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04.11.2025
Anja Röcke, l’étude des régions frontalières comme laboratoires de l'intégration européenne et de l'innovation démocratique.
Anja Röcke est professeure titulaire de la Chaire Alfred Grosser pour l'année académique 2025-2026, en visite à Sciences Po depuis l'Université de la Sarre grâce au soutien de la Fondation Fritz Thyssen. Spécialisée en sociologie culturelle et politique, elle travaille actuellement au Centre d'études européennes et de politique comparée sur la participation citoyenne transnationale. Elle nous a parlé de son parcours et de ses projets actuels.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Mon doctorat à l'Institut universitaire européen de Florence (EUI, membre de l’alliance universitaire européenne CIVICA) portait sur les budgets participatifs, une forme de participation citoyenne institutionnalisée. Dans ma thèse, j'ai effectué une comparaison entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. J'ai également travaillé dans le cadre d'un projet européen sur les budgets participatifs, la démocratie et la gouvernance publique.
Après mon doctorat, j'ai eu un poste à la chaire de sociologie générale à l'Université Humboldt, à Berlin, où j'ai effectué des recherches en théorie sociologique et en sociologie culturelle, notamment sur le concept wébérien de « conduite de vie », et sur l’optimisation de soi, cette idée de devenir « la meilleure version de soi-même », proche du développement personnel.
J'ai mené des recherches théoriques et historiques afin de comprendre les raisons de cette tendance à l'optimisation de soi, et comment ces idées et pratiques se manifestent dans la vie quotidienne des gens. Ces recherches ont formé le cœur de mon habilitation à diriger des recherches et de mon livre sur ce sujet. À l'Université Humboldt, j'ai également occupé des postes de professeur invité en sociologie générale et en macrosociologie. Pendant plusieurs années, j’étais aussi chercheuse associée au Centre Marc Bloch, à Berlin, une institution franco-allemande de recherche en sciences humaines et sociales.
Il y a deux ans, j'ai rejoint l'Université de la Sarre à Sarrebruck, située à la frontière franco-allemande. Les études frontalières et les relations européennes y sont des sujets de premier plan. C'est ainsi que j'ai « réactivé » mes recherches en sociologie politique et que j'ai commencé à étudier la participation citoyenne transnationale.
Sur quoi portent ces recherches ?
Dans mon projet de recherche actuel, j'étudie un conseil citoyen binational dans la région frontalière franco-allemande de l'Eurodistrict Saar-Moselle. Cette assemblée a démarré en 2023 comme projet pilote du programme Common Ground financé par la Fondation Robert Bosch. Elle est composée d'une vingtaine de citoyens allemands vivant à Sarrebruck et dans ses environs, et d'un nombre égal de citoyens français de Forbach et de ses environs.
Je trouve ce sujet fascinant parce que les démocraties sont conçues pour un contexte national, et que les régions frontalières sont généralement considérées comme les périphéries des États-nations. Et si ces périphéries pouvaient apporter des innovations démocratiques aux centres nationaux ? La Commission européenne considère également ces régions frontalières comme des « laboratoires de l'intégration européenne ».
Mon objectif est de tester ces hypothèses et d'identifier les défis et les potentiels spécifiques de la participation citoyenne transfrontalière.
Qu'est-ce qui motive les gens à participer à un conseil citoyen transfrontalier et qu'est-ce qui les en empêche ? Cette expérience transnationale conduit-elle les individus à tisser des liens transfrontaliers plus étroits ? Quelles difficultés et défis concrets, ainsi que les opportunités qui en découlent, peuvent être identifiés dans un environnement transfrontalier ?
Le conseil citoyen a également formulé de nombreuses suggestions pour le plan de développement régional en ce qui concerne les transports publics, l'offre de soins de santé, les événements culturels, etc. Il sera intéressant de voir comment ces suggestions sont traduites dans la réalité politique.
Pour ce faire, j'utiliserai principalement des méthodes qualitatives - entretiens avec des citoyens, des fonctionnaires et des élus, observation participante au sein du conseil citoyen, analyse de documents, etc.
Quels sont vos projets pour ce séjour à Sciences Po ?
S'agissant d'un projet franco-allemand, je suis ravie de pouvoir y travailler dans une institution française. Il va sans dire que Sciences Po est l'une des principales institutions de recherche en sociologie politique en France aujourd'hui.
De manière plus générale, je pense qu'il est toujours utile de sortir de sa propre bulle nationale, car les débats académiques sont souvent encore très ancrés dans des contextes nationaux. J'espère acquérir ici de nouvelles idées et perspectives sur mes sujets de recherche.
Les débats en cours sur la démocratie et l’actualité politique en France rendent également cette période très intéressante.
Pendant mon séjour, j'aimerais organiser un atelier sur les possibilités, les défis et les limites de la participation citoyenne transfrontalière en Europe. J’espère que ce sujet intéressera la communauté Sciences Po !
Propos recueillis par Véronique Etienne
Parallèlement à ses recherches, Anja Röcke enseigne deux cours de premier cycle sur le campus nancéien de Sciences Po : “Sociologie des frontières”, en allemand, et “Global Sociological Debates", en anglais.
À propos de la Chaire Alfred Grosser
Avec le soutien de la Fritz Thyssen Stiftung, Sciences Po accueille chaque année deux professeurs d'universités allemandes, afin d'encourager et de renforcer les échanges académiques entre la France et l'Allemagne et de faciliter le développement de projets communs.