Critique internationale - Sommaire

Editorial
5-6

 

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Thema
Thema - Les villages stratégiques : politiques contre-insurrectionnelles et regroupements de populations
Sous la responsabilité de Pamela Colombo

La politique contre-insurrectionnelle de création de villages stratégiques consiste à déplacer et à regrouper par la force des populations rurales vivant dans des zones où se développent des mouvements guérilleros. Cette stratégie militaire a été appliquée dans des contextes de guerres de décolonisation en Afrique et en Asie (1950-1970), mais aussi dans le cadre de régimes autoritaires en Amérique latine (1970-1980). L’étude de ces programmes de regroupements forcés permet de mieux comprendre les techniques étatiques de réorganisation et de contrôle des populations et des territoires « en rébellion ». Ce dossier de Critique internationale réunit pour la première fois des auteurs dont les travaux portent sur différents cas de constructions de villages stratégiques à travers le monde, et vise ainsi à ouvrir un débat autour de la mise en place globale de cette stratégie militaire et de la façon dont elle a pu circuler au niveau transnational.

Thema
Réaménagements territoriaux, contrôle des populations et stratégies contre-insurrectionnelles
Pamela Colombo
9-24

 

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Thema
Les « regroupements » de la guerre d’Algérie, des « villages stratégiques » ?
Fabien Sacriste
25-43

Les « regroupements » créés par l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) appartiennent à ces lieux que l’historien Christian Gerlach a qualifiés de « villages stratégiques ». Or le terme de « village » est-il bien adapté pour nommer ces espaces d’enfermement d’une population civile autoritairement déplacée ? Fruits d’une stratégie militaire et administrative conduite au cas par cas, les « regroupements » d’Algérie ressemblent le plus souvent à des camps dans lesquels végète une population privée de ses libertés fondamentales et durablement précarisée par un déracinement brutal qui l’expose à la dépendance, aux crises sanitaires et à la surmortalité. Si le terme de « village » s’est imposé pendant la guerre, il convient d’en interroger les usages afin de souligner que, loin d’être ce projet de développement contraint de la société rurale porté par une minorité d’acteurs, le regroupement fut d’abord et surtout un moyen de justifier l’injustifiable : une politique de déplacement forcé de populations civiles menée à grande échelle par l’administration et l’armée françaises – et ce à moins d’une décennie de la fin de la seconde guerre mondiale.

Thema
Le Vietnam des « hameaux stratégiques », à la croisée des influences
Élie Tenenbaum
45-61

Le programme des « hameaux stratégiques » fut lancé en 1962 par le gouvernement de Ngo Dinh Diem au Sud-Vietnam. Inspiré de nombreux précédents historiques (Indochine, Malaisie, Israël), ce projet avait pour objectif de rassembler les communautés rurales autour de villages fortifiés, modernes, et autonomes tant sur le plan économique que sécuritaire, afin de les soustraire à l’influence communiste du Front national de libération (FNL). Cette étude revient sur les mécanismes de « circulation des savoirs » et les influences extérieures – notamment américaines et britanniques – qui ont contribué à la conception du programme. Dresser la généaologie rigoureuse de ce dispositif et répertorier les différents facteurs concourant à sa réalisation permet d’établir une distinction entre les erreurs d’analyse liées au « transfert d’expérience » et celles associées à la mise en œuvre proprement dite de l’entreprise.

Thema
De la persistance des villages d’État au Mozambique
João Paulo Borges Coelho
63-83

Cette étude du déplacement forcé, sur le temps long, des communautés rurales dans une région du Mozambique permet de comparer les aldeamentos, villages fortifiés et construits pendant la guerre qui opposa le régime colonial portugais et les forces nationalistes mozambicaines, et les aldeias comunais, villages créés après l’indépendance dans le but de développer et de contrôler le territoire. Le fait que des objectifs totalement distincts aboutissent à des réalités presque identiques démontre que, derrière les récits qui soutiennent de tels objectifs, se trouvent la nature de l’État et la façon dont il considère et asservit les communautés rurales pour s’approprier des ressources.

Thema
Construire (dans) les marges de l’État, entre politiques de « développement » et stratégies de contre-insurrection (Chaco, Argentine, 1976-1980)
Pamela Colombo
85-108

Pour produire une profonde reconfiguration sociopolitique, la dictature civilo-militaire en Argentine (1976-1983) n’a pas seulement mis en œuvre un système de disparition forcée des personnes, elle a également essayé une réorganisation territoriale et urbaine au niveau national. Nous nous intéressons ici à l’un de ces programmes : la création de villages stratégiques. Notre recherche a pour objectif de comprendre comment l’État met en œuvre des projets d’ingénierie sociale dans lesquels la réinvention spatiale de territoires périphériques a pour objectif de modifier radicalement un groupe social ainsi que la situation économico-politique de la zone concernée. Pour cela, nous analysons la création du village Fuerte Esperanza dans la Province du Chaco, dans le cadre de ce qui a été appelé la « Campagne de l’Ouest » déployée dans la région de « El Impenetrable » (1976-1980). Nous démontrons comment la création de Fuerte Esperanza, sous couvert d’un programme dit de « développement », avait aussi une fonction de contre-insurrection. Nous essayons de comprendre et de déconstruire les discours et les pratiques autour de ces types de programmes d’« action civique militaire ». De plus, nous soutenons pour la première fois qu’il existe des continuités entre la création de ce village et d’autres programmes similaires de la même époque en Argentine (principalement dans la province de Tucumán).

