Marina Chiche ou la musique au service de la société 

Violoniste talentueuse, multi-primée, musicologue et auteure, Marina Chiche est née à Marseille. Formée au Conservatoire régional de sa ville natale, elle poursuit ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris à l'âge de 16 ans. Artiste polyvalente, Marina Chiche œuvre à diffuser la culture française dans le monde entier. Nommée à deux reprises aux Victoires de la musique classique, sélectionnée pour rejoindre la promotion des Young Leaders de la French-American Foundation, récipiendaire de la prestigieuse Marshall Memorial fellowship du German Marshall Fund, ambassadrice du mouvement French Touch et distinguée parmi les 100 Femmes de Culture 2022, elle est cette année résidente à la Villa Médicis de Rome et à la Villa Albertine aux États-Unis. En sus de ses réalisations musicales, l’artiste est impliquée dans des sujets sociétaux tels que l'accessibilité au plus grand nombre de la musique classique et la place des femmes dans ce secteur. Elle explore ces sujets dans la chronique « C'est encore nous ! » sur France Inter et dans son livre intitulé « Musiciennes de légende » publié aux Editions First. 

Eva Nguyen Binh, pour une diplomatie renouvelée 

Brillante diplomate française, Eva Nguyen Binh est investie dans la diplomatie culturelle depuis 1994. Conseillère Asie et Amérique latine du Ministre des Affaires Étrangères, conseillère politique à New Delhi et Lisbonne, conseillère de coopération et d’action culturelle au Vietnam, ambassadrice et plénipotentiaire de la République Française auprès du royaume du Cambodge, Eva Nguyen Binh, qui a aussi occupé les fonctions de chargée des affaires internationales à la direction des affaires publiques du groupe Michelin, préside l’Institut Français depuis juillet 2021. Première femme à présider une telle institution et très engagée dans le renouvellement des relations avec l’Afrique, elle prône l'égalité des genres dans le secteur culturel et diplomatique, tout en mettant l’accent sur la nécessité de créer un dialogue diplomatique vertueux et une production artistique conjointe avec les acteurs locaux. 

Les artistes en première ligne de la diplomatie culturelle 

La première partie de la masterclasse portait sur le rôle des artistes en tant que créateurs de valeurs dans les stratégies de diplomatie culturelle. Pour Marina Chiche, ce sont notamment ses expériences à l’étranger qui ont contribué à sa compréhension de la diplomatie culturelle en tant qu’artiste. Bien qu’elle ne se considère pas comme représentante du gouvernement, elle cite l'exemple du célèbre chef d'orchestre russe Valery Gergiev qui avait organisé en mai 2016 un concert dans l'amphithéâtre de la cité antique syrienne de Palmyre. Loin d’être anodin, cet endroit témoigne d’une Russie victorieuse qui, alliée au régime, a su chasser le groupe djihadiste Etat islamique (EI). Chef d'orchestre mondialement connu, Gergiev représenta de nombreuses fois son pays à travers des concerts organisés dans des sites ravagés par la guerre ou victimes de désastres naturels. 

Eva Nguyen Binh, pour sa part, évoque la notion de soft power, qu’elle met d’ailleurs en regard avec la notion de smart power, pour questionner la capacité de persuader les autres à adopter ses propres valeurs, en opposition à la coercition. Préférant parler de créateurs plutôt que d’artistes - puisque l’action culturelle inclut aussi bien les écrivains, les penseurs que les entrepreneurs - elle souligne que leur visibilité à l'étranger est importante pour promouvoir l'image de la France. En effet, par leurs questionnements sur le monde et la société, les créateurs offrent une certaine image de notre identité nationale en même temps qu’ils participent au réseau de coopération. 

