« Les acteurs de l'urbanisme de demain doivent faire preuve d'une grande transversalité. »

Augustin de Romanet - La première chose que l'on constate est que la ville et ses périphéries évoluent très vite. Depuis que je suis arrivé à la tête du groupe ADP, en 2012, j'ai vu un grand nombre de projets se construire et se développer près des infrastructures que nous gérons ; notre nouveau siège, situé à CDG, inauguré en 2016, n'en est qu'un exemple. Il est aussi le symbole d'un phénomène que je crois majeur : la densification du tissu périurbain. Comme vous le savez, lorsqu'une ville grandit, elle ne le fait pas de manière régulière et uniforme. Ses périphéries sont faites de creux, de vides, de tissus urbains irréguliers. Notre ambition est de densifier et d'urbaniser les espaces liés aux activités aéroportuaires. Cela signifie par exemple que ces activités sont de mieux en mieux connectées aux réseaux de transport. À Paris-CDG, le CDG Express entrera en service en 2024 et permettra aux voyageurs de faire le trajet sans arrêt depuis la Gare de l'Est en 20 minutes. A Paris-Orly, la ligne 14, actuellement en construction, assurera également une meilleure connexion de cette plateforme historique au reste des infrastructures de transport. Cette transformation du tissu urbain se traduit également par l'émergence d'une véritable ville aéroportuaire. Les villes ont historiquement émergé aux points d'interface, là où se rencontraient quotidiennement des hommes et des femmes et où l'on créait de la valeur. Les ponts, les croisements de routes commerciales et les ports sont des exemples de ces zones particulièrement riches et fécondes. Paris, au départ, n'était rien d'autre qu'une route permettant de traverser la Seine pour rejoindre l'Ile de la Cité ! Les aéroports sont les hubs les plus importantes de notre époque. Il est donc logique que s'y développent des villes. Paris-CDG, ce n'est plus seulement un aéroport : ce sont des boutiques, des restaurants, des hôtels et des centres de conférence. On y compte également d'importantes infrastructures de fret aérien, et dans sa périphérie, des attractions majeures comme Disneyland Paris, qui doit beaucoup de son succès à la proximité de deux grands aéroports. Cette transformation nous impose également de relever de nombreux défis, dont nous ne soupçonnions pas l'existence il y a vingt ans. Les questions liées à la mobilité innovante et aux smart cities nous imposent de penser la ville aéroportuaire de demain comme une ville connectée et connectable aux nouvelles technologies qui émergeront dans les prochaines années. Le développement durable, bien sûr, représente également un enjeu de taille. Nous nous efforçons de prendre en compte les problématiques environnementales dans la conception et la construction des nouvelles infrastructures. Pour reprendre l'exemple du nouveau siège d'ADP, nous l'avons doté d'un toit végétalisé, qui lui assure notamment une meilleure isolation thermique.        

Augustin de Romanet - Face à ces problèmes difficiles et inédits, les acteurs de l'urbanisme de demain doivent faire preuve d'une grande transversalité. Aujourd'hui, un architecte ne peut plus se contenter des compétences liées à l'exercice classique de sa profession. Il doit connaître et maîtriser les problématiques liées à l'écologie urbaine, aux questions d'attractivité, au numérique. Il en va de même, bien sûr, pour un promoteur immobilier ou un ingénieur des transports. L'interconnexion croissante des périphéries urbaines impose à ceux qui les conçoivent de les penser comme un tout, et donc d'en maîtriser tous les enjeux. J'attache, en la matière, beaucoup d'importance au rôle que peut jouer le secteur privé. La capacité de l'Etat à intervenir dans ces transformations se réduit pour de nombreuses raisons – budgétaires, sociales, politiques. C'est pourquoi le secteur privé doit prendre le relais, sans toutefois sacrifier la vision à long terme absolument nécessaire pour penser l'aménagement du territoire.  

Augustin de Romanet - La formation est une nécessité absolue, c'est indiscutable. Je constate avec joie que Sciences Po Executive Education s'est lancé dans l'aventure, notamment en ce qui concerne des métiers aussi exigeants et difficiles que ceux de l'urbanisme et de la gouvernance territoriale. La formation continue est d'abord une aventure humaine passionnante : elle permet de réunir un ensemble de personnes issues de métiers très divers et de les faire travailler et apprendre ensemble pendant quelques temps. Je parlais il y a quelques instants de l'exigence de transversalité : c'est par ce genre d'initiatives qu'elle est le plus à même d'être satisfaite. La formation continue, c'est aussi une chance donnée à des acteurs divers de se former aux nouveaux outils et aux problématiques inédites qui apparaissent chaque jour dans le monde de la gouvernance urbaine. En somme, c'est un moment privilégié pour mieux parler de demain avec des personnes que l'on rencontre rarement mais dont le travail est proche du nôtre.    

Augustin de Romanet - Je me réjouis toujours de voir des établissements d'excellence comme Sciences Po développer des formations novatrices qui répondent pleinement aux enjeux de demain. Et en tant qu'ancien élève de l'IEP, je suis toujours heureux de voir mon ancienne école se renouveler ainsi. Je crois profondément à la formation continue et à sa capacité à faire gagner les personnes en transversalité et en agilité. C'est un bel idéal que celui de continuer à apprendre toute sa vie : la formation continue permet précisément cela. Elle permet également d'intégrer le secteur privé à des problématiques qui sont historiquement du ressort de l'Etat, en les sensibilisant à des questions nouvelles. Le Groupe ADP est encore pour l'instant une entreprise publique, mais qui bénéficie énormément de la complémentarité d'entreprises privées. Nous favorisons d'ailleurs le développement de telles entreprises à travers un incubateur de start-up au sein de nos locaux. En ce moment, des équipes y travaillent sur la détection des drones et sur les véhicules autonomes. Comme vous pouvez le constater, il s'agit de problèmes qui nous concernent en tant qu'infrastructures aéroportuaires, et sur lesquelles l'apport d'entreprises innovantes et disruptives nous permet d'être leaders et de maintenir notre compétitivité. La coopération avec le secteur privé joue ici un rôle vital. Favoriser la formation continue, c'est permettre à des personnes du secteur privé – des ingénieurs, par exemple – d'être formés aux problèmes que connaissent les acteurs du secteur urbain – les infrastructures aéroportuaires et les enjeux liés à la détection des drones.