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27.11.2018

Analyse d'une méthode d'enseignement : étude de cas sur le Brexit (2)

Cet article, articulé en trois volets, a pour but d’analyser la méthode pédagogique employée ainsi que certaines réflexions basées sur mon expérience personnelle dans le cadre de l’étude de cas intitulée « David Cameron in the face of the Brexit » : un enseignement obligatoire pour les étudiants en deuxième année de master à l’École d’Affaires Publiques de Sciences Po. Ce cours étant toujours d’actualité, certaines conclusions ne sont donc pas définitives. L’objectif est donc de présenter succinctement quelques idées développées avant le cours (volet 1), pendant le cours (volet 2) et après le cours (volet 3), ainsi que, plus globalement, d’introduire la méthode d’enseignement basée sur l’« étude de cas ».

VOLET 2 : Pendant le cours

Un cours articulé autour d’une étude de cas se divise généralement en deux parties. La première partie est typiquement dédiée aux présentations de groupe, simulations, jeux de rôles ou autre méthode reposant sur la participation directe des étudiants. Elle doit servir à reproduire, autant que possible, un environnement professionnel réel. L’étude de cas sur le Brexit est fidèle à cette structure : les étudiants consacrent la première heure à écouter deux ou trois présentations collectives, préparées en amont, puis à débattre de leur contenu. Les groupes sont en principe composés de 2 à 4 étudiants et les présentations ne durent pas plus de 7 à 9 minutes. Concrètement, ces présentations servent à reproduire le type de discussion susceptible d’intervenir entre les principaux dirigeants d’un parti politique, en conseil des ministres ou au sein du bureau de l’agence chargée d’une campagne politique. Plus précisément, les étudiants se voient offrir la possibilité de reformuler la promesse électorale concernant un référendum sur l’appartenance à l’UE dans le manifeste des conservateurs de 2015, d’élaborer et présenter une autre revendication, un autre logo/une autre affiche et 5 arguments novateurs d’une campagne en faveur d’une sortie de l’UE ou d’imaginer un questionnaire commandé au début de la campagne par les partisans du maintien dans l’UE afin d’aider à orienter la stratégie de communication. Idéalement, tous les travaux confiés correspondent à une situation professionnelle bien connue de l’enseignant (dans mon cas, par exemple, les études comparatives de l’opinion publique, les méthodes d’enquête qualitative et quantitative, l’élaboration de la politique communautaire et le conseil politique).   

Rétrospectivement, je pense que les étudiants devraient être encouragés dès le début du semestre à exploiter cette première partie de cours dans un double objectif. Le premier consiste à prendre le temps nécessaire pour étudier la culture professionnelle des acteurs du processus qu’ils incarnent en classe (le processus de décision est radicalement différent selon qu’il se déroule dans un tribunal, au parlement, au sein d’une société lobbyiste ou dans une grande agence publique…). À partir de cette réflexion, les étudiants peuvent choisir d’adapter leur langage, le format de leur présentation et leurs conclusions. Le deuxième objectif consiste, bien entendu, à utiliser l’étude de cas pour sortir des sentiers battus et exprimer des idées innovantes. À la différence d’un cours plus traditionnel, l’étude de cas n’a de sens que si les étudiants ont le sentiment de ne pas reproduire ou absorber des connaissances établies, mais de trouver eux-mêmes des solutions.    

La deuxième partie du cours, en revanche, est généralement consacrée à une présentation théorique ou professionnelle par l’enseignant. Cette s’articule autour de trois axes : a) résumer et rejouer les éléments de la présentation, de manière à offrir aux étudiants un élément de comparaison pour leur travail ; b) proposer quelques éléments de réflexion théorique et/ou points de vue de professionnels ; et, plus important encore : c) fournir des données comparatives afin d’enrichir la discussion avec des faits vérifiables. Ce troisième point est particulièrement important, car les études de cas explorent des situations réelles rarement théorisées. Bien souvent, seule une comparaison internationale permet de présumer la capacité à évaluer la validité de certains arguments.   

Le point de vue d’Evgenia Spyridi (étudiante à l’Ecole des Affaires Internationales ayant assisté au cours à l’automne 2017)

Quelles sont, selon vous, les forces et la valeur ajoutée de la méthode de l’étude de cas ?

La principale force de cette méthode, c’est son approche holistique. Cette étude de cas n’avait pas pour seul objectif d’analyser le Brexit et ses conséquences, ou David Cameron et ses actions, mais plutôt toutes les étapes qui ont conduit au Brexit : la politique interne du parti conservateur (et même celle du parti travailliste, en fait), le libellé de la question posée lors du référendum, mais aussi le caractère inapproprié des procédures de vote, sans oublier les subtilités des négociations entre le gouvernement britannique et l’UE. La valeur ajoutée de cette méthode est qu’elle permet justement de comprendre tout le cheminement qui a mené au Brexit.

Quelles sont les compétences pédagogiques particulièrement utiles à l’étude de cas ?

Pour ce cours en particulier, je dirais qu’il y en a plusieurs. Tout d’abord l’organisation des sessions, qui rend le cours plus stimulant et permet une analyse plus complète. Compte tenu de la nature d’une étude de cas, le fait de présenter de façon cohérente aux étudiants la chronologie, les événements importants et les principaux enjeux nous permet de mieux appréhender le sujet. Ensuite, je trouve très utile d’encourager les étudiants à s’affranchir de tout ce qui a été écrit sur le sujet, pour développer une pensée autonome. Pour finir, je dirais que le fait d’inciter les étudiants à tirer leurs propres conclusions en mettant à leur disposition les bons supports (par exemple des questions posées lors de précédents référendums) et en posant les bonnes questions, plutôt que de donner des explications toutes faites du type « la manière dont la question du référendum était formulée prêtait à confusion »,  a clairement contribué au succès du cours.

Si vous deviez retenir trois éléments ayant contribué à rendre le cours sur le Brexit plus stimulant, quels seraient-ils ?

En premier lieu, je dirais le fait d’avoir mis en exergue la campagne politique. C’est un aspect qui n’est absolument pas analysé dans les autres cours. Puis je dirais l’analyse comparative des conclusions du Conseil européen et de la lettre de David Cameron. Cet exercice a offert aux étudiants la possibilité d’analyser et d’interpréter la portée politique de documents officiels. La plupart du temps, soit l’on explique d’emblée aux étudiants le sens et les implications politiques de ces documents, soit l’on attend d’eux qu’ils les prennent pour argent comptant. C’est la première fois que les étudiants avaient l’opportunité de faire les deux. Enfin je dirais les différents travaux confiés : ils ont permis de traiter des questions très diverses, tant à l’écrit (dissertations) qu’à l’oral (présentations).

Dídac GUTIERREZ-PERIS, enseignant à Sciences Po Paris et directeur d’études et conseil Affaires Européennes chez Viavoice (Paris).

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