La question raciale aux Etats-Unis

Sous la direction de Daniel Sabbagh

L’actualité de la « question raciale » aux États-Unis est on ne peut plus manifeste, comme en témoignent l’émergence du mouvement Black Lives Matter en réaction à des faits de violence policière trop nombreux et trop graves pour être réduits au rang d’anomalies, ou encore la victoire surprise d’un candidat ayant tenu des propos pour le moins stigmatisants à l’encontre de la minorité hispanique à l’issue de l’élection présidentielle de novembre 2016. À juste titre, ces événements récents ont suscité d’abondants commentaires. Ils ne constituent toutefois que les signes les plus frappants de la pérennité d’un problème aux multiples facettes, sur lequel les textes ici rassemblés viennent apporter des éclairages complémentaires.

Professeur de droit à Stanford, Richard Thompson Ford, dans le prolongement des réflexions du sociologue William Julius Wilson et de manière quelque peu provocatrice, souligne à la fois l’hétérogénéité croissante de la communauté noire et l’abondance des points communs que partage sa fraction la plus pauvre avec les Blancs démunis de la Rust Belt qui ont contribué à la victoire de Donald Trump. Parmi ces points communs figurent l’isolement, l’absence de perspectives d’ascension sociale, le handicap supplémentaire que constituerait une « culture dysfonctionnelle » et le mépris dont les uns et les autres font l’objet de la part de leurs concitoyens mieux dotés. Étant donné l’imbrication tendancielle entre race et classe aux États-Unis, à terme, une implosion et une recomposition des groupes raciaux tels qu’ils se présentent aujourd’hui ne seraient donc pas à exclure.

Politiste et directeur de recherche au CERI, Daniel Sabbagh commente l’arrêt Fisher contre Université du Texas (2016), dernière décision de la Cour suprême relative à la discrimination positive mise en œuvre dans les universités américaines. Malgré certaines innovations, et bien que sa portée demeure sujette à débat, cette décision s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence antérieure sur un point essentiel et d’apparence paradoxale : l’acceptation d’une certaine opacité comme condition de l’admissibilité juridique d’un programme d’affirmative action.

Sociologue et professeure associée à l’Université de New York, Ann Morning illustre la “rebiologisation” de la race actuellement à l’œuvre dans le champ scientifique américain à la faveur des progrès de la génomique, tendance perceptible jusque dans le domaine des sciences sociales. Cette évolution critiquable, selon elle, ne remet pas en cause la validité de l’approche constructiviste de la race et de l’ethnicité.

Enfin, Juliette Galonnier, doctorante en sociologie à Sciences Po et à l’Université Northwestern, s’attache à repérer les diverses modalités d’articulation entre catégorisation raciale et catégorisation religieuse, à travers l’examen de parcours de convertis à l’islam, blancs ou noirs. Pour les premiers, devenir musulman, c’est ne plus être considéré comme blanc et se voir brusquement priver des privilèges correspondants; pour les seconds, au contraire, la religion peut venir atténuer la puissance des assignations raciales.

Chacun à leur manière, ces textes décrivent brièvement certaines caractéristique ou évolutions structurelles du fait social et institutionnel qu’est la race aux États-Unis. Les concernant, pour le meilleur ou pour le pire, il est peu probable que l’élection de Donald Trump constitue une rupture décisive.

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