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28.06.2022

« Le potentiel créatif de l'intelligence artificielle »

Article rédigé par Jeanne Burin des Roziers et Apolline Monpouet, étudiantes de la spécialité Culture et Cultural Policy and Management de l'École d'affaires publiques de Sciences Po

>Le 13 avril 2022, dans le cadre des Masterclasses Culture de l’École d’Affaires publiques, les étudiants de l'École, et de Sciences Po, ont eu la chance d’échanger avec trois acteurs essentiels sur les défis que pose l’intelligence artificielle au le monde de l’art et de la création artistique : le collectif Obvious, trio d’artistes dont les oeuvres sont produites à partir de divers processus d’intelligence artificielle, Marine Van Schoonbeek, co-fondatrice et directrice générale de Thanks For Nothing et La Collective et Agnès Perpitch, galeriste spécialisée en art contemporain et consultante en la matière. 

Technologie encore mystérieuse aux yeux du grand public, l’intelligence artificielle ouvre des potentialités créatives qui viennent rabattre les cartes de ce que serait la création artistique, le statut d’artiste ou encore les dynamiques du marché de l’art. Alors que s’offrent de nouveaux horizons pour les artistes, galeries et collectionneurs, l’usage d’algorithmes dans la création d'œuvres soulève néanmoins des questions d’ordre social, ou environnemental, que nos interlocuteurs ont ainsi cherché à éclaircir. Retour sur une discussion passionnante, qui a permis à chacun de s’interroger sur le futur des pratiques artistiques. 

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : OUTIL D’EXPLORATION CRÉATIVE  

Selon le collectif Obvious, les algorithmes et intelligences artificielles sont des moyens en vue d’une fin. Des outils, peut-être disruptifs, perturbants, ou même scandaleux auprès d’une société qui méconnaît encore largement ces nouvelles technologies et doit encore s’y acclimater, mais il convient de mobiliser ces instruments inédits dans une perspective plus large. La création artistique du trio d’artistes repose avant tout sur une idée, un propos, une interrogation que l’IA pourrait mettre en forme, il y a un sens derrière ces œuvres, et l’utilisation de la technologie n’est pas gratuite. De fait, l’usage de machine learning est, d’emblée, une remise en cause de notre vision du travail d’artiste, qu’il s’agit de questionner. En ce sens, le travail du collectif Obvious cherche également à mettre en lumière les algorithmes dans leurs fonctions pratiques, à faire connaître les potentialités qu’ils permettent, et de plonger, par ce biais, dans les sujets qui les intéressent. Leur série d'œuvres sur les sept merveilles du monde leur permet ainsi de venir interroger la question d’un imaginaire collectif : l’image produite par leur algorithme est nourrie des représentations visuelles et textuelles qui en ont été faites à travers les siècles. Il s’agit alors d'une réactualisation d’un sujet de peinture surexploité dans le temps et d’un renouvellement du canon iconographique classique.  

De fait, plusieurs des algorithmes, à partir desquels travaillent Obvious, impliquent de faire travailler l’intelligence artificielle à l’aide de données visuelles existantes. Le trio pose ainsi la question : si j’observe des centaines de maisons, que j’en dessine une à posteriori, le crédit revient-il aux architectes ? Leur statut d’artiste ne fait pas de doute, en dépit des remarques persistantes qui laissent entendre qu’il « suffirait » de faire travailler un algorithme en open-source. À cela, Obvious répond que ces mêmes critiques ont empêché la photographie pendant un siècle d’être considérée comme un art et que soit définitivement rejetée l’idée qu’il « suffirait » d’appuyer sur un bouton pour être photographe. Ainsi, s’affirment-ils légitimement dans leur rôle de créateurs et insistent sur la démarche réflexive qui sous-tend leurs œuvres.  

