Pourquoi participer à une conférence internationale en science politique (quand on est doctorant.e) ?

Au début du XXIe siècle, les conférences internationales sont devenues un passage obligé pour les doctorant.e.s en science politique : il faut y être, il faut présenter un papier. Cette idée qui fait consensus dans la communauté scientifique en rencontre une autre, aussi largement partagée mais contradictoire avec la première : en pratique, l’intérêt de participer à une conférence est discutable. L’investissement en temps et en argent est élevé pour des bénéfices scientifiques aléatoires. J’ai pu tester et valider ce paradoxe à six reprises depuis 2008. 

En partant à Baltimore (Maryland) pour participer à la treizième conférence biennale de la European Union Studies Association (EUSA), principale association américaine de science politique en études européennes, qui se déroulait les 9, 10 et 11 mai 2013, mes attentes étaient ténues : je ne m’attendais pas à trouver là-bas ce que j’avais échoué à trouver ailleurs. Pourtant, a posteriori, je peux dire avec étonnement que cette conférence a été formatrice à plus d’un titre.

Cette note vise à rendre compte de ce résultat inattendu : la participation à une conférence internationale en science politique peut apporter à un.e doctorant.e – indépendamment de ses objectifs professionnels – davantage qu’une simple ligne sur son CV.

Vecteur de représentation 

Primo, participer à une conférence internationale permet de se représenter de manière la plus précise, exhaustive et actuelle possible l’état des connaissances dans un domaine d’études. 

Sur le fond, c’est une occasion d’appréhender les recherches en cours c’est-à-dire les objets d’étude et les problématiques qui figurent à l’agenda et, par effet de miroir, ceux qui ne le sont pas, ainsi que les choix théoriques opérés et les méthodes utilisées. Lors de la traditionnelle allocution de la conférence sponsorisée par le Journal of Common Market Studies (JCMS), Andrew Moravcsik (université de Princeton) a noté le nombre croissant – et selon lui, excessif – de panels traitant des institutions supranationales (Commission européenne, Parlement européen, Cour de justice de l’Union européenne, Banque centrale européenne) alors que ceux portant sur le Conseil et le Conseil européen se comptaient sur les doigts d’une main. Le site de l’EUSA 2013 où tous les intervenant.e.s sont invité.e.s à mettre en ligne leur papier est une source précieuse d’informations et permet d’avoir une vue d’ensemble des articles présentés.

Sur la forme, écouter les chercheurs intervenir sur des thèmes aussi variés que « les approches théoriques « éclectiques » en études européennes », « l’Union européenne et la sécurité internationale », les « résistances des Etats membres aux normes européennes », « l’élargissement et l’intégration au sein de l’Union européenne », « la crise de l’Union européenne et l’avenir des études européennes », etc. permet d’éclairer les pratiques scientifiques communes. Partir d’une problématique qui peut être théorique et/ou empirique (a puzzle), défendre une idée (an argument), raconter une histoire de l’intégration européenne (a story) à partir d’éléments explicatifs précis (the drivers), voilà certains des incontournables d’une présentation à l’aide (quasi indispensable) d’un powerpoint (Prezi ne semble pas encore avoir traversé l’Atlantique). Il faudrait ajouter le besoin d’expliciter sa position au sein des débats théoriques de la discipline (quelle relation théorique entretenez-vous par rapport à x qui est dans votre panel ou à y qui est dans la salle d’à côté ?) et de clarifier le protocole d’enquête (research design). 

L’analogie par rapport aux pratiques professionnelles au-delà du champ scientifique semble faire sens : la possibilité d’apporter une réponse claire à un problème (politique, économique, industrielle, sociale, etc.), de défendre une position précise portant les « intérêts » de son entreprise ou de son administration, de maîtriser un dossier, ressource indispensable pour une bonne prise de décision lors de négociations, d’avoir une attitude professionnelle (ponctualité, clarté du propos, développement d’un réseau, etc.). 