Une nécessaire féminisation de l’action culturelle et diplomatique 

La deuxième partie de la discussion interrogeait l’inclusion, l’égalité de genre et la place des femmes dans le secteur artistique et la diplomatie culturelle. Bien qu'elle n'ait jamais fait face à de la discrimination de genre dans son travail, Eva Nguyen Binh déclare toutefois que les femmes n'étaient pas autant reconnues lorsqu’elle débuta sa carrière. Aujourd’hui, environ 40% à 50% des ambassadeurs français sont des femmes. De même, nous constatons que davantage de femmes postulent au sein de l’Institut français, représentant dorénavant environ 75% des employés. Bien qu'il y ait eu de nombreux changements positifs, la diplomate tient à souligner qu'il reste tout de même un manque de visibilité pour les femmes dans ce domaine. Il est ainsi nécessaire de rester attentif à la parité et de discuter de l'égalité des sexes au sein même du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères (MEAE). 

Dans son livre « Musiciennes de légende » paru en 2021, Marina Chiche évoque que seulement 10% de femmes sont présentes dans la musique classique, malgré une égalité paritaire au conservatoire. C’est à partir de ce constat qu’elle décida d’entreprendre la publication d’un ouvrage sur ce sujet. Par ailleurs, alors pensionnaire à la Villa Médicis, la violoniste s’est engagée en faveur de la mixité en soutenant l’Association #JamaisSansElles : lancée en 2018, cette charte implique de ne plus participer à aucune manifestation publique si des femmes n’y sont pas associées parmi les intervenants. Le MEAE n’est également pas en reste puisqu’une trentaine d’ambassadeurs et de consuls se sont engagés à titre personnel. Quant à l'Institut Français, il travaille à promouvoir la mixité dans la culture française à l’international et à rendre pleinement visible les femmes dans les secteurs artistiques. 

Vers de nouveaux modèles de diplomatie culturelle 

La dernière partie des échanges portaient sur les nouveaux modèles de diplomatie culturelle, dans un contexte de discussions cruciales autour du post-colonialisme et des droits culturels. Eva Nguyen Binh évoque deux évolutions notables. 

Premièrement, une attention particulière au lexique et au sens des mots. On se souvient du célèbre discours d’André Malraux lors de la création du Ministère des Affaires Culturelles en 1949 lorsqu'il évoqua le terme de « rayonnement » culturel. Eva Nguyen Binh souligne que dorénavant, cette notion est considérée comme connotée et on lui préférera le terme d’« influence ». Le concept même de diplomatie culturelle est une notion complexe à envisager. Selon la présidente de l’Institut français, la diplomatie culturelle est en constante évolution et il est difficile de la définir avec précision. Tout du moins, la diplomatie culturelle ne se limite pas à la simple promotion de la culture et de la langue d’un pays. Au contraire, elle se donne pour objectif d'établir des liens de coopération avec les autres nations. 

La deuxième évolution concerne la représentation de la diversité culturelle. Nous assistons récemment à une évolution positive avec une plus grande visibilité pour des artistes de différentes origines, incarnant différentes formes artistiques et différents territoires. Évoquons la présence de l’artiste franco-algérienne Zineb Sedira lors de la Biennale de Venise en 2022 ou encore de l’artiste originaire de Martinique, Julien Creuzet, qui représentera la France en 2024. Ceci démontre une véritable reconnaissance de la diversité culturelle et une volonté forte de la représenter à l’étranger.

Enfin, Eva Nguyen Binh évoqua la manière de promouvoir la culture française à l’étranger tout en respectant les cultures. Dans certains pays, l'Institut français est la seule institution culturelle étrangère présente. Par conséquent, il est important de souligner qu’il ne cherche pas à se substituer aux cultures locales, mais plutôt à trouver une place pour chaque culture. L'Institut français soutient également les artistes locaux et leur offre une visibilité internationale. Si certaines critiques en France remettent en question le budget alloué à ces projets, Eva Nguyen Binh maintient l’idée importante d’accompagner la création locale sans y exercer de contrôle. 

Cette rencontre aura ainsi ouvert la voie à une réflexion profonde sur la façon dont la culture peut façonner les relations internationales tout en mettant en lumière le rôle crucial des artistes et des femmes dans le domaine de la diplomatie. C’est alors que de nouveaux modèles de diplomatie culturelle semblent se dessiner avec des enjeux essentiels : insister sur l'importance de représenter la diversité culturelle de la France à l'étranger tout en participant au développement des droits culturels.

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