OUVRIR LE DÉBAT

Du nom ironique de leur collectif « Obvious », à l’apposition de formules mathématiques en guise de signature, les artistes se donnent pour mission de provoquer la réflexion sur la place de l’intelligence artificielle dans l’art. Par leur travail, ils souhaitent produire chez les spectateurs des « émotions pour le cerveau davantage que pour le cœur », en incitant à s’interroger sur la signification de leurs réactions aux nouvelles technologies inscrites dans un processus créatif. Ces outils sont le terrain d’expression de leurs idées conceptuelles, et peuvent contribuer à d’importants changements de société. C’est ce qu’ils entreprennent avec le projet Marianne, visant à réaliser un portrait représentatif de la femme française d’aujourd’hui à travers la compilation de milliers de photos d’anonymes. Grâce à des sujets en prise avec l’actualité, ils contribuent à sensibiliser un panel de plus en plus large de citoyens afin que ces derniers s’emparent de la thématique de l’art et du digital.

Inscrite dans cette dynamique d’art comme reflet de la vie de la cité, Marine Van Schoonbeeck porte une attention particulière aux échanges entre artistes, acteurs associatifs et visiteurs. Des réflexions que la spécialiste exposera bientôt au cœur du nouveau centre d’art La Collective (ancien bâtiment de l’Hôpital Saint-Paul.) Un établissement nouvelle génération, qui dépasse les mouvements de démocratisation et de décentralisation culturels caractéristiques du 20ème siècle pour pousser la porte du 21ème siècle en s’attelant aux problématiques contemporaines (sociales, environnementales, etc.). C’est pour cela qu’ONG et associations (tels qu’Emmaüs refuge pour les femmes) occuperont la même place que les artistes dans ce projet, au sens propre comme figuré, chaque partie disposant de 200m2. Des centres d’arts qui se modernisent donc, pour devenir de véritables lieux de vie intégrés à leur territoire. Cette transformation sera, on le devine, indispensable à l’avenir, visant à informer sur les pratiques et visions artistiques des émanations du terrain. Par exemple, l’urgence du changement climatique pousse Obvious à intégrer l’empreinte environnementale de ses outils pour responsabiliser sa pratique en se restreignant à ne produire qu’un nombre limité d'œuvres. Les artistes restent cependant optimistes sur la puissance de la recherche collective pour trouver des solutions à la haute consommation énergétique du numérique, malgré l’ampleur des problématiques.  

LE MONDE DE L’ART EN MUTATION

Au sujet d’une autre technologie au cœur de l’actualité artistique contemporaine, les NFTs, chacun des invités s’accorde sur leur potentiel disruptif : grâce à la liberté digitale, artistes et acheteurs s'affranchissent des codes du monde de l'art. Ils démocratisent l’accès à de nouveaux acteurs se sentant plus légitimes pour investir ce segment, à l’instar des figures de la tech américaines. L’émergence d’une nouvelle manière de collectionner, collectivement pour soutenir un artiste dans sa carrière, révolutionne le rapport à l’achat sur le marché de l’art, traditionnellement plus individuel.                                                                                                        

Ces tendances sont soigneusement étudiées par les acteurs du domaine, en premier lieu les maisons de vente aux enchères, qui loin d’être conservatrices, guident le marché vers les nouvelles technologies. L’intérêt de Christie's pour les NFTs ou encore le metaverse de Sotheby’s créent des ponts avec le digital, suivis par des galeries (telles que Kamel Mennour qui a exposé Obvious), dont la majorité reste prudente. Tous les acteurs ne représentent pas cette mouvance : certaines foires d’art restent ainsi déconnectées de cette tendance de fonds, marquant un paradoxe entre l’intérêt du public pour les nouvelles technologies, notamment les NFTs, et leur absence des stands. Néanmoins, Agnès Perpitch rassure : le monde de l’art ne deviendra pas entièrement dématérialisé. Les galeries représentent un point de contact phare, garant de sécurité sur un marché parfois perçu comme trouble, tant pour les acheteurs pour lesquels l’expérience de la « physicalité » de l’œuvre est irremplaçable que pour les artistes que les professionnels aiguillent dans leur carrière. Leur intermédiation est un soutien majeur, et l’évolution tend donc vers un modèle hybride intégrant des salles et œuvres non-physiques. 

En somme, le monde de l’art et ses acteurs se trouvent aujourd’hui à un tournant majeur : "il y a un monde avant, et un monde après l’intégration des nouvelles technologies au processus créatif" selon Agnès Perpitch. L’art et le digital s’entremêlent pour réconcilier le réel et le rêve au sein de productions chaque fois plus impressionnantes. 

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