Thema
Contre-insurrection et urbanisation dans la guerre civile guatémaltèque
Finn Stepputat
109-132

Cette étude traite de la façon dont l’armée guatémaltèque a utilisé le déplacement et la concentration des populations rurales dans des camps et des habitats concentrés comme moyen de rétablir le contrôle sur le territoire national dans le contexte de l’insurrection armée du début des années 1980. Les officiers guatémaltèques ont été profondément influencés par les diverses expériences des campagnes de contre-insurrection menées en Algérie et au Vietnam. Au Guatemala plus particulièrement, la gestion de la population par différents programmes « d’action civique » a joué un rôle décisif dans la guerre civile. S’appuyant sur des contributions théoriques de Foucault, Lefebvre et de Certeau, portant sur l’organisation spatiale de l’État, l’analyse identifie les trois formes de cette urbanisation contrainte : la concentration des populations déplacées dans des sites s’apparentant à des camps en 1982 ; l’introduction de « villages modèles » et de « pôles de développement » en 1983-1984 ; la stabilisation de « communautés » rurales dans les années 1990, conséquence des efforts de reconstruction après-guerre dans d’anciennes zones de conflit. Ces trois entreprises d’urbanisation combinent des formes spatiales d’organisation avec des processus de subjectivation imprégnés d’idées et de techniques visant à façonner des sujets civilisés et une communauté politique réformée

Varia
Moraliser les dirigeants syndicaux ? Sur les usages politiques d’une loi de transparence financière dans le syndicalisme états-unien
Émilien Julliard
135-157

À partir de l’étude de deux mouvements dissidents survenus au niveau des structures locales de grands syndicats états-uniens des services, cette étude revient sur les usages politiques d’un dispositif public de transparence qui rend accessibles les comptes des organisations syndicales. Des acteurs agissant au nom de la « démocratie syndicale » dévoilent aux adhérents des informations comptables telles que la rémunération des dirigeants locaux. La « transparence » sert ici une critique morale ordinaire de la représentation contribuant à produire l’« oligarchie syndicale » : dans son mode de vie, le représentant serait plus proche du « patron » que des salariés dont, en conséquence, il ne défendrait pas les intérêts. Ainsi, des entrepreneurs de dissidence recourent à la scandalisation afin de mobiliser les membres pour mettre un terme au mandat de leurs représentants, ou les contraindre à agir différemment. Ici cependant, les dissidents ne sont pas parvenus à faire scandale auprès de suffisamment d’adhérents. Les sièges syndicaux sont alors intervenus, écartant les dissidents dans le même mouvement que les dirigeants locaux.

Varia
Quand le geste révèle le militant : sur quelques cas d’entrée en journalisme d’opposition dans la Russie contemporaine
Ivan Chupin, Renata Mustafina
159-179

Trois situations de protestation dans la Russie contemporaine sont analysées ici. À chaque fois, un individu a recours à un geste contestataire contre une ou des figures incarnant le pouvoir d’État (un homme interrompt le discours du Président, une étudiante proteste contre une entrée « sélective » à la réunion avec le Président, un activiste jette de l’eau au visage du procureur à l’issue du procès de ses amis). À partir de l’étude de la couverture médiatique de ces gestes et des entretiens réalisés avec leurs auteurs, cette recherche présente une analyse sociologique des trajectoires de ces acteurs, en étudiant en particulier leurs multiples inscriptions sociales dans le monde des médias mais aussi dans l’espace militant de l’opposition russe. Cette recherche constitue ainsi une contribution à l’analyse des relations étroites entre ces deux champs (militant et médiatique) dans le cadre du régime à caractère autoritaire de la Russie contemporaine. Ces trois gestes constituent un moment de « bifurcation » dans les carrières de journalistes de leurs auteurs. L’importante médiatisation qui leur est donnée élargit l’espace des possibles des individus concernés et facilite (ou renforce) leur intégration au sein des médias d’opposition. Au-delà, ces cas renseignent également sur les conditions de protestation et de prise de parole dans un espace public sous contraintes.

Varia
La gestion de la « crise des ordures » à Beyrouth durant l’été 2015 : quelle police des foules ?
Leila Seurat
181-202

Les pays arabes restent à la marge des travaux consacrés à la police des foules. Si les sociologues et politistes spécialistes de la région prennent volontiers en compte l'usage de la répression dans l'analyse des mobilisations collectives, rares sont ceux qui s'intéressent spécifiquement aux pratiques policières. Cet article tente de combler cette lacune en proposant une lecture de la gestion policière des manifestations qui ont eu lieu à Beyrouth durant l'été 2015. La « crise des ordures » a plusieurs fois amené les Forces de sécurité intérieures (FSI) à recourir à un usage disproportionné de la force. Ces événements pèsent sur les débats relatifs à la sociologie de la police et des mouvements sociaux. Ils soulignent notamment le rôle des facteurs organisationnels et institutionnels

Lectures
Lectures
Benedetta Rossi
205-209

Camille Lefebvre. Frontières de sable, frontières de papier : histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIXe-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, 543 pages

Lectures
Lectures
Luis Rivera-Vélez
211-214

Bronwyn Winter, Maxime Forest, Réjane Sénac (eds). Global Perspectives on Same-Sex Marriage: A Neo-Institutional Approach, New York, Palgrave Macmillan, 2018, XV-241 pages.

Lectures
Lectures
Eduardo Rios Ludena
215-219

Timothy Mitchell. Carbon Democracy : le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2017, 391 pages.

Lectures
Lectures
221-225

Philippe Sands. East West Street, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2016, 464 pages.

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