Enfin, les discutant.e.s ont fait preuve d’un professionnalisme certain en livrant des commentaires constructifs individuels et collectifs, propices à la discussion. Cette pratique semble être une norme sociale largement répandue d’un panel à un autre.

Vecteur d’internationalisation

Secundo, la participation à une conférence internationale offre l’opportunité d’écrire et de présenter un article en anglais. Le marché du travail (scientifique et au-delà) se situant autant en France qu’à l’étranger, l’exercice est utile à la maîtrise de cette langue qui est moins considérée comme une valeur ajoutée que comme un prérequis. 

Plus encore, il s’agit d’adapter son argumentation. Raconter une histoire en anglais, à l’écrit comme à l’oral, implique de connaître et d’utiliser les normes anglo-américaines sus mentionnées pour que le message soit compréhensible. « Parler la même langue » est nécessaire à l’émergence d’une discussion. 

En d’autres termes, la structure de la langue anglaise implique une clarté d’expression. Elle tolère difficilement les digressions et les chemins argumentatifs sinueux (phrases longues, argument qui tarde à être exprimé, répétitions), caractéristiques d’autres langues comme le français. Devoir penser sa problématique, son « argument » et l’histoire que l’on souhaite raconter en anglais est un exercice stimulant pour clarifier ce que l’on souhaite démontrer et la façon d’y parvenir. 

Bien sûr, ces règles du jeu peuvent être considérées « illégitimes », « formatées », « rigides » comme l’imposition de l’anglais qui serait le signe supplémentaire d’un impérialisme qui ne dit pas son nom. Toutefois, ces contraintes sont si ce n’est libératrices du moins profitables à la clarification d’une pensée qui n’est jamais dénuée d’incohérences.

Vecteur d’intégration

Tertio, participer à une conférence internationale est un vecteur d’intégration au sein d’une communauté scientifique. 

Les échanges informels que l’on peut avoir avec des chercheurs dans un couloir entre deux panels, à la fin d’une journée autour d’un verre ou d’un dîner organisé par l’association sont de riches et précieux moments de socialisation, plus encore que les retours obtenus à la suite de la communication que l’on peut faire. Les chercheurs semblent plus disposés à échanger, à discuter de leurs recherches et des vôtres, de l’excellente communication faite une heure plus tôt, de celle médiocre la veille. Ces échanges permettent d’être reconnus et peuvent conduire à intégrer des réseaux scientifiques, voire à évoquer de futures collaborations (d’où l’intérêt de se préparer sérieusement).

La configuration de la conférence joue sur la possibilité que s’ouvrent des « fenêtres d’opportunités ». Avec 130 panels et près de 500 participant.e.s, l’EUSA possède une masse critique suffisante pour attirer les stars du domaine (Tanja Börzel, Thomas Christiansen, Michelle Cini, Adrienne Héritier, Simon Hix, Nicolas Jabko, Kathleen McNamara, Christine Mahoney, Anand Menon, Sophie Meunier, Kalypso Nicolaïdis, Craig Parsons, Mark Pollack, Claudio Radaelli, Berthold Rittberger, Frank Schimmelfennig, Michael H. Smith, George Tsebelis, Wolfgang Wessels, etc.) tout en conservant une taille humaine qui offre de fructueuses conditions d’échanges. Voir tous ces chercheurs en action permet aussi de « mettre en mouvement » leurs contributions scientifiques. Par exemple, on ne lit sûrement plus de la même manière A Certain Idea of Europe après avoir entendu Craig Parsons. Enfin, l’intégration se réalise aussi par les gossips qui, comme dans n’importe quel groupe social, ne sont jamais très loin. 

En conclusion, au même titre ceteris paribus qu’une charge d’enseignement, que la rédaction d’un article dans une revue à comité de lecture ou que l’organisation d’activités scientifiques au sein de son laboratoire, la participation à une conférence internationale peut s’avérer une expérience doctorale formatrice. 

